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FMI-BM : trucage statistique et trafic d’influence ?

Kristalina Georgieva appelée à démissionner, Ferid Belhaj serait impliqué.

En plein dans la tourmente, l’actuelle directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) est accusée de trucage de statistiques économiques et de trafic d’influence favorisant la Chine. Une enquête indépendante réalisée par un respectueux cabinet d’avocats américain (WillmerHale), discrédite l’image de l’actuelle patronne du (FMI), ternit l’image du FMI et de la Banque mondiale (BM) avec. Dans ce scandale, Ferid Belhaj, le Tunisien occupant le poste de vice-président de la BM dans la région du Mena serait impliqué. Les faits…

Par Moktar Lamari, Ph.D. *

Numéro deux et bras droit à l’époque du président de la Banque Mondiale, Jim Yong Kim, l’actuelle directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva, aurait directement agi pour maquiller et pour retoucher des statistiques économiques de façon à améliorer le classement de la Chine dans le classement annuel de l’environnement des affaires du rapport 2018 «Doing Business».

Grâce à ces «retouches» et manigances, la Chine a été propulsée de la 7e place à la 1ère place dans le classement. En jeu, l’augmentation du capital de la Banque mondiale et une position croissance de la Chine dans le financement de la BM. La Chine a aussi un vote déterminant dans le choix des premiers responsables du FMI et de la BM.

Manipulation stratégique et biais de sélection

L’enquête menée a épluché plus de 80 000 documents et a interrogé une centaine d’employés, actuels et anciens.

Le rapport ci-dessous mentionné (en anglais uniquement), souligne que les pressions ont commencé dès le printemps 2017 alors que la BM était en pleine discussion pour augmenter son capital.

La Chine, l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis… entre autres auraient fait le nécessaire pour monnayer et\ou imposer leur surclassement dans ce rating très en vue pour attirer les investisseurs et pour faire pression sur les économies et les pays endettés… ayant besoin des financements du FMI et de la BM.

Le rapport mentionne que les pressions étaient d’abord insufflées par le président Jim Yong Kim, avant d’atterrir chez l’équipe de Kristalina Georgieva, qui devrait opérationnaliser les manœuvres requises pour «maquiller» les chiffres, d’abord pour la Chine, et l’année suivante au profit de l’Arabie Saoudite. Le tout en abaissant la note de la Jordanie, et bien d’autres pays. Selon, Paul Römer, la notation du Chili, par exemple, est étroitement corrélée à l’idéologie de son gouvernement: elle monte avec un gouvernement de droite et baisse avec un gouvernement de gauche, même si rien ne change sur le fond.

Très frappant, une partie de ces manigances s’est passée dans le contexte et avec les indicateurs décrivant les économies des pays du Mena (Middle East & North Africa).

Ruses méthodologies, trucages statistiques…

Les spécialistes des statistiques économiques savent comment ficeler un indicateur et comment le réajuster le cas échéant, pour arranger un classement sur-mesure.

Pour ce faire, on peut changer la base de calcul, introduire de nouvelles données (exemple ajouter pour la Chine les chiffres de Hong Kong, Macao, Taïwan, etc.). On peut revisiter les pondérations et redéfinir le calcul des moyennes (arithmétique, géométrique, etc.). 

Et ce processus de trucage ne se fait one shot. On le fait par à-coup, par simulation et re-simulation du modèle, pour voir si on atteint l’objectif et si on n’introduit pas de biais de sélection criant. 

L’enquête WilmerHale indique que Kristalina Georgieva aurait demandé plusieurs simulations statistiques, après changement de la méthode, notamment pour booster la Chine. Le rapport dit aussi qu’elle aurait malmené un haut responsable de son équipe pour «avoir mal géré les relations de la Banque avec la Chine et ne pas avoir apprécié l’importance du rapport Doing Business». Le responsable initialement réprimandé, lui, a été félicité d’avoir «fait sa part du travail pour le multilatéralisme».

Démission de Paul Roméo, le chef économiste

Ces trucages de statistiques inspirés par des modifications de méthodologie ont poussé à la démission, en janvier 2018, le chef économiste de la Banque mondiale, Paul Römer.

