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Pourquoi l’économie tunisienne ne parvient-elle pas à se réformer ?

La bureaucratie clientéliste et l’économie de rente paralyse la Tunisie.

Les programmes d’ajustement successifs envisagés par la Tunisie avec le Fonds monétaire international (FMI) depuis 2011 ont déçu les principaux partenaires économiques internationaux de notre pays, de Washington à Bruxelles, en passant par Paris, Rome et Berlin. Et pour cause, le bilan de ces programmes est globalement décevant. Et les raisons en sont nombreuses, nous en citeront les principales.

Par Amine Ben Gamra *

Une bureaucratie lourde et paralysante

L’OCDE, de son côté, pointe une liste interminable de licences et autorisations nécessaires pour investir ou obtenir des crédits bancaires. Le décret 218-417, publié il y a trois ans, est le texte juridique le plus long de l’histoire de la Tunisie avec ses 221 pages. Son objectif, qu’on a totalement échoué à atteindre, était d’améliorer l’environnement des affaires. Ce texte répertorie 243 licences et autorisations, dont seulement 6 ont été supprimées dans les deux ans suivant sa publication.

Le contrôle bureaucratique, et le pouvoir de la fonction publique d’accorder (ou non) des licences, des autorisations, des crédits ou une dérogation douanière constituent autant d’obstacles à l’émergence de nouveaux acteurs et de nouveaux investissements.

De là à alimenter les critiques, du reste très fondées, selon lesquelles l’Etat est au service d’une oligarchie de privilégiés, il y a un pas que beaucoup franchissent allégrement, en parlant même d’«économie de rente» qui paralyse l’initiative et empêche l’émergence d’une nouvelle classe d’opérateurs.

Obstacles à l’émergence de nouveaux opérateurs

Cela a été dit et redit, et même par un ancien ambassadeur de l’Union européenne en Tunisie, Patrice Bergamini pour ne pas le nommer, qui a dû sortir de son devoir de réserve lié à sa fonction diplomatique pour dénoncer, dans un entretien avec le journal Le Monde (10 juillet 2019), la domination de l’économie tunisienne par un groupe de familles et le maintien d’un système de rente qui fonctionne grâce à une réglementation restreignant la concurrence. Un système fondé sur la capture, la collusion, l’exclusion, le traitement discrétionnaire et la non-concurrence sur le marché.

En d’autres termes, la captation de l’État prive les jeunes entrepreneurs, qui sont censés être l’avenir du pays, de réelles opportunités, puisque le marché est réellement verrouillé au profit d’une minorité d’acteurs déjà fortement installés et disposant de relais clientélistes au sein de l’Etat et de l’administration publique. Cela explique, en partie, pourquoi de jeunes opérateurs tunisiens qualifiés quittent le pays en nombre croissant, et souvent en expatriant leur idées de projets avec eux.

Cela, on l’imagine, constitue une grosse perte pour le pays dont le tissu économique ne se renouvelle pas assez, tombe en désuétude et dépérit à vue d’oeil, séquence à laquelle nous assistons depuis la fin des années 1990, sans qu’aucun gouvernement n’ait jugé urgent de secouer le cocotier ou d’ouvrir les fenêtres pour laisser entrer un peu d’air frais.

Le secteur public vampirise la vie économique

Pour changer cette situation qui a plongé le pays dans la crise et l’a mené à une quasi-impasse, avec des déficits structurels cumulés, un surendettement extérieur excessif et une incapacité à créer de la richesse, c’est la forme même de l’État créé par Habib Bourguiba après l’indépendance en 1956 qui doit être réexaminée. Elle était et reste très centralisée et pèse lourdement sur toute l’activité économique qu’elle finit par phagocyter et freiner.

Cette crise profonde de l’État tunisien explique pourquoi plus des deux tiers des 15-24 ans sont au chômage, pourquoi l’économie informelle continue de détruire des pans entiers de l’industrie nationale, pourquoi la majorité des entreprises publiques sont en quasi-faillite, et pourquoi l’Etat ne parvient plus à réunir les recettes fiscales nécessaires au financement de son budget, où la hausse continue des dépenses de fonctionnemement (salaires, etc.) ne cesse de réduire l’investissement public, jadis moteur de croissance.

On ne cesse d’identifier les dysfonctionnements, de pointer les goulots d’étranglement et d’envisager les solutions adéquates, souvent d’ailleurs mises en route aileurs avec un certain succès, mais les gouvernements se succèdent et ne font pratiquement rien pour changer la donne, comme s’ils craignent de heurter certains intérêts. Faut-il s’étonner dès lors que les indicateurs économiques et financiers du pays continuent de clignoter au rouge, sans véritable perspective de sortie de la crise ?

* Expert comptable, commissaire aux comptes, membre de l’Ordre des experts comptable de Tunisie.

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