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Le maoïsme : servir le peuple parfois, la Chine toujours

Quarante-six ans après sa mort, Mao Zedong demeure le grand théoricien de la guerre révolutionnaire dont l’enseignement est appliqué par toutes les guérillas du monde, y compris celles qui en sont idéologiquement les plus éloignées. Xi Jinping, l’actuel président de la République populaire de Chine, son lointain successeur, dont la famille fut victime des gardes rouges durant la révolution culturelle, n’en préserve pas moins le culte de la mémoire de Mao dont son régime tire toujours sa légitimité.

Par Dr Mounir Hanablia *

Mao Zedong est mort en 1976. Alors que la Chine est en train d’acquérir dans le monde global contemporain dominé par les Etats Unis d’Amérique la position de principal outsider dans la course à la puissance, son leg, le Maoïsme, est-il devenu une simple relique du passé ?

L’inspirateur des révolutionnaires à travers le monde

A travers tous les continents, beaucoup avaient trouvé dans la Longue Marche, dans le réduit communiste de Yenan, la lutte contre les Japonais et le triomphe sur le régime corrompu de Tchang Kai Tchek, puis dans le Livre Rouge et la Révolution Culturelle, l’exemple de la victoire des masses opprimées organisées et armées dans leur affrontement avec les exploiteurs locaux, soutenus par l’impérialisme américain ou le social impérialisme soviétique.

Les citations du président Mao, telles que «La victoire est au bout du fusil», «Reculer quand l’ennemi avance, le guetter quand il s’arrête, le harceler quand il se retire, le poursuivre quand il s’enfuit», ont inspiré un grand nombre de guérillas, dans leur combat contre des forces beaucoup plus puissantes.

«Servir le Peuple» est devenu le slogan préféré des Blacks Panthers, des étudiants de Mai 68, des Naxalites d’Inde, des socialistes tanzaniens, ou de Nelson Mandela. D’autres citations, comme «Le révolutionnaire doit être dans la population comme un poisson dans l’eau», ont à l’inverse inspiré les armées étatiques et coloniales dans la contre guérilla, en Malaisie puis en Algérie, avec le regroupement des populations dans des hameaux spéciaux, l’organisation de groupes d’auto-défense et de contre-maquis.

Indépendamment de cela, la Chine s’était dressée directement contre les Etats-Unis en Corée en 1950, puis indirectement grâce au soutien logistique et militaire apporté au Vietnam entre 1967 et 1975.

Paradoxalement, le Maoïsme doit au journaliste américain Edgar Snow sa notoriété mondiale grâce à un livre ‘‘Etoile Rouge sur la Chine’’.

Edgar Snow, dans les années 30, avait fait le voyage de Yenan, et il est probable que durant son séjour il ait fait l’objet d’une propagande magistralement orchestrée, et que ses hôtes, rompus aux techniques de la manipulation acquises auprès de leurs professeurs soviétiques, ne lui aient montré que ce dont ils pouvaient tirer un bénéfice politique, en lui dissimulant le reste. Et dans un pays soumis à un régime despotique et corrompu, aux seigneurs de la guerre dans les campagnes, et aux gangs des triades dans les villes, cette société égalitaire instaurée dans un coin reculé de la Chine sous la direction d’un chef éclairé, libérateur des paysans et des femmes d’une persécution séculaire, ne pouvait que séduire. Grâce à quoi Mao devint la figure emblématique de son parti, ce qui l’aida à se débarrasser de ses adversaires soutenus par le Komintern.

C’est ainsi que Yenan est devenu durant des années le point de passage obligé de bon nombre d’intellectuels américains tels que Agnes Smedley ou Bertrand Russel, lors de leur voyage en Chine. Et de nombreux jeunes issus de la classe éduquée chinoise familière de la langue anglaise, et grâce aux ouvrages et aux articles de ces intellectuels occidentaux, apprirent à connaître Mao, et se rangèrent sous sa bannière.

