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La Tunisie en situation pré-chaotique

Le 25 juillet, Kais Saied a ouvert une boîte de Pandore, saura-t-il la fermer ?

La Tunisie poursuit sa navigation à vue sur fond de convalescence post-révolutionnaire et de fébrilité économique. Rigidité et inertie s’entrecroisent avec un président de la république tantôt rassembleur tantôt clivant. Un pragmatisme qui tombe bien mais qui commence à se fendiller.

Par Jean-Guillaume Lozato *

Après les échecs des premiers ministres successifs, c’est donc une femme, Najla Bouden Romdhane, qui a été nommée par le président en exercice. C’est, une nouvelle fois, une manière de rompre avec l’establisment politique habituel.

Toutefois la Tunisie est coutumière des avancées concernant la place de la femme en territoire arabe, comme l’avait initié l’abolition de la polygamie sous Bourguiba. Avec un taux d’alphabétisation féminin allant en s’amplifiant au fil des décennies. C’est justement du monde de l’éducation que vient la nouvelle venue dans l’organigramme gouvernemental. Comme Kais Saied. A l’instar de l’hôte principal du Palais de Carthage, celle-ci se trouve immédiatement confrontée à de difficiles équations à résoudre dans le champ socio-économique. Nous ne pouvons que lui souhaiter bonne chance.

Najla Bouden, bouclier humain pour Kais Saied

D’un côté, les citoyens de plus en plus sollicités par l’islamisme version Ennahdha, système qui a montré ses limites mais qui n’a pas dit son dernier mot. De l’autre, une situation économique dégradée et dont les conséquences touchent à plus ou moins grande échelle chaque couche de la population, l’inflation qui s’approche dangereusement du seuil des deux chiffres pouvant trouver un socle sur lequel s’installer durablement.

La problématique qui se pose avec l’intronisation de Mme Bouden sera liée aux résultats obtenus. Puis à la perception subjective émise par la population. La fonction ministérielle est extrêmement exposée. Les attentes sont parfois démesurées en temps de crise, sous le coup de la lassitude générant l’impatience. Le fait que les commandes officielles soient déléguées à une femme amplifient ce sentiment. L’universitaire spécialisée en géologie, discipline ô combien subtile nécessitant précision et sang froid, se devra d’accomplir sa tâche avec la plus grande vigilance. En sachant que les femmes politiques ont fourni au cours de l’Histoire soit de grandes figures craintes, respectées(Jeanne d’Arc, Margaret Thatcher, Eva Peron, Angela Merkel…) soit des pantomimes soumis à la vindicte populaire (Edith Cresson, La Cicciolina…).

Le paysage politique tunisien est novice en la matière, offrant un panorama où les incursions de Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL), ont souvent dérangé comme des intrusions. Alors que penser de cette nomination? Effet de communication? Initiative prise par conviction? Par défaut? Par volonté de surprendre? Technique d’enfumage? Anticipation vers une éventuelle diversion en cas de non-redémarrage de l’économie, voire en cas d’échec?

Un peuple passionné et versatile

La situation politique, sociale et surtout économique fait du sur-place en Tunisie. Vers le bas. Le peuple peut à tout moment manifester son impatience. Kais Saied l’a bien compris et tente de tempérer les ardeurs avec un paravent en la personne de Mme Bouden. Ce bouclier humain, les prochains mois montreront s’il sert de simple diversion, ou alors s’il permet d’avancer discrètement vers la réussite. L’électorat arabe est sensible et susceptible. Tour à tour conservateur puis versatile. Capable de plébisciter un haut dirigeant puis de le dénigrer vivement. Capable de faire une révolution en plein 21e siècle.

Nous sommes en présence d’une situation pré-chaotique, au gouvernants de tout faire pour ne pas arriver carrément jusqu’au chaos en entourant au mieux la nouvelle nommée.

* Enseignant en langue et civilisation italiennes auprès de ENSG Université Gustave Eiffel, Skema International Business School, Arim Université I-A Melun, auteur de «Italie et Tunisie : entre miroir réfléchissant et miroir déformant» et «Free Uyghur».

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