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1er novembre 1954 : L’Algérie, de la sédition à la nation

Le 1er novembre 1954 fut le véritable début de la fin du pouvoir colonial en Algérie, et l’acte fondateur de nouveaux rapports avec la France.

Par Dr Mounir Hanablia *

Dans les trois départements français qui constituaient l’Algérie, en cette fin octobre 1954, les choses avaient été anormalement calmes. Cela faisait déjà plusieurs années que la lutte contre le colonialisme avait été engagée en Tunisie et au Maroc, depuis 1952, mais en Algérie, mis à part l’épisode de l’Organisation Spéciale dite OS dont les membres avaient arrêtés en 1950 suite au hold-up de la poste d’Oran, seul un petit maquis constitué en Kabylie depuis 2 ans sous l’égide de Krim Belkacem défiait l’autorité coloniale, qui s’en était plus ou moins accommodée comme une forme de banditisme local qui ne prêtait pas trop à conséquence.

Divisions et luttes fratricides

Sur le plan politique, le parti appelé Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), fondé par le leader algérien indépendantiste Messali Haj, s’était finalement scindé en deux factions, celle fidèle au vieux leader, et celle du comité central dite centraliste, qui, regroupée autour de Hussein Lahouel, l’adjoint au maire d’Alger Bernard Chevallier, avait fini par rejeter ce qu’elle estimait être le diktat et le culte de la personnalité instaurés par le «zaïm» (leader).

Le Parti indépendantiste était donc profondément divisé et la lutte entre les deux factions avait fini par en paralyser toute velléité d’action contre l’autorité coloniale, qui y avait trouvé son compte.

Quant à l’Union Démocratique du Manifeste Algérien du pharmacien Ferhat Abbas, d’abord favorable à l’intégration au sein de la France, il avait évolué vers une position indépendantiste mais sa ligne légaliste, réclamant l’instauration d’un collège électoral unique comme premier pas, n’avait pas abouti face à l’intransigeance du colonat dont les représentants étaient élus, une fois à Paris, finissaient par constituer un lobby incontournable dans la vie politique française, garantissant les intérêts de leurs commanditaires. Et en Algérie, en 1954, le grand colonat c’était d’abord Borgeaud, le roi de la céréale et de la vigne, Schiaffino, l’armateur, et Blachette, le roi du liège.

Le collège des indigènes, séparé de celui du Européens, voyait ses représentants  élus grâce à un simulacre d’élections où la carotte et le bâton étaient d’usage courant pour convaincre les électeurs de voter dans le sens voulu par les autorités coloniales.

Finalement, avec la scission survenue dans le MTLD, le mouvement indépendantiste algérien s’était égaré dans ses luttes fratricides.

C’est dans ces conditions très sombres qu’un certain nombre de militants, déçus de Messali, des Centralistes, et de leurs disputes, avec parmi eux des membres de l’OS, avaient décidé de se regrouper, pour suivre l’exemple du Vietnam, qui, à Diem Bien Phu, avait mis fin à l’occupation française, en déclenchant  la lutte armée à l’instar des mouvements nationalistes en Tunisie et en Algérie.

Pour ce faire, ils avaient fondé un Comité révolutionnaire d’union et d’action (Crua), agissant dans la clandestinité la plus totale. Présidé par Larbi Ben Mhidi, Mustapha Ben Boulaid, Rabah Bitat, Mourad Didouche, Krim Belkacem, et Mohamed Boudhiaf, ce comité avait choisi de déclencher l’insurrection sur tout le territoire algérien afin de faire savoir au monde que le peuple algérien avait choisi de se battre contre l’occupation et la colonisation, et qu’il entendait se libérer et constituer un pays indépendant.

L’insurrection du 1er novembre 1954

La date du soulèvement devait donc nécessairement être choisie pour frapper les esprits et finalement c’est celle du 1er novembre 1954, qui fut retenue, parce qu’elle correspondait, pour les Français, à la fête de la Toussaint.

Dire que les nationalistes disposaient des moyens nécessaires à la réalisation de leur objectif serait certes très exagéré; mis à part le groupe des Kabyles de Krim, et des Chaouis de Ben Boulaid, des montagnards peu de militants disposaient d’armes, tout au plus quelques fusils de chasse, de pistolets de fabrication artisanale, de cocktails Molotov, et de quelques explosifs artisanaux de faible puissance.

La cellule de l’Algérois étant affaiblie, les Kabyles avaient accepté d’envoyer un groupe de soutien armé.

Une semaine avant le début des opérations, les chefs historiques de la révolution algérienne se réunirent une dernière fois à Alger sur la place des canons; conscients de l’importance et du caractère hasardeux de l’entreprise ainsi que de l’incertitude de leurs futures retrouvailles, ils posèrent pour une photo souvenir devait immortaliser cette ultime rencontre.