Le triomphe du mythe maoïste

Il est vrai que les communistes chinois finirent par prendre le pouvoir en 1949 alors que la majorité du peuple avait basculé de leur côté. Mais durant les années cruciales de Yenan, puis de l’occupation japonaise, ils ne durent leur survie qu’à l’aide économique et militaire apportée par les Soviétiques puis les Américains, et cela demeura ignoré. Et lorsque l’armée japonaise eut été désarmée par les Soviétiques en Mandchourie, toutes les armes et le matériel militaire récupérés furent remis aux communistes chinois.

Néanmoins, le mythe du Maoïsme doctrine égalitaire et juste triomphant immanquablement de forces supérieures, allait faire florès non seulement en Corée et en Indochine, mais aussi dans des pays plus éloignés, en Malaisie, Indonésie, au Népal, en Tanzanie, au Congo, et au Pérou. Les dirigeants des Etats du tiers-monde et des mouvements révolutionnaires iraient désormais à Pékin trouver dans les fermes collectives et les communes populaires la concrétisation du rêve socialiste. Cela susciterait, il faut le dire, chez les adversaires américains, des théories fantaisistes, mais lourdes de conséquences, telles que celle des dominos, qui allaient les entraîner dans les guerres en Asie, ou dans des opérations secrètes, sur le territoire américain même avec le programme Cointelpro, en Afrique, en Amérique Latine, et en Asie.

Quant à la thèse du lavage du cerveau rapportée par un journaliste américain après le refus de prisonniers de guerre américains d’être rapatriés aux Etats-Unis à l’issue de la guerre de Corée, elle allait ouvrir la voie à des recherches monstrueuses sur le LSD et la manipulation psychologique dont des citoyens américains serviraient de cobayes.

La guerre froide fut donc aussi dans une large mesure une conséquence du militantisme d’inspiration maoïste. En Malaisie, le Parti Communiste, composé de Chinois malais, s’engagea dans une guérilla à partir des années 50, entrecoupée de trêves parrainées par Pékin avec le pouvoir malais, qui ne déposa les armes qu’après la mort de Mao, au début des années 80.

Montée et chute du maoïsme dans le monde

En Indonésie, l’aventure des communistes, souvent d’origine chinoise, coincés entre les manipulations politiques du leader charismatique Soekarno, et l’armée indonésienne, se conclut tragiquement. Déjà en 1957 un soulèvement communiste avait échoué. Soekarno, considéré comme le père de l’indépendance indonésienne, nationaliste radical et tiersmondiste, s’engagea d’abord dans une aventure militaire qualifiée de Konfrontasi à Bornéo, contre la Malaisie soutenue par les Britanniques. Tenu en échec, il se débarrassa de tous les partis politiques, instaura un culte de la personnalité, et pour s’assurer le soutien populaire face à l’armée, décida une réforme agraire, soutenu en cela par le parti communiste ou PKK, dirigé par Aidit. Grâce au soutien opportuniste de Soekarno, le PKK, usant d’un discours maoïste, essaima et devint le parti le plus important  du pays, regroupant 22 millions de personnes. Cela inquiéta suffisamment l’armée, les propriétaires terriens, et les oulémas musulmans. L’assassinat en 1965, dans une caserne de l’armée, de 6 généraux, dans des circonstances non encore élucidées, servit de «casus belli», il fut considéré comme une tentative de prise du pouvoir par les communistes, et marqua le début du dénouement sanglant de la crise. Dans les jours, les semaines, et les mois qui suivirent, toutes les personnes suspectées de communisme furent impitoyablement traquées et abattues par les soldats aidés par la population. La répression aurait fait plus d’un million de morts. La communauté chinoise pourtant prospère fut décimée. Soekarno fut placé en résidence surveillée, et Aidit, le chef du PKK, assassiné. Le Général Suharto devint le nouvel homme fort du pays et son pouvoir caractérisé par la corruption et le népotisme dura autant que celui de Ben Ali, 23 ans.

