Le parti islamiste au pouvoir doit apprendre à respecter la règle républicaine et dissocier ses querelles politiques des responsabilités que lui confère son choix d’être au gouvernement.
Par Hatem Mliki*
Aussitôt le parti de Béji Caïd Essebsi, Nida Tounes, crédité par les sondages d’environ 30% des voix pour les prochaines élections, la direction du parti islamiste a annoncé une de ses plus importantes décisions: ne pas participer aux débats auxquels sont invités les représentants de ce nouvel adversaire.
La stratégie de l’évitement des islamistes
En terme de communication, Ennahdha a choisi la stratégie de l’évitement face à un fait sociopolitique qu’elle ne peut ignorer pour longtemps. Ce choix tactique que le parti islamiste essaye de motiver vainement par la soi-disant participation de Rcdistes à Nidaa Tounès trouve ses fondements ailleurs (on sait tous que les Rcdistes sont présents dans tout les partis politiques y compris Ennahdha). Il s’agit d’un geste protectionniste que le parti islamiste ne pourra éviter dans le contexte actuel.
Les leaders d’Ennahdha, affaiblis par un mouvement de mécontentement populaire et accablés par une nouvelle architecture politique défavorable, ne peuvent plus s’exposer à l’exercice douloureux et pénible que les débats télévisés risquent de leur imposer. Les erreurs cumulées pendant une année d’exercice maladroit du pouvoir font des nahdhaouis une proie facile qui pourra être facilement dévorée par les partis de l’opposition, dont Nida Tounes.
Cependant le parti islamiste oublie une donnée fondamentale de nature à modifier substantiellement la nature et la portée de cette décision à savoir qu’il est au pouvoir.
Vue de cet angle, la décision d’Ennahdha signifie qu’elle se donne le droit, en tant que Etat et non parti politique, de choisir ses adversaires. Elle franchit ainsi la limite du comportement démocratiquement correcte et nous rappelle les années de dictature où l’Etat/Parti procède à l’exclusion, peu importe le motif, de ses adversaires en rejetant, juridiquement ou de fait, leur existence.
Dissocier les querelles politiques des responsabilités du pouvoir
A travers cette directive Ennahdha oublie, ou bien fait semblant d’oublier, que loin des considérations partisanes elle doit se comporter en tant que garant de la liberté, la citoyenneté et la sécurité de l’ensemble des Tunisiens quelles que soient leurs appartenances politiques et quel que soit le conflit politique qui l’oppose à une partie de cette population.
Le parti islamiste a certainement, en sa qualité de parti, le droit de choisir ses alliés et de désigner ses adversaires, mais il n’a certainement pas le droit, en tant que parti au pouvoir, de ne pas obéir à la règle de base du comportement républicain l’obligeant d’être à l’écoute de tout citoyen ou parti du moment qu’il est juridiquement constitué dans la légalité.
Le chef du gouvernement qui, il y a quelques jours, faisait allusion aux déclarations des représentants des partis alliés à Ennahdha en leur rappelant qu’on ne peut pas être à la fois au gouvernement et dans l’opposition, comprend certainement que son parti doit également respecter la même règle et dissocier ses querelles politiques des responsabilités que lui confère son choix d’être au pouvoir.
* Consultant en développement.
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