La Tunisie a besoin d retrouver le Nidaa Tounes d’avant 2015.
La majorité électorale qui a porté au pouvoir Nidaa Tounes, nous dit-on, a volé en éclats. Les Tunisiens, nous serine-t-on, ne s’intéressent plus à la politique. Ils en auraient plus que marre des bisbilles politiciennes, alors l’essentiel attend encore d’être fait…
Par Marwan Chahla
Sept ou huit équipes gouvernementales se sont succédé au pouvoir, depuis le 14 janvier 2011, un 9e et peut-être un 10e pourraient être en gestation et la Tunisie ne voit pas la fin de son ingouvernabilité. Le pays a subi toutes les crises possibles et imaginables et il les subit encore, toutes les calamités se sont abattues sur lui – celles qu’il a générées lui-même et celles qui l’ont atteint par contagion – et il est à présent à genoux, n’en pouvant plus de supporter l’insupportable et allant même parfois jusqu’à regretter l’ordre, la sécurité et la croissance que lui offrait le régime Ben Ali.
Est-il permis de désespérer?
Aujourd’hui, à 3 années d’une mandature nidaïste – une première fois sous l’indépendant Habib Essid, jusqu’en juillet 2016, et une deuxième fois sous la conduite de l’enfant de Nidaa Tounes Youssef Chahed – rien n’a changé et certainement, aussi, les choses en sont au pire.
Y aurait-il lieu de baisser les bras? Y aurait-il lieu de désespérer totalement et définitivement de ce que l’on appelle la classe politique et les élites tunisiennes?
Devrions-nous laisser les égocentrismes, les narcissismes et autres individualismes politiciens ronger ce qui reste du parti politique qui a su mettre le mouvement islamiste Ennahdha hors d’état de nuire, qui a réussi à faire front à son projet d’islamisation de la société tunisienne, lui a intimé l’ordre de rendre le pouvoir et «l’a remis à sa place»?
Sommes-nous autorisés à déclarer forfait, avons-nous le droit d’abandonner, d’opter pour l’abstention comme aux récentes élections municipales ou d’aller aux prochains scrutins ainsi divisés en petites formations politiques parcellaires qui se feront littéralement balayer par un tsunami nahdhaoui?
Nidaa Tounes a perdu son âme et son électorat en se mettant sous la coupe d’Ennahdha.
La réponse à toutes ces interrogations est un «non!» net et catégorique, car pareille démission équivaudrait à accorder une victoire gratuite à Ennahdha de Rached Ghannouchi. Elle signifierait que toutes peines prises à organiser le «sit-in d’El-Rahil» qui a forcé le deuxième gouvernement de la «Troïka», la coalition gouvernementale conduite par les islamistes, au départ, que toutes les peines prises à tenir les nombreuses réunions du Dialogue national, à mettre au point sa feuille de route, à installer un autre gouvernement intérimaire sous la direction de Mehdi Jomaa, que toutes les peines prises à mener ces luttes et bien d’autres encore auraient été perdues et l’on se retrouverait au même point qu’au lendemain des élections pour la Constituante, c’est-à-dire avec un mouvement islamiste d’Ennadha fort et dominateur et les autres petits partis… tentant simplement à faire semblant d’avoir un rôle à jouer.
La réponse à toutes ces questions est un «non!» précis et sans appel, car, dans le cas contraire, il y va de notre parole, entre nous autres Tunisiens, et il y va aussi des engagements que nous nous devons d’honorer vis-à-vis de l’Histoire et à l’égard de ceux qui, à l’extérieur, ont cru en nous et en notre manière tunisienne de faire les choses.
Pour tout cela, donc, avec nos modestes moyens et notre exception tunisienne, le sauvetage de Nidaa Tounes, aujourd’hui à l’ordre du jour, est une nécessité absolue.
Et cela n’est ni vœu pieux, ni construction théorique.
Le dénominateur commun qui a rassemblé les oppositions moderniste, progressiste et les autres anti-conservatismes divers et variés, qui ont pris conscience du danger que représentait le projet des Nahdhaouis et ce front du refus qui avait donné naissance, en l’été 2012, à Nidaa Tounes, tout cela existe encore malgré toutes les déceptions que le parti de Béji Caïd Essebsi a pu susciter. Les résultats des législatives et de la présidentielle de 2014, remportées nettement par le Nidaa, n’ont jamais été le produit du hasard ou une erreur de l’Histoire.
Le Nidaa Tounes vainqueur des élections de 2014 est mort au congrès de Sousse, en janvier 2016.
Le temps presse
Contrairement à ce qui s’est passé le 23 octobre 2011, le verdict des urnes, en novembre et décembre 2014, était un rejet sans appel du premier essai électoral en Tunisie post-révolutionnaire.
Cet élan, même s’il était brouillon et même s’il s’était construit sur des impressions vagues et parfois sur des confusions, pouvait continuer à faire illusion, à laisser croire que la Tunisie en a fini avec la menace nahdhaouie et que notre pays a définitivement déjoué le complot islamiste. C’était aller trop vite en besogne que de penser que les stratèges de Montplaisir n’avaient qu’un seul tour dans leur sac. C’était être oublieux que Rached Ghannouchi conseillait à ses enfants de faire montre de patience (cf. la très célèbre vidéo fuitée, en octobre 2012, où le président d’Ennahdha expliquait à de jeunes islamistes radicaux pressés que des institutions clés de l’Etat échappaient encore à la mainmise nahdhaouie), et apprendre à attendre et leur promettait meilleur avenir…
Gardons-nous de toutes les intellectualisations excessives de nos débats, car construire des doctrines requiert longue réflexion, alors le temps presse. Evitons de trop théoriser notre démarche politique, car notre maturité et notre expérience en la matière en sont à leurs premiers balbutiements. Faisons confiance à l’intuition, à une approche simple et à un certain pragmatisme qui ont donné leurs preuves. Tenons-nous en aux approximations efficaces du «eux-contre-nous», du «progressisme vs conservatisme», de «l’égalité des sexes contre la complémentarité de la femme», de «la laïcité de l’Etat vs la charia inspiratrice de la loi tunisienne» et d’autres représentations qui, même si elles sont schématiques et élémentaires, ont le mérite de tracer une ligne de séparation claire entre le progressisme-modernisme et l’islamisme.
Seule pareille démarcation précise rétablirait l’ordre dans la maison progressiste et remettrait les pendules modernistes à l’heure de la mobilisation de masse qui a «dégagé» Ennahdha du pouvoir. Seul un rejet catégorique de la supercherie «islamo-démocrate» et seule une dénonciation de la mensongère séparation de l’activité politique de celle religieuse d’Ennahdha mobiliseraient une nouvelle fois les forces du progrès et de la modernité.
Contentons-nous, pour l’instant, de cette simplification, de cette réduction, de ce plus petit dénominateur commun, car nul autre calcul politique, nulle autre stratégie, individuelle ou partisane, ne pourrait faire barrage au mouvement islamiste d’Ennahdha aux prochaines élections législatives et présidentielles de 2019.
Bref, ce qui a été utile en 2014 l’est toujours aujourd’hui…
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