En Afrique, les Chinois soutinrent activement les luttes anti coloniales, mais mis à part en Tanzanie, l’influence chinoise ne put s’implanter durablement. En Amérique du Sud le mouvement communiste Sentier Lumineux d’obédience maoïste, sous la direction d’Abimael Guzman et des intellectuels blancs de l’université d’Ayacucho, entama une guérilla longue et sanglante entre 1980 et 1992 dont les populations les plus misérables, les indiens des campagnes, censés en bénéficier, eurent paradoxalement le plus à souffrir. Le pays en fut dévasté. Le Pérou avait pourtant bénéficié d’une réforme agraire en 1972, sa population était dans une large mesure éduquée et citadine.

Le Cambodge en 1975 constitua le premier exemple d’un pays où la guérilla maoïste présidée par Tanat Sar dit Pol Pot, appuyée grâce à l’entremise de Pékin par l’ancien Roi, le Prince Sihanouk, prit le pouvoir après la retraite des troupes américaines, pour aussitôt transférer la population des villes vers les campagnes, afin d’y être rééduquée à la lumière des vertus supposées de la révolution culturelle. Cela finit par un génocide, puis par l’occupation du pays par les troupes vietnamiennes.

Le Népal fut le second pays où la guérilla maoïste sous la direction de Prachanda et Bhattarai, deux brahmanes éduqués, se développa dans les régions les plus reculées et les plus défavorisées de l’ouest du pays, entre 1996 et 2006, et finit par accéder aux plus hautes fonctions de l’Etat grâce à un processus électoral démocratique parrainé par l’Inde et les Etats Unis, après l’abolition de la monarchie.

Il est vrai que beaucoup d’anciens maoïstes envisagent maintenant de reprendre la lutte armée et considèrent avoir été trahis par la direction du mouvement, alors que sur le plan social, peu de choses ont réellement changé.

La survivance du maoïsme en Inde

Le dernier pays où une guérilla maoïste demeure aujourd’hui militairement et politiquement active est l’Inde, plus particulièrement l’Etat du Chhattisgarh autour de la ville de Bastar. La guérilla y est qualifiée depuis 1967 de Naxalite, à la suite de l’attaque de la gendarmerie de Naxalbari par un groupe armé.

Les Naxalites sont issus d’une scission du parti communiste indien aligné sur Moscou qui avait au départ appuyé le Parti du Congrès. Mais ainsi que l’a dit un de ses dirigeants, l’accession à l’indépendance a substitué à une exploitation britannique directe, une autre indirecte. Le nouveau parti se réclama de la pensée de Mao, ce qui est remarquable alors que l’Inde avait subi une sérieuse défaite militaire sur les confins de l’Himalaya contre l’armée populaire chinoise en 1962. Il se fixa comme objectif le soulèvement des campagnes, la réforme agraire, l’éducation, l’abolition du système des castes, et l’égalité des sexes. Mais il se discrédita en 1971 quand il s’aligna sur Pékin contre son propre pays l’Inde, dans la guerre contre le Pakistan.

En 2010 le ministre indien de l’Intérieur déclara que la plus grande menace pour la sécurité interne de l’Inde était constituée par les groupes maoïstes. Actuellement dans l’Etat du Chhattisgarh, réfugiés dans les forêts impénétrables, ils posent un sérieux problème à l’Etat Indien alors que de nombreux projets d’exploitation des richesses minières devraient voir le jour. Une sale guerre s’y était déroulée avec des massacres, des viols, perpétrés par les milices appelées Salwa Judum, qui furent dissoutes en 2011, en raison de leurs nombreuses exactions, mais les forces de police ou para militaires ne furent pas en reste. Il semble que depuis lors les groupes miniers aient conclu des accords financiers avec les Naxalites, passés au pragmatisme, mais dans un pays constitué d’une mosaïque de peuples où la tyrannie de castes est érigée en système et où les inégalités économiques les plus criardes persistent malgré le développement considérable réalisé depuis les années 90, la disparition de la violence politique ou sociale, ou communautariste ne semble pas être un objectif à portée de main, du moins dans l’immédiat.

