Le bilan de l’Accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca) avec l’Union européenne (UE), dont le 2e cycle de négociations s’ouvrira demain, lundi 28 mai 2018, à Tunis, risque d’être mitigé. La transparence et la simplification de son contenu permettront de dissiper les équivoques qui l’entourent.
Par Bassem Karray *
L’engagement de ce deuxième cycle de négociations sur l’Aleca intervient dans un contexte d’incertitude politique interne puisque le devenir gouvernement, qui mène sous ses auspices les négociations, serait décidé le jour même du déclenchement du cycle. Or, une bonne et fructueuse des négociations suppose pour son bon déroulement une sérénité politique.
En plus de ce facteur déstabilisant, l’Aleca continue, en soi, à faire l’objet de positions divergentes, fondées, dans la plupart des cas, sur une méconnaissance du contenu même du futur accord.
Certains s’opposent farouchement à cet accord qui est, à leurs yeux, inapproprié face à la vulnérabilité du contexte économique; d’autres, le présentent comme une solution sine qua none pour la relance économique de la Tunisie, mais sans qu’ils donnent d’arguments percutants permettant d’apaiser les tensions.
Sans afficher un refus démagogique, qui se ressource de la méfiance de tout ce qui provient de l’Occident, et sans s’aligner aveuglement à la position de ceux qui défendent âprement les vertus de cet accord; on se propose à travers cette étude de mener une analyse plutôt juridique du contenu de ce futur accord.
Cette analyse, qui est basée sur l’offre européenne d’avril 2016, nous permettra de dégager des commentaires et des recommandations qui peut être utile aux négociateurs tunisiens, qui ne manquent pas, certes, de compétence et d’engagement.
Au-delà de la pertinence de la lecture économique prospective des incidences de cet accord sur l’économie tunisienne et du bien fondée des revendications sociales, l’analyse du projet d’accord permet d’éclaircir certains points et d’écarter, par là-même, des incompréhensions, même au sein de l’élite politique.
D’abord, les négociations reposent sur le principe d’ouverture puisque les organismes de la société civile tunisienne et européenne sont associés au dialogue; d’ailleurs, on parle du dialogue tripartite. Plusieurs organismes de la société civile sont groupés, à cet effet, autour du réseau Euromed Rights. L’implication de ces acteurs constitue une innovation majeure en droit international. Comme cette expérience est dans ses débuts, l’information de la société civile reste parfois limitée et tardive; mais en tout état de cause, cette implication est, à plus d’un titre, bénéfique puisqu’elle permet de démystifier le processus et de favoriser sa réceptivité socioéconomique.
D’ailleurs, le Parlement européen a exigé dans sa résolution du 26 avril 2016 «qu’il est impératif de conclure un accord exemplaire de nature à apaiser les inquiétudes exprimées par la société civile». Dans le point 23 de la résolution, le parlement «encourage la Commission européenne et le gouvernement tunisien à mettre en place un processus clair et précis de participation des sociétés civiles tunisienne et européenne tout au long de la négociation, et de faire preuve d’innovation».
Outre l’objectif de lever les incompréhensions qui entourent l’offre européenne, cette participation de la société civile serait une opportunité pour tirer profit de l’expertise que la société civile peut apporter.
Ensuite, l’Aleca est encore, à ce stade, une simple offre émanant de l’UE prenant la forme d’un document de départ pour les négociations. Cette offre n’est pas spécifique à la Tunisie mais à tous les pays partenaires de l’UE; d’où on peut la qualifier d’offre-type qui devra être ajustée et remodelée lors des négociations. Sa contrepartie logique ne serait qu’une contre-offre formulée par la partie tunisienne.
L’offre européenne contient les onze chapitres suivants : les mesures de sauvegarde et défense commerciale; les marchés publics; la concurrence et autres dispositions économiques; les obstacles techniques au commerce; les procédures douanières et facilitation des échanges; la transparence; l’agriculture; le commerce et le développement durable; les mesures sanitaires et phytosanitaires; le commerce des services, investissements et commerce électronique; le droit des propriétés intellectuelles.
Certains de ces domaines figurent déjà dans l’actuel accord d’association, d’où la proposition européenne vise à approfondir et élargir le dispositif existant; d’autres n’y figuraient pas. La teneur de l’offre diffère pour ces derniers puisque pour certains domaines (tels que les services, l’investissement et le commerce électronique) le dispositif est relativement exhaustif; alors que pour l’agriculture, le document présenté prend la forme d’une fiche technique sur les modalités de négociations.
