Coucou, les revoilà, copains comme avant…
Nidaa Tounes continue, plus que jamais, à être secoué par de violents soubresauts en attendant de signer bientôt son acte de décès. Pourtant, ses fossoyeurs croient être en mesure de le ressusciter afin qu’il fasse face (encore ?) au parti islamiste Ennahdha, leur allié depuis 2015 !
Par Yassine Essid
Victime expiatoire d’intrigues de palais et d’une guerre de succession, sentant sa fin proche, Habib Essid avait, au cours de l’été 2016, préféré quitter ses fonctions de Chef de gouvernement plutôt que remettre son mandat en jeu devant l’Assemblée des représentants du peuple. Le voilà aujourd’hui de retour en tant que Conseiller spécial du Chef de l’Etat. Un poste aussi choquant que déshonorant lorsqu’on a été déjà Premier ministre. Car pour retourner auprès de Béji Caïd Essebsi encore eut-il fallu que le leader, dont M. Essid recherche si vivement la promiscuité, manifeste une force hors de l’ordinaire, l’exprime en donnant l’impression que lui seul est en mesure d’atteindre cette idéalité incommensurable du leadership, qu’il se soit distingué par la constance de son positionnement idéologique, le contenu de sa pensée, de ses opinions, de sa manière de raisonner, et surtout du rapport qu’il entretient avec les autres.
Habib Essid: serviteur obséquieux, toujours aux ordres
Or, fragilisé par cette déraison qui frappe tous ceux qui vivaient de la politique depuis longtemps, voire depuis toujours, mais ne sont plus dedans, ni à côté, sans mandat, frustrés, frisant la dépression, M. Essid est revenu comme il était parti, dare-dare, sans se mettre en doute, sans une once d’hésitation, oublieux, résigné, nullement rancunier, point vindicatif, large d’esprit et heureux de rebondir. Il est l’exemple même du commis d’Etat, serviteur obséquieux, toujours disponible, toujours aux ordres. Sinon, il se souviendrait qu’il avait été adulé pour être aussitôt limogé, craché comme un noyau de cerise par le couple Caïd Essebsi-Ghannouchi pour être remplacé par un jeune-homme, membre de son gouvernement et agronome comme lui.
Aujourd’hui, à l’instar des hauts dignitaires du palais, le cœur désoccupé autant que l’esprit, il disposera de tout le temps nécessaire pour arpenter seul, ou presque seul, les allées de ce qui reste du pouvoir du président et de son entourage du plus bas niveau.
Nidaa peut-il être ressuscité et recyclé ?
Ce même lundi 6 août 2018, c’est au tour de la présidence du Gouvernement d’annoncer la nomination de Kamel Haj Sassi comme Conseiller auprès du Premier ministre. L’heureux élu est un ancien ambassadeur de Tunisie à Prague, ancien secrétaire d’Etat au ministère des Affaires sociales et au ministère de la Jeunesse et des Sports, ancien député au parlement, bref juste un ancien, démodé, déglingué, transformé par décret en homme du nouveau monde qui a perdu sa valeur réelle pour en acquérir une, toute factice. Avis à cette jeunesse pleine d’énergie, pleine d’idées, prête à prendre la relève dont Youssef Chahed n’arrête pas d’en vanter le dynamisme et l’esprit d’entreprise.
Partout, la mode est au recyclage. Les étoffes bigarrées de l’Etat, du gouvernement, des institutions et des partis politiques ne sont plus que loques et lambeaux qu’il faut recoudre à l’aide des morceaux dans lesquels très peu y trouveraient une signification.
Il y a les retours actés, mais il y a surtout les retours imaginés qui relèvent de l’absurdité du rêve, de l’incohérence du délire, de l’incongru des idées, des velléités impuissantes.
Tenez, Nidaa Tounes, par exemple, il est l’exemple même d’un capital d’espoir froidement dilapidé qu’on s’apprête à reconstituer.
Sans représenter pour autant un courant populaire, manquant d’enracinement idéologique, Nidaa Tounes était paradoxalement en situation d’assurer une meilleure gouvernance si l’on en juge par le programme que ses concepteurs n’arrêtaient pas de présenter comme le nec plus ultra en matière de projet de société : relancer l’emploi, garantir un meilleur sort aux plus démunis et favoriser la