Les causes les plus justes ne sauraient justifier, en aucun cas, les déclarations outrancières et haineuses ou les spéculations farfelues, qui ne font avancer ni la justice ni la démocratie.
Par Salah El-Gharbi
Après la lancinante affaire de l’hôpital Habib Bourguiba de Sfax, paralysé pendant plusieurs semaines, une fois encore, la population se trouve prise en l’otage suite au conflit qui oppose, depuis quelques jours, les agents de la poste à l’appareil judiciaire.
Ironie de l’histoire, au moment où le président de la république discute des modalités de mise en place d’un «gouvernement d’unité nationale», nous voilà, à nouveau, témoins d’un pitoyable bras-de-fer entre l’Administration (ici judiciaire) et l’Union générale tunisienne du travail (UGTT).
Pire encore : ce conflit est devenu prétexte à une virulente campagne de dénigrement contre l’autorité judiciaire dans son ensemble, qui n’est certes pas irréprochable, mais qui, comme le reste du pays, fait de son mieux pour s’acquitter de sa mission, tout en continuant à se réformer pour se mettre aux standards internationaux dans ce domaine.
Du désordre ordonné à la totale anarchie
Il est vrai qu’avec la «révolution» du 14 janvier 2011, on est sorti d’un état de désordre ordonné à un état de totale anarchie qui perdure grâce à la bénédiction de cette génération spontanée de «militants», de «démocrates», toutes tendances confondues, qui jouent aux apprentis sorciers cherchant à mettre à genou l’autorité d’un Etat moribond.
Aujourd’hui, s’il est légitime, voire même indispensable, de critiquer, de dénoncer toutes sortes d’abus, de dysfonctionnements des autorités, judiciaires ou autres, il est aussi de l’intérêt de tous que le ministère de la Justice travaille dans la sérénité et que la justice reste en dehors des enjeux politiques et à l’abri des manœuvres politiciennes.
Aujourd’hui, l’état de la justice, comme celui de la santé ou de l’enseignement, est le reflet du pays et de ses citoyens. Nos juges nous ressemblent. Ils ne sont ni pires, ni meilleurs, à l’image de nos médecins et de nos enseignants. Aux manichéens, à ceux qui nous présentent, depuis cinq ans, la réalité en noir et blanc, en s’arrogeant le beau rôle, celui du défenseur de la veuve et de l’orphelin, doivent comprendre qu’ils se trompent et qu’ils abusent par conséquent de la crédulité des âmes simples.
Démocratie, justice et vacarme public
Quelle justice voulons-nous? A écouter les discours enflammés de nos vertueux militants, la justice ne serait juste que lorsqu’elle nous est favorable, qu’elle s’aliène. Autrement, elle serait «corrompue», «inféodée»… Que fait-on, en jetant les juges en pâture à la vindicte publique, sinon combattre l’arbitraire par l’arbitraire.
Quoi qu’on dise, ce vacarme public, forcément amplifié par les médias, dont c’est aussi le rôle, ne peut aucunement aider la justice à évoluer. Ce n’est pas en déstabilisant un corps aussi important que celui des juges qu’on espère apaiser une société qui vit depuis cinq ans un véritable traumatisme moral, politique…
L’enjeu est grand et les hommes politiques doivent en être conscients et donner surtout l’exemple en faisant preuve de retenue dans leurs discours. Car, depuis des mois, on assiste à la prolifération des mots «corrompus», «corruption»… utilisés à tous propos, avec désinvolture, souvent d’une manière abusive, par des personnalités publiques, la plupart du temps pour des motifs inavoués, qui pour régler ses comptes avec un rival, qui pour se refaire une «virginité» aux yeux du grand public, qui pour s’assurer du crédit…
Certaines causes, aussi justes soient-elles, comme celles de la recherche de la vérité sur les assassinats de Chokri Belaid et Mohamed Brahmi, ne devraient, en aucun cas, justifier les déclarations les plus outrancières, les plus haineuses, ni les spéculations les plus farfelues.
A titre d’exemple, affirmer ostensiblement que si l’enquête à propos de cette affaire «piétinait», ce serait dû à un éventuel «accord entre Ennahdha et Nidaa» est une aberration non-productive, électoralement parlant. Ce n’est pas en faisant les fanfarons au sein de l’Assemblée, avec des déclarations incendiaires que l’on pourrait faire avancer une aussi jeune démocratie que la nôtre.
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