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L’approche genre dans la justice transitionnelle en Tunisie

Séance d’audition publique de l’Instance Vérité et Dignité.  

Etant une victime directe, indirecte de la violation flagrante ou systématique ou voire même responsable de la violation, la femme a, désormais, un statut spécial dans le système de justice transitionnelle.

Par Najet Zammouri *

L’approche genre a été utilisée dans le domaine du développement humain pour réduire les différences entre les hommes et les femmes et en faire un outil de développement et non seulement pour renforcer les relations et les impliquer dans toutes les décisions cruciales pour construire l’avenir dans tous les domaines.

En arrière-plan de la scène politique et en marge des honneurs

La femme tunisienne a contribué à tous les événements politiques à toutes les étapes de l’histoire depuis le mouvement national avant l’indépendance en 1956 jusqu’au soulèvement du 11 janvier 2011. Elle est la mère, la sœur, l’épouse, la fille et un être cher.

En conséquence, elle est soumise à de nombreux chantages affectifs chaque fois qu’un membre de la famille subit un abus ou une atteinte à ses droits; ce qui fait qu’elle se trouve le carburant des mouvements de la libération puisqu’elle reste en arrière-plan de la scène politique et en marge des honneurs, pourtant, sans elle, la libération serait impossible

Elle est, alors, une victime indirecte, chaque fois qu’un parent subit une violation flagrante ou systématique des droits de l’homme, elle est ainsi harcelée par le régime dans son travail, dans la rue, à l’université, aux écoles et même dans sa vie privée.

Dans d’autres cas, non moins importants, elle est la victime directe de la dictature si bien qu’elle est emprisonnée, violée, renvoyée de son travail ou des universités et ce n’est pas rare qu’elle soit les deux à la fois.

Ce militantisme désavoué peut également porter à la femme des préjudices sociaux vu la mentalité patriarcale de certains milieux conservateurs qui refusent d’accueillir des ex-détenues ou des violées lui causant ainsi double dommage et double douleur.

L’ approche genre dans la justice transitionnelle

La justice transitionnelle est un système intégré de gestion des violations des droits de l’homme et de la réhabilitation des victimes et des institutions réformatrices impliquées dans de telles violations. Afin de s’assurer qu’elles ne se reproduiront pas à l’avenir en exposant la vérité de ces violations, en préservant leur mémoire, la réparation de leurs victimes et la réhabilitation, la responsabilité des bourreaux et en réformant les institutions impliquées dans de telles violations.

Le législateur tunisien a adopté l’approche genre à la fois au niveau général et surtout au niveau du système de justice transitionnelle. Le système juridique tunisien englobe tous les domaines du genre, en commençant par la constitution étant le sommet de la pyramide juridique du pays.

Etant donné que les femmes ont toujours joué un rôle actif dans le développement humain en Tunisie loin des tentatives de l’application du genre social dans les législations, il est temps maintenant de dépasser le plan idéologique, politique et religieux, de sorte que le principe de l’égalité des genres soit une réalité et non seulement une approche théorique et juridique.

La Tunisie a ratifié la plupart des traités internationaux consacrés au principe d’égalité des sexes et de prévention de la discrimination. En 2011, elle a levé des réserves à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Cedaw) qu’elle a ratifiée depuis 1985. Les conventions internationales approuvées par la Chambre des représentants et ratifiées conformément au chapitre 20 de la Constitution sont plus élevées que la loi et moins que la Constitution.

Avant cela, la Loi fondamentale sur la justice transitionnelle – qui a été ensuite rédigée au chapitre 148, paragraphe 9 – était plus précise, pratique et claire: l’approche genre était adoptée dans tous les mécanismes et domaines de la justice transitionnelle: vérité, responsabilité, et réparation. Dans la réforme institutionnelle et la préservation de la mémoire nationale, individuelle ou collective, les femmes sont fortement représentées.

Etant une victime directe, indirecte de la violation flagrante ou systématique ou voire même responsable de la violation, la femme a, désormais, un statut spécial dans le système de justice transitionnelle.

La route de la réconciliation pavée d’entraves et de contraintes

Il existe, en effet, un système spécial pour les femmes entendues en privé ou en audience publique, qu’elles soient victimes ou auteurs de violations, afin de préserver leurs données personnelles et leurs conditions psychologiques et sanitaires, mais aussi de tenir compte des conséquences des aveux et déclarations des femmes tant au niveau des femmes elles-mêmes qu’au niveau de la paix civile et de la réconciliation nationale

Cependant, malgré tous ces privilèges et incitations au profit des femmes dans le processus de justice transitionnelle à la suite de l’activation de l’approche genre, la route pour atteindre une réconciliation solide et durable est pavée d’entraves et de contraintes ici et là. Nous pouvons en citer à titre d’exemple les réticences des femmes à soumettre des plaintes. En effet, sur plus de 18.000 dossiers de violations déposés à l’Instance de vérité et de dignité (IVD) ceux des femmes ne constituent que 15% jusqu’au 14 décembre 2015 malgré les campagnes de sensibilisation menées par la Commission en coopération avec les associations de femmes et de droits de l’homme.

Ceci est, sans doute, due à la dominance de la mentalité patriarcale, à une société toujours dominée par la gente masculine qui suppose que seuls les hommes sont soumis à des violations et qui peuvent être auteurs des prouesses épiques.

À cela s’ajoute la crainte des femmes et leur manque de volonté d’apparaître en public pour étaler sa vie privée devant une société qui admet le rôle positif de la femme notamment quand la violation est à caractère sexuel.

* Membre du comité directeur de la LTDH, chargée du département des droits des jeunes et des enfants.

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