Loin de pouvoir analyser tous ces chapitres on s’arrêtera sur ceux relatifs aux marchés publics, aux mesures de défense commerciale y compris les sauvegardes, aux règles de concurrence, aux obstacles liés au commerce et au commerce des services, des investissements et commerce électronique.
Nos conclusions seront certainement partielles dans la mesure où elles ne couvrent pas le reste des chapitres qu’on aura l’occasion d’y revenir dans une autre étude. Avant de procéder à l’analyse de ces quatre domaines, on commencera par la présentation des principes généraux commandant les négociations et des questions transversales couvrant l’ensemble des chapitres.
I/ Principes et questions transversales des négociations
1/ les principes de négociations
Les négociations reposent sur un ensemble de principes prévus par le document conjoint d’avril 2016. Il s’agit des principes d’asymétrie, d’ouverture progressive, de rapprochement à l’acquis de l’UE,
Pour le principe d’asymétrie; il est prévu que la Tunisie bénéficiera d’une période de transition comprise entre 0 et 10 en fonction des produits. Ne serait-il pas loisible de prévoir dans le futur accord que les deux parties évaluent d’une manière périodique les résultats et apprécient l’état des lieux pour décider conjointement soit la fin de la période transitoire soit sa reconduction? Ceci permet d’ajuster la libéralisation en fonction de l’aptitude de l’économie tunisienne à affronter la concurrence.
Pour le principe de l’ouverture progressive accompagnée de l’appui nécessaire à la compétitivité de l’entreprise, l’offre ne le retient pas, par exemple, en matière de sauvegarde et de défense commerciale. Il est recommandé que l’UE apporte un appui sous ces formes : technique, logistique, humain et financier; plutôt que de décrire ou de reprendre des dispositions juridiques figurant dans des accords commerciaux multilatéraux.
Pour le principe de rapprochement réglementaire à l’acquis communautaire, certains chapitres parlent plutôt d’un alignement sur l’acquis pertinent de l’UE. La difficulté majeure consiste dans la délimitation de l’acquis pertinent de l’UE qui comprend, outre la législation européenne (droit primaire et droit dérivé), l’interprétation fournie par la Cour de Justice de l’UE ainsi que les actes non normatifs (résolutions, déclarations, communications…) et les principes et objectifs de l’Union. C’est tout simplement l’ensemble des réalisations jusque-là accomplies dans les champs de compétences de l’Union. Il est couramment présenté comme le socle commun des droits et obligations qui lient l’ensemble des Etats les membres de l’UE. Cet acquis est un référentiel majeur dans les relations entre la Tunisie et l’Union.
L’une des exigences fondamentales pour la Tunisie au cours de cette étape du processus de négociations consiste dans la détermination des écarts constatés en Tunisie par rapport à l’acquis communautaire dans tous les domaines couvert par l’offre européenne. On désigne par ceci l’analyse du degré de rapprochement législatif et réglementaire par rapport à l’état du droit européen.
Des études doivent être faites pour mesurer l’impact des éventuelles actions à entreprendre et le niveau de concession à accepter. Il est à signaler que cet écart est réduit dans certains domaines alors qu’il est plus au moins important dans d’autres.
2/ Les questions transversales
Les questions transversales qu’on se propose d’aborder portent sur le statut de la Tunisie dans l’offre, sur la synergie entre l’Aleca et l’accord de facilitation des visas et l’approche sectorielle.
Pour le statut reconnu à la Tunisie; suite à une lecture transversale des différents chapitres de l’offre européenne du 19 avril 2016, on a dégagé une disparité dans le statut reconnu à la Tunisie, et partant, au traitement y afférant. En vertu de l’article 3 c) du chapitre concurrence la Tunisie est assimilée en matière d’aide d’Etat «aux zones identiques de l’Union visées à l’article 107, point a) du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE)». Il s’agit de zones où le niveau de vie est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous-emploi. Par contre, dans le chapitre relatif aux marchés publics, il est proposé d’appliquer le principe de traitement national, même sans reconnaissance des préférences nationales. Ce dédoublement de traitement risque de ne pas servir les intérêts de la Tunisie.
