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Un plan de sortie pour Habib Essid

Caid-Essebsi-Aid-El-Fitr

Les trois présidents à la cérémonie de l’Aid El-Fitr mardi au Palais de Carthage. 

Malgré toutes ses amères déconvenues, le pouvoir demeure la principale raison d’être d’Habib Essid. Alors, en attendant, il fait comme si rien n’était.

Par Yassine Essid

«On ne change pas une équipe qui gagne». Cette expression empruntée au vocabulaire sportif, qui signifie que toute chose donnant entière satisfaction ne saurait être remise en question, aurait l’air d’inspirer toujours Habib Essid qui n’a pas l’air de douter un seul instant de son succès.

En politique comme sur les tables de jeux

L’actuel état d’esprit du Premier ministre ressemble pourtant à celui d’un joueur de casino impénitent qui commence par des petites mises, lance quelques jetons: petits gains et pertes légères excitent son appétence et l’embarquent dans une passion dévorante. Il se prend au jeu, gagne, perd et se ruine. Ses amis le quittent, ses parents l’évitent, il est rabaissé aux yeux des autres et sa santé en prend même un coup. On ne veut plus de lui. Mais au lieu de fuir à jamais tripots et casinos, il revient dès la première tentation, incapable de résister à l’insatiable désir de se refaire. L’attrait du gain lui rappelle les tables de jeux, les mains des joueurs qui se crispent et s’agitent, la joie débordante des uns et l’état de détresse de ceux qui voient se dissiper en une nuit les profits d’une vie de labeur. Mais au diable les scrupules. Il s’en va implorer ses créanciers de lui accorder une dernière rallonge car cette fois, il est sûr d’attirer la chance, sent qu’il doit plus que jamais retourner pour «se refaire» et rattraper ses pertes. Mais il perd plus encore, tombe dans la pire des misères et se suicide.

Sans aller jusqu’à ces tragiques dénouements, le Premier ministre, à l’image de notre joueur, semble afficher par son attachement excessif à son poste le comportement addictif de celui qui ne connait rien à la politique. Il espère en effet prolonger davantage sa mission, refuse de reconnaître qu’il a échoué dans tout ce qu’il a entrepris, persiste dans son obstination à ne pas vouloir partir, pourfend ses opposants et implore presque une seconde chance. Mais en politique comme sur les tables de jeux, on se croit plus malin que les autres, mais on n’arrive jamais à tromper la roulette.

L’incompétent, l’impitoyable patriarche et le cheikh sans scrupules

Trahi, Habib Essid invoque à tout bout de champ ses rapports avec Béji Caïd Essbsi qu’il estime fondés sur le respect et la considération. Il rappelle qu’il est toujours «à la disposition du pays», qu’il s’engage même à œuvrer, une fois reconduit, «à garantir toutes les conditions de réussite».

Aucun n’est totalement dupe. Beaucoup autour de lui pensent tout bas et parfois tout haut qu’il a fait son temps. Mais ce serait ignorer l’atavisme politique dans le Tiers-monde où l’on est conscient du caractère éphémère du pouvoir, à quel prix il s’acquiert et, à l’occasion, se conserve. Dans ce domaine, le comportement du Premier ministre est attristant et ne fait que rendre encore plus problématique son maintien. Bien qu’on ne cesse d’invoquer son départ comme un préalable pour un gouvernement d’une hypothétique union nationale, qu’on lui cherche déjà un remplaçant, qu’on cite même des noms, il passe des petits coups de langue sur tous ceux qui tiennent son destin entre leurs mains : le patriarche à l’inhumanité impitoyable et son cheikh affranchi de scrupules, lui préparent probablement un abandon cynique.

Ainsi le sauveur d’hier si adulé, encensé, jouissant d’un crédit ouvert, défendu contre ses nombreux détracteurs, est devenu le plus grand des incompétents, mystifié par le monarque absolu et ses familiers.

Caid-Essebsi-Mohamed-Ennaceur-et-Habib-Essid

L’automne des patriarches… 

Cependant, les insupportables discordes, jalousies, intrigues, cabales de toute espèce ourdies contre lui, n’ont pas réussi à lui faire entendre raison. Car il faut quand même reconnaître à quel point son bilan est désastreux. La situation du pays, déjà brinquebalante, s’est aggravée depuis sa nomination comme chef de gouvernement. Pourtant lorsqu’on lui rappelle qu’il n’a jamais cessé de regarder impassible la société tomber en déliquescence, qu’il n’a jamais été au bout d’un seul grand projet, et qu’il a toujours été en panne d’autorité envers ses ministres, il tombe dans le déni et invoque la relativité, la vitesse de la lumière, donne les équations reliant la distance, la vitesse et le temps et prétend que rien n’interdit à un mauvais chef de gouvernement de diriger un nouveau.

Rien donc ne le fera changer d’avis. Chaque matin il se réveille convaincu d’avoir raison contre tous, affirme que le travail doit être achevé, qu’il suffit de régénérer son entourage, et qu’en fin de compte son programme et celui du gouvernement d’union nationale ne diffèrent que par leur timing.

Plongé dans la dénégation, refusant la réalité perçue comme douloureuse, hanté par la peur de «l’après», il se protège comme il peut en invoquant le caprice du fils, l’ambition des jeunes impatients, la déloyauté, les mensonges et l’exécrable trahison.

Les départs ratés et la peur des lendemains 

Malgré toutes ces amères déconvenues, le pouvoir demeure sa principale raison d’être, sinon la seule. Alors, en attendant, il fait comme si rien n’était. Etale une activité aussi débordante qu’insolite dans ces moments d’incertitudes: il s’enquiert de la filière laitière, s’informe sur les travaux de la 27e session extraordinaire du Conseil oléicole international, examine les questions relatives aux domaines de l’Etat, discute de l’agenda diplomatique du ministre des Affaires étrangères, se voit réconforter dans sa politique par la présidente du patronat.

Les récentes déclarations d’Habib Essid portent le relent d’une mission ratée et d’une aventure manquée qui devraient normalement l’exhorter à se démettre le plus vite. C’est qu’il n’a ni la fraîcheur physique ni l’acuité intellectuelle indispensable pour pouvoir solliciter une seconde confiance. Il est comme quelqu’un qui devrait arrêter de fumer s’il ne veut pas mourir et opter pour une vie rangée qui lui vaudra de rester en bonne santé. Autrement il regrettera de ne pas avoir eu la prudence quitter la scène politique à temps, dans l’honneur et le respect de soi.

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