Ce brillant récipiendaire du Prix Nobel et spécialiste du capital humain a claqué la porte, très mécontent notamment contre une pratique diligentée par l’actuelle présidente du FMI, et qui aurait chamboulé le classement pour des petits pays qui rivalisent sainement, péniblement… et qui ont besoin de plus d’investissement étranger, pour sortir des crises économiques qui les étranglent.

Des pays endettés, de petites tailles… la Tunisie, entre autres, ont vu leur classement chamboulé d’une façon injuste et à la limite «criminelle», au vu des impacts de ces classements sur l’accès aux crédits et à leur attractivité aux investissements étrangers.

Paul Römer avait avoué que lorsqu’il s’était inquiété de ces truquages disant : «Lorsque j’ai posé ces questions, Kristalina a entrepris un travail de dissimulation, un maquillage». Paul Römer a ajouté à l’AFP cette semaine, après la sortie du rapport : «J’en référais à des gens qui manquaient d’intégrité. C’était intolérable.»

Plusieurs économistes du monde entier sont offusqués par ce scandale unique en son genre. Un scandale fondé sur une manipulation grotesque des indicateurs et statistiques économiques des pays qui ont fait confiance au FMI et à la BM.

Un Tunisien éclaboussé par la tourmente

La lecture du rapport d’enquête réserve une bien mauvaise surprise aux Tunisiens.

Dans son point 21, le rapport mentionne directement l’implication du vice-président de la BM en charge de la région Mena. Sans citer son nom, le rapport avance que les entrevues et les courriels examinés portent à croire que le Tunisien Ferid Belhaj, qui assumait un rôle senior dans la vice-présidente de la BM en charge des pays du Mena. Pas besoin de dire que les pays du Mena ont directement été concernés par la manipulation des chiffres statistiques utilisés pour dégrader la note de la Jordanie (qui était première pour le classement 2020), et pour gonfler celle de l’Arabie Saoudite et celle des Émirats arabes unis.

Le rapport de la firme d’avocat pointe indirectement Ferid Belhaj, en disant dans sa page 7 et puce 21, ce qui suit: «…alors que le premier responsable (au sein de la BM) des données statistiques de l’Arabie Saoudite a affirmé que ses données étaient sans fautes n’ayant pas besoin de révision… l’équipe sous la responsabilité de l’actuelle présidente du FMI a demandé de trouver une autre solution pour booster la note de l’Arabie Saoudite…», ajoutant que «les premiers responsables de la manipulation faite des chiffres et statistiques économiques pour mettre l’Arabie Saoudite en tête du classement (à la place de la Jordanie) sont les deux experts seniors au sein de la vice-présidence de la BM en charge du Mena…». Les investigations continuent évidemment.

Appel à la démission des fautifs

Pour plusieurs économistes et observateurs internationaux, Kristalina Georgieva n’est plus crédible! Elle doit démissionner. Ceux et celles qui ont manipulé les chiffres sont aussi concernés par ce problème éthique et doivent tirer leur révérence.

Le journal le plus lu et le plus reconnu dans le monde au sujet des enjeux économiques, The Economist, appelle à sa destitution. Disant que l’affaire «cadre mal avec les défis du FMI» et le FMI ne doit pas être gouverné par une personnalité souillée par ces apparences de corruption et de manque patent d’éthique et de probité.

Le FMI qui met sous pression plusieurs dizaines de pays dans le monde ne peut continuer à donner des leçons de reformes s´il est lui-même gangrené par la malversation et la corruption.

Rappelons que le FMI est garant de la validité des données utilisées dans de nombreuses statistiques macroéconomiques. Il reçoit de milliers de statistiques confidentielles par semaine.

Les gouvernements de pays pauvres et endettés, comme la Tunisie, doivent se questionner et ils doivent arrêter de procurer leurs données confidentielles… naïvement à des institutions internationales gérées par des gestionnaires internationaux peu scrupuleux, de moins en moins crédibles et fondamentalement manipulateurs dans les faits.

* Universitaire au Canada.

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