Le maoïsme s’adapte à l’économie de marché

Du Népal jusqu’au Dekkan indien, un large territoire demeure susceptible d’abriter les rebellions armées contre l’Etat central, qu’elles soient sociales, régionalistes, ou communautaristes. Le destin en Inde du maoïsme est d’autant plus paradoxal, qu’en Chine, depuis l’arrivée de Deng Xiaoping au pouvoir en 1980, le pays est entré de plein pied dans l’économie de marché et est devenu une puissance économique et militaire de premier ordre. Et actuellement la menace chinoise a donc changé de dimension et de nature, et c’est en mer de Chine et face à Taiwan qu’elle est perçue avec le plus d’acuité par ses voisins.

Aujourd’hui c’est toujours le Parti Communiste qui est au pouvoir, et son secrétaire général, Xi Jinping est le président de la république, à vie depuis la réforme de la Constitution et l’abolition en 2017 de la limitation des mandats, et il fait l’objet d’un véritable culte de la personnalité à l’instar de celui dont avait bénéficié son illustre prédécesseur. Mais quoique lui-même et sa famille aient été les victimes des gardes rouges durant la révolution culturelle, il n’en préserve pas moins le culte de la mémoire de Mao dont le régime tire sa légitimité, et tolère quelque peu la contestation de tous ceux qui estiment nécessaire le retour à une société sans classe et contre l’appareil du parti.

Le secrétaire du parti de Tchungking, Bo Kilai avait dans une large mesure représenté l’espoir de ce courant anti-capitaliste mais sa chute en 2012 a pour le moment cantonné cette gauche radicale dans la sphère des bloggeurs et des manifestations culturelles.

En fin de compte l’internationalisme maoïste ne fut que la manifestation du nationalisme chinois. Face à l’Union Soviétique, qu’il jugeait être la menace principale, Mao n’a pas hésité à sacrifier les communistes de la Malaisie et de l’Indonésie, et l’aide apportée aux Vietnamiens obligea les Soviétiques à soutenir Hanoi, tout comme les Chinois s’étaient vus imposer la guerre de Corée par Staline.

La question demeure de savoir après l’échec du Grand Bond en Avant, si la Révolution Culturelle ne fut pas pour le président chinois l’occasion de se débarrasser de l’appareil de son propre parti qu’il jugeait de connivence avec les Soviétiques. La fuite mystérieuse et la mort du maréchal Lin Biao le corroborerait.

On peut d’autant plus être enclins à le penser que c’est immédiatement après, en 1972, que le président Nixon choisit de se rendre à Pékin, et la reprise des bombardements américains sur le Vietnam plus tard laisserait supposer sinon l’assentiment de la Chine, du moins la prise en compte de l’alignement de Hanoi sur Moscou.

Ho Chi Minh le leader vietnamien avait dans la même optique reconnu qu’il s’était inspiré dans une large mesure de la Guerre du Rif menée entre 1912 et 1920 par Abdelkarim El Khattabi contre les Espagnols, puis les Français, pour mobiliser le peuple vietnamien. Il n’en demeure pas moins que Mao demeure le grand théoricien de la guerre révolutionnaire dont l’enseignement est appliqué par toutes les guérillas du monde, y compris celles qui en sont idéologiquement les plus éloignées. Le dernier exemple réussi en est les Talibans en Afghanistan. Déjà en 2002 au Népal, le général Colin Powell, alors secrétaire d’Etat de l’administration Bush, avait déclaré que les Etats Unis avaient le devoir de combattre tout soulèvement armé contre le gouvernement de quelque pays que ce soit. Il visait certainement ceux qui visaient un changement économique et social radical. C’est dire combien aux yeux des stratèges américains, dans la guerre anti insurrectionnelle, c’est toujours le schéma maoïste qui sert de référence.

* Médecin de libre pratique.

  • « Maoism: A Global History », par Julia Lovell, Deckle Edge, septembre 2019.

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