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Tunisie : après les militants, les technocrates et les bureaucrates, voici les universitaires !

Palais de la Kasbah.

Entre idéal et illusion politique, les petits bruits du Palais de Carthage nous révéleraient que le président Kais Saied aurait un petit faible pour les universitaires et les académiciens, qu’il a davantage côtoyés dans son parcours professionnel, pour former le prochain gouvernement qui sera d’ailleurs conduit par une universitaire, Najla Bouden… Pourquoi pas, mais…

Par Helal Jelali *

Hélas, depuis 2011, la Tunisie manque cruellement de vrais politiques, de personnalités qui auraient cette fibre nécessaire à tout engagement publique et cette pugnacité qui forge les vrais projets pour restaurer un État viable. Mais comme nous avons des partis politiques qui ressemblent plus aux bulles des pluies diluviennes («De la pluie, elles naissent, mais quand il pleut, elle disparaissent»), nous n’avions pas eu des pépinières pour la formation d’une classe politique crédible.

Les meilleurs diplômes du monde ne pourraient jamais préparer une femme ou un homme à l’action publique, si cette personne n’avait pas cette vocation bien affirmée. Et la foi qui va avec…

La politique est un monde de conflits, de confrontations, de rapports de force, de ruses et souvent de «coups bas». Il n’a rien à voir avec le monde feutré et bienséant des professeurs et des académiciens. L’autorité et la conviction y sont une exigence indiscutable.

Est-ce qu’un brillant universitaire ou un bon manager pourrait s’intégrer facilement dans un espace où recevoir «des coups» est presque quotidien ? Est-ce qu’un militant des droits de l’Homme bien sincère aurait-il la hargne nécessaire pour défendre une décision impopulaire ou un dossier «lourd» face à des opposants coriaces?

Des menteurs professionnels

André Malraux écrivait à juste titre : «Les hommes les plus humains ne font pas la révolution… Ils font les bibliothèques et les cimetières?»

Depuis 2011, devant leur incurie, nous avons vu des ministres devenir des «menteurs professionnels» comme celui qui avait déclaré sur le plateau de la télévision publique en 2012 qu’il allait créer 80.000 emplois. Un défi, à l’époque, que ni l’ancien président américain Barack Obama, ni la chancelière allemande Angela Merkel n’auraient imaginé lancer.

De nombreux ministres et même un Premier ministre ne connaissaient rien à la communication politique et déléguaient leurs conseillers pour «causer» sur les plateaux de télévision. Une intervention ou une communication publique et à fortiori un discours se préparent avec un vrai staff deux heures par jour pendant une semaine.

Le vrai cursus politique a été bien défini par l’ancien ministre Ahmed Mestiri: chef de classe au lycée, étudiant militant, élu d’un village, élu régional, etc. C’est dans l’action que l’on apprend la stratégie politique et non pas sur les bancs des universités.

Étonnant, nous avons vu des soi-disant ministres devenir des simples administrateurs : ils confondaient gestion administrative et décisions politiques.

Devant cette indigence, la défiance et l’abstention des électeurs se sont installées durablement et il n’est pas certain que la confiance reviendrait demain ou après-demain… Car, le résultat de toutes ces incompétences conjuguées, ils l’ont vu au terme de dix ans d’incurie managériale et de mal-gouvernance : un pays au bord de la banqueroute que des charognards affamés se disputent encore. N’est-ce pas Néjib Chebbi, Moncef Marzouki, Rached Ghannouchi et autres has been morts de faim ?

Une pseudo-élite qui «cause» de tout sauf de l’essentiel pour les citoyens : à savoir la vie chère, les écoles délabrées, des hôpitaux en déshérence, un paysage urbain croulant, sale et dangereux pour la santé…

Des nullards en campagne permanente

Une syndrome bien connu depuis plusieurs années, certains anciens ministres qui ont déjà montré l’étendue de leur incompétence – comme Abdellatif Mekki, Mohamed Abbou, Ridha Belhadj,, Fadhel Abdelkefi ou autres Ghazi Chaouachi – sont en campagne permanente, complètement obsédés par le poste de chef de gouvernement. Ils ont l’outrecuidance de dire tout et son contraire en vingt-quatre heures. Très peu de médias les renvoient à leurs contradictions presque «génétiques», ce qui est censé être leur rôle, se contentant souvent de reprendre à la lettre leurs âneries et les opposant les uns aux autres comme dans un combat de béliers.

Enfin, dans l’aventure politique, comme d’autres métiers ou arts, le compagnonnage reste essentiel. Mais faute de maîtres-compagnons, nous risquons de rester dans la panade.

Le grand défi du prochain gouvernement est très clair : après 10 années d’illusions, le peuple connaît déjà toutes les vérités de la gestion publique… les Tunisiens ont cessé de rêver, de croire  aux promesses et d’espérer… Ils attendent des actes. Et des résultats palpables, «Tawa», ici et maintenant, comme le disait le slogan de campagne d’un certain Slim Riahi, homme d’affaires dont on connaît l’immense fortune mais pas vraiment les affaires qui lui ont permis de l’amasser, qui s’est présenté deux fois à la présidentielle avant d’être rattrapé par la justice et de fuir le pays.

L’élection de Kais Saied, dont le seul mérite, aux yeux des électeurs qui lui ont ouvert la porte du Palais de Carthage, est d’être… différent des autres, a retardé la nouvelle «secousse», mais tous ses ingrédients sont là. Attachez vos ceintures, ça ne va tarder !

* Ancien journaliste basé à Paris.

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