L’action se déroula dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre contre des dépôts, des hangars, et ne firent à Alger, Oran que des dégâts matériels légers.

Dans le Constantinois, Didouche Mourad devait trouver la mort dans un accrochage avec  l’armée française.

Par contre l’Aurès s’embrasa, les routes furent coupées, des casernes attaquées, des communautés isolées. Quelques Français, des civils, furent abattus. La situation y devint à ce point sérieuse que le gouvernement d’Alger dépêcha sur place les parachutistes du colonel  Ducourneau qui, sur les crêtes des montagnes, engagèrent de sévères accrochages avec les maquisards algériens.

L’insurrection dans l’Aurès devait durer jusqu’à la fin de la guerre. Mais si les pertes humaines (10 morts) et les dégâts matériels des attentats furent, au regard des objectifs assignés par la résistance, minimes, leurs impacts psychologique, médiatique, et politique furent, en réalité, énormes, aussi bien en Algérie qu’en France.

Les événements de la Toussaint furent d’abord une surprise totale pour les organes de sécurité intérieure français; les renseignements généraux avaient bien eu vent d’un regroupement secret d’anciens membres de l’OS mais ils n’avaient pas pu en connaître les projets et avaient été réduits à essayer de les connaître avant d’agir.

La presse coloniale algérienne parla de Toussaint Rouge, de bandits et mit en exergue le calvaire de deux  jeunes instituteurs français abattus dans un autobus dans l’Aurès. Bien sûr elle trouva là l’occasion propice pour prôner un durcissement à l’encontre de ceux qu’ils nommaient les musulmans, et exigea le renvoi de toute velléité de réforme égalitaire entre les communautés.

Le gouvernement français, évidemment pour complaire au grand colonat, parla, lui, de rebelles et de rébellion. Un certain François Mitterrand, alors ministre de l’Intérieur, devait prononcer sa célèbre phrase annonciatrice de huit années de guerres coloniales: «Il n’y aura aucun ménagement contre la sédition, aucun compromis avec; la seule négociation avec les rebelles, c’est la guerre!». Il devait poursuivre : «La France est chez elle en Algérie et n’y tolérera aucune autorité autre que la sienne».

Toute l’ambiguïté des gouvernement français pendant la guerre d’Algérie devait donc se résumer dans les déclarations de Mitterrand: oublier la guerre et ne plus parler que d’opérations de maintien de l’ordre; oublier qu’il y eût un conflit d’essence politique et user d’une catégorisation punitive d’ordre juridique, celle de rébellion et de sédition contre l’Etat français; nier qu’il y eût un peuple algérien, et évoquer une affaire intérieure française; enfin nier toute possibilité de négociation avec l’organisation rebelle, avant que le conflit ne se fût conclu au grand dam de l’armée française avec les négociations d’Evian.

Un impact énorme sur le peuple algérien

Mais la Toussaint algérienne eût un impact également énorme sur le peuple algérien, parce que, pour la première fois, une organisation prétendant le représenter dans sa totalité dépassait les clivages politiques entre les partis, et l’appelait à la rejoindre dans le combat pour son pays jusqu’à  l’indépendance.

En s’assignant un but politique clair, l’indépendance, sur la foi d’un principe universel, celui de la liberté, et en usant de la lutte armée contre l’injustice coloniale, le Front de libération nationale (FLN) devait obtenir l’adhésion de la plus grande partie de la population, de la totalité de son intelligentsia, et rendre illusoire la recherche par le gouvernement français d’une troisième force algérienne nécessaire à l’acceptation du plan de réformes que la France s’était trouvée contrainte de proposer aux musulmans pour garder l’Algérie.

Le 1er novembre 1954 fut donc le véritable début de la fin du pouvoir colonial en Algérie, et l’acte fondateur de nouveaux rapports avec la France. Il n’en demeure pas moins qu’aucune lutte anticoloniale ne peut se prévaloir de la justesse de sa cause pour préjuger de son triomphe.

L’exemple de la Palestine, le prouve bien, où la lutte armée et l’insurrection populaire, pour ne pas dire les guerres, n’ont finalement mené à rien. La lutte armée n’est donc  justifiable que lorsque le rapport démographique, le contexte politique, et la situation géographique le permettent. Or en Palestine, la situation a toujours globalement été défavorable aux Palestiniens et l’intégration leur y est interdite. Leur seule chance sera donc dans leur capacité de s’y maintenir, en particulier dans l’état d’émiettement actuel du monde arabe. Il ne faut certes pas être pessimiste, mais autant dire qu’ils sont partis pour un second siècle d’occupation après la déclaration Balfour.

* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.

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