Pour la synergie entre l’Aleca et la question de facilitation des procédures de visas, l’UE a proposé à l’Etat tunisien, outre l’accord sur la réadmission qui est largement contesté par la société civile, un accord sur la facilitation des visas.
La négociation sur cet accord devra être menée, selon la partie européenne, d’une manière séparée par rapport à l’Aleca en raison du mandat que la commission a obtenue. Selon les services de cette dernière, la commission n’est pas habilitée à négocier le contenu l’accord sur les visas dans la mesure où il rentre dans les compétences des Etats et non de l’UE.
Néanmoins, plusieurs dispositions de l’offre européenne dans l’Aleca abordent la mobilité de la main d’œuvre et des cadres notamment d’entreprise; citons à titre d’exemple l’article 17 du chapitre relatif au commerce des services, investissements et commerce électronique relatif à la présence temporaire de personnes physique à des fins professionnelles. La question des visas traverse l’Aleca puisqu’elle touche les ouvriers et les cadres d’entreprise ainsi que les chercheurs. D’où, il est recommandé de joindre les négociations sur l’accord des visas à l’Aleca.
Pour l’approche sectorielle, elle a le privilège de spécialisation et permet d’aborder les questions spécifiques d’une manière verticale. En revanche, cette approche doit reposer sur un recoupement des différentes dispositions relatives à chaque chapitre pour pallier toute incohérence et dysharmonie. L’approche séquentielle, fondée sur des négociations par chapitre, doit être suivie par une approche transversale, qui repose sur une lecture croisée.
II/ L’analyse sectorielle
1/Le chapitre relatif aux marchés publics
L’offre européenne est fondamentalement inspirée de l’accord sur les marchés publics de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Son article 3 prévoit l’application des exigences procédurales prescrites par l’accord de l’OMC sur les marchés publics; ce renvoi pose un problème juridique sérieux puisque la Tunisie a préféré ne pas signer cet accord plurilatéral de l’OMC sur les marchés publics. En revanche, en application de l’article 3, l’accord de l’OMC aura des effets dans les relations bilatérales. En évitant de signer l’accord plurilatéral, la Tunisie se trouve inversement liée par ses exigences suite aux renvois effectués par l’offre européenne.
Sur un autre plan, la reconnaissance de la clause de traitement national dans l’article 3 de ce chapitre ne sert guère l’entreprise tunisienne (majoritairement PME) puisqu’elle n’est pas en mesure d’affronter la concurrence des entreprises européennes. Un traitement préférentiel devrait être reconnu aux PME tunisiennes.
Au sujet du champ d’application de ce chapitre, l’article 1.3 de l’offre prévoit une liste négative en vertu de laquelle ledit accord ne s’applique pas à certains accords et marchés. Il est loisible de confronter cette liste aux exceptions prévues par le décret régissant les marchés publics de 2014. Ainsi, il y lieu d’ajouter au moins l’alinéa suivant à la liste négative :
-(f) «aux marchés publics exclus en vertu de la législation de la parties de la procédure d’appel d’offre dont notamment ceux liés à la sureté publique et à la défense nationale ou lorsque l’intérêt supérieur du pays». Afin de mesurer l’écart en matière d’acquis de l’UE, il est impératif de procéder une étude comparative entre le décret des marchés publics de 2014/139 du 13 mars 2014 et la directive européenne n° 2014/25 du 26 février 2014.
Dans l’article 2 de ce chapitre, il est prévu d’appliquer le principe du traitement national sans tenir compte des dispositions relatives aux préférences nationales prévues par le droit tunisien et confirmées par le droit multilatéral; on propose, à ce titre, d’ajouter au début du paragraphe 1 de l’article 2 l’expression suivant : «sans préjudice aux dispositions relatives aux préférences nationales…»
2/ Le chapitre relatif aux mesures de sauvegarde et de défense commerciale
L’article 2 du chapitre relatif aux mesures de sauvegarde globales prévoit que la partie qui envisage l’imposition d’une mesure de sauvegarde doit informer l’autre partie; cette expression «imposition» est inappropriée dans la mesure où la mesure de sauvegarde peut avoir, selon les accords de l’OMC et les lois tunisiennes du 18 décembre 1998 et du 13 février 1999 relatives respectivement aux sauvegardes et à la défense commerciale, la forme tarifaire ou non tarifaire. On recommande de remplacer l’expression «imposition» figurant dans l’article 2.2 et 3.2 par l’expression «adoption».
