Béji Caïd Essebsi semble s’être résigné à accepter la passion pour le pouvoir de son fils Hafedh et à l’aider à parfaire sa formation politique.
Par Yassine Essid
Depuis quelques semaines, le chef de l’Etat n’arrête pas de consulter : des dirigeants de partis politique dans et en dehors de la coalition, des membres d’associations, les experts en ceci et les experts en cela, sans parler de certains individus reconnus pour leurs activités cérébrales élevées comme d’authentiques intellectuels patentés et diplômés. L’issue de ce va-et-vient incessant reste naturellement de l’ordre du confidentiel et du symbolique. On ignore si cette suractivité déboucherait un jour sur une nouvelle stratégie dans la conduite des affaires du pays ou si elle n’était, en somme, qu’un aimable passe-temps de l’indifférence d’une personne bien mal à l’aise dans ses habits étriqués d’un président de la république qui croit encore que son statut lui confère un rôle prédominant dans la conduite des affaires de l’Etat.
Une éducation politique
La semaine dernière, Béji Caïd Essebsi avait reçu les deux dirigeants de je ne sais plus quelle version de Nidaa Tounes et, devant un auditoire réduit à quatre personnes, deux oreilles amies semblaient écouter avec déférence et humilité les propos présidentiels. A un détail près : la précellence inaccoutumée accordée à l’adjoint sur le premier responsable du parti. En effet, c’est bien le fils Caïd Essebsi, l’inévitable Hafedh, qui occupe le fauteuil d’honneur. Ridha Belhaj, relégué au second plan, lui sert d’aide et de renfort. Bref, d’accessoire.
Connaissant les capacités limitées de jugement du fils, le président ne sait plus quel parti prendre, quelle action engager. C’est qu’il l’imagine mal exposant avec assurance son point de vue face à la crise, son savoir-faire en matière de stratégie de communication, d’organisation des structures du parti, d’intégration des jeunes et de relations avec les autres formations politiques. Il ne peut plus souffrir les façons qu’a son fils de s’empêtrer dans ses propos brouillons, de chercher maladroitement à imposer ses idées, son autorité et sa volonté aux autres membres du parti et d’user de cette maudite filiation d’une façon si arrogante. Béji Caïd Essebsi est plus que jamais disposé de tout mettre en œuvre pour parfaire son éducation politique sans, évidemment, diminuer d’un iota son amour paternel.
Qu’il ait ou non du talent, chaque père reconnaît toujours son fils pour son fils et, plus communément, les parents considèrent obstinément leurs enfants comme leurs petits qui ne grandissent pas. A leur tour, les enfants, même âgés, idolâtrent toujours la figure paternelle. Alors Béji Caïd Essebsi, en dépit de tous les principes du protocole, devra désormais prendre son fils Hafedh entre ses bras, le poser sur ses genoux et, tout en lui caressant les cheveux, lui rappeler à voix basse et sans l’effaroucher, que toute entrée dans une profession, quand bien même elle serait tardive et inappropriée à la personne, n’est pas donnée à tous. Qu’il doit par conséquent intérioriser des normes et une déontologie qui orientent l’action des membres de cette profession. Ceci est encore plus vrai lorsqu’il s’agit de politique, qui n’est pas une profession et encore moins un passe-temps. Il lui conseillera d’abord d’asseoir ses connaissances sur des bases solides à travers quelques lectures appropriées de philosophie et de morale bien à sa portée: tels les œuvres de Platon et d’Aristote, ‘‘Le Prince’’ de Machiavel, ‘‘Le Contrat social’’ de Rousseau, L’‘‘Introduction au principe de morale et de législation’’ de Jeremy Bentham, quelques fragments des œuvres de Karl Marx et de Max Weber et, pour se détendre, de lire ‘‘La Comédie humaine’’ de Balzac.
Il lui dira que ces auteurs, et bien d’autres, lui apprendront certainement que la vocation d’homme politique ne repose pas seulement sur la passion pour le pouvoir, dusse-il être le fruit d’un supposé héritage intellectuel, mais exige de rebutantes vertus : donner un effort à son esprit, être patient, adhérer à l’éthique de la légalité, faire attention à l’importance du relationnel et à la connaissance des ressorts de la communication, adapter ses discours à la réalité et apporter des réponses concrètes à des problèmes concrets. Mais pour atteindre cette perfection, il doit surtout apprendre à mieux rassembler ses idées et à mieux les formuler. Il lui expliquera que le pouvoir n’est plus, hélas, l’exercice de la force mais l’art d’instaurer de bonnes lois pour le peuple. Et tout en lui reprochant son ambition et son obstination précoces, il lui rappellera qu’il devra faire profession d’homme de bien.
Et tant pis pour Nidaa Tounes
Quant aux rites et pratiques religieuses, Hafedh Caïd Essebsi devra pour cela mieux apprendre l’arabe en vue de se familiariser avec le Coran, le texte fondateur, bien connaître les hadiths de l’Envoyé de Dieu et de ses Compagnons et s’initier aux subtilités de l’exégèse. Autant de domaines désormais nécessaire pour la culture religieuse d’un responsable dont le parti est appelé à s’allier davantage aux islamistes pour réaliser la Tunisie de demain. Pour ce faire, il le confiera volontairement à son parrain qui aura la responsabilité d’accompagner son filleul dans son éducation religieuse et lui éviter le risque l’errance éternelle. Le cheikh Rached Ghannouchi, le président du parti islamiste Ennahdha, lui voue en effet une affection particulière qui se loge à l’intérieur de cette parenté construite. Le parrain n’est-il pas l’accompagnateur attitré de l’enfant dans cette socialisation spirituelle? N’est-il pas celui qui, tour à tour, donne, guide et conseille ; celui aussi qui, en cas de défaillance parentale, peut remplacer les parents?
Hafedh Caïd Essebsi a atteint ce moment de la vie où l’on prend conscience qu’on n’est pas seulement le prolongement de ses parents, mais bien une personne à part entière et devra prendra ses distances comme il peut. Son père s’est résolu à cette pénible et désormais incontrôlable réalité et consent qu’il est de plus en plus inutile de vouloir brimer cette détermination. Alors il le laissera voler de ses propres ailes tout en balisant son chemin le plus discrètement possible et tant pis pour Nidaa Tounes !
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