Sur ce sujet, il est important de signaler que la Tunisie a ouvert depuis 2006 six enquêtes en matière de sauvegarde (contre certains pays y compris l’UE) et aucune enquête en matière antidumping et subventions.
Néanmoins, aucune mesure n’a été adoptée; d’où on pose la question d’effectivité de ces instruments à protéger notre économie nationale contre les importations européennes. L’Etat tunisien et les entreprises tunisiennes (notamment les PME) ont besoin d’un renforcement de capacités et d’une réelle coopération dans la conduite des enquêtes avec la partie européenne; on propose d’ajouter à ce chapitre ce qui suit :
«- l’engagement de l’Union européenne à renforcer les capacités en matière d’engagement et de conduite des enquêtes;
– l’obligation des deux parties à faciliter la collecte des moyens de preuve ; à cette fin elles doivent coopérer loyalement pour l’adoption éventuelle d’une mesure de défense ou de sauvegarde;
– l’échange de toute information jugée utile pour la conduite de l’enquête ; chaque partie se réserve le droit de ne pas communiquer une information quelconque sous réserve de communiquer les raisons;
– la partie qui demande à l’autre partie une information quelconque pour la bonne conduite de l’affaire est en droit de recevoir la réponse dans délai raisonnable ne dépassant dans tous les cas… (Nombre de jours);
– les deux parties s’engagent à faciliter les missions de collecte des moyens de preuve engagées par l’autre partie sur son territoire».
Il est prévu dans l’article 7 de ce chapitre l’exigence d’appliquer le droit le plus moindre dans les affaires antidumping et antisubventions ; alors que l’Union se prépare à moderniser ses instruments de défense à travers notamment la consécration de la règle des droits les plus élevés pour mieux protéger les intérêts de l’Union.
L’écart entre acquis de l’UE et le droit tunisien en vigueur est à ce niveau constaté.
3/ Le chapitre relatif à la concurrence et autres dispositions économiques
L’article 1 paragraphe 3 renvoie pour l’évaluation des pratiques anticoncurrentielles aux critères découlant du droit primaire européen (article 101 et suivants du traité TFE), y compris la jurisprudence de la CJUE, ainsi que le droit dérivé, des cadres réglementaires, les orientations et les autres actes administratifs pertinents en vigueur dans l’Union.
Cette disposition conduira inéluctablement à l’application extraterritoriale du droit européen au détriment du droit tunisien de la concurrence qui s’est construit depuis deux décennies. Il s’agit d’une atteinte pure et simple à la souveraineté juridique de l’Etat tunisien. De plus, ce renvoi sert les intérêts des entreprises européennes et défavorise les intérêts des entreprises tunisiennes qui pourraient se trouver dans une situation défavorable en supportant un coût supplémentaire pour défendre leurs droits. Notons que lorsque le juge tunisien serait saisi d’une affaire anticoncurrentielle entre une entreprise tunisienne et européenne, il se trouverait dans l’obligation d’évincer son droit interne et d’appliquer le droit européen (normes écrites et non écrites)
La proposition consiste à faire soit :
– un double renvoi au droit européen et tunisien dans la limite de non contradiction;
– d’étoffer le dispositif conventionnel en s’entendant sur les critères auxquels les deux parties doivent se référer et de donner la compétence d’interpréter le dispositif à la lumière des deux droits au conseil d’association.
Notons que l’article 3 1) a) prévoit que la Tunisie doit adopter une législation en matière de concurrence ; alors qu’on dispose d’une. Ceci démontre que l’offre est un document-modèle diffusé aux différents partenaires de l’UE.
4/ Le chapitre relatif aux obstacles techniques au commerce
Il est prévu à l’article 6.1.i) du chapitre relatif aux obstacles techniques au commerce l’exigence de l’Etat tunisien d’intégrer l’acquis pertinent de l’UE dans sa législation. La notion d’acquis est étendue et implique un engagement financier énorme et la mobilisation de compétence humaine et logistique ; ainsi il est proposé que l’Union apporte un soutien approprié comme elle avait fait pour les pays candidats à l’adhésion.
Par ailleurs, il est également recommandé de modifier le paragraphe susmentionné comme suit :
i) intégrer l’acquis pertinent de l’UE dans la législation tunisienne ; à moins qu’il ne porte pas préjudice aux intérêts vitaux de l’Etat et qu’il apporte une plus-value à l’économie tunisienne.
Sur autre plan, on relève que ledit chapitre utilise à deux reprises la notion «alignement progressif vers l’acquis de l’Union» (article 6.5) et «alignement de la législation» (article 7.3); il est recommandé de la substituer par la notion de rapprochement, laquelle est plus appropriée au cadre de coopération dans lequel s’inscrit l’accord.
5/ Le commerce des services, investissement et commerce électronique
En ce qui concerne l’accès au marché (article 4)
L’article 4 relatif à l’accès au marché prévoit qu’«aucune partie ne maintient ni n’adopte, en relation avec l’accès au marché par l’établissement ou la gestion d’une entreprise, que ce soit au niveau d’une subdivision régionale ou au niveau de l’ensemble de son territoire, des mesures se définissant comme suit…f) les limitations concernant le nombre total des personnes physiques qui peuvent être employées dans un secteur particulier, ou qu’un investisseur peut employer et qui sont nécessaires pour l’’exercice d’une activité économique et s’en occupent directement, sous la forme de contingents numériques ou de l’exigence d’examen des besoins économiques».
Cette offre se contredit avec la loi tunisienne relative à l’investissement du 30 septembre 2016 qui prévoit dans son article 6 des contingents pour le recrutement de cadre de nationalités étrangères et en cas de dépassement de ce contingent, une autorisation du ministre chargé de l’emploi est exigée. L’écart est, à ce niveau, manifeste.
Il est à remarquer que l’article 9 de l’offre européenne relatif aux réserves et exceptions exclut l’application de l’article 4 en cas de sa contrariété avec une mesure nationale qui ne lui est pas conforme ; ceci constitue, certes, une garantie permettant d’écarter l’application des dispositions du chapitre dans de pareilles circonstances. Mais notons que le paragraphe c) du premier paragraphe de cet article consacre la règle de non régression en ce sens que la modification de la mesure nationale non conforme ne doit pas réduire le niveau de non-conformité de la mesure, telle qu’elle existait avant la modification.
L’offre européenne, outre le fait qu’elle va à l’encontre de la volonté récemment exprimée par le législateur à travers le vote de la loi d’investissement, peut conduire à l’aggravation du chômage des diplômés en Tunisie. Il est à recommandé que l’UE aide la Tunisie dans la formation de ses diplômés suivant les besoins économiques du pays en finançant des structures visant à les réhabiliter.
En ce qui concerne le traitement national, l’article 5 relatif au traitement national prévoit que chaque partie accorde aux investisseurs de l’autre partie et à leurs investissements en ce qui concerne l’établissement d’une entreprise sur son territoire, un traitement non moins favorable que celui qu’elle accorde, dans des situations similaires, à ses propres investisseurs.
Cette disposition se heurte à la loi tunisienne relative à l’investissement du 30 septembre 2016 puisque son article 7 prévoit que le traitement national doit être reconnu en ce concerne les droits et les obligations prévus par la présente loi. Par une lecture combinée de cet article et l’article 5, on relève que le législateur a excepté de la liberté d’acquisition, de location et d’exploitation des biens immeubles non agricoles ; ainsi, le traitement national ne peut être étendu à ce domaine puisque ce droit n’est pas reconnu par la loi. L’article 5 prévoit que «l’investisseur est libre d’acquérir, louer ou exploiter les biens immeubles non agricoles afin de réaliser ou poursuivre des opérations d’investissement directe…».
Si l’article 5 du chapitre relatif au commerce de service, investissement et commerce électronique de l’offre européenne sera maintenu sans changement cela conduirait à l’écartement de la loi tunisienne dans les rapports avec l’UE puisque le texte de l’Aleca primera sur la loi interne (la convention internationale prime sur la loi nationale dans la hiérarchie des normes).
Au total, en attendant que le bilan de l’actuel accord d’association, qui sera probablement mitigé, soit élaboré, la conclusion de l’Aleca doit faire l’objet d’un débat public ouvert et transparent associant tous les intervenants. La transparence et la simplification du contenu du futur Aleca permettront de dissiper les équivoques qui l’entourent.
* Maître de conférences en droit public, spécialiste en droit européen et relations euro-méditerranéennes, faculté de droit, université de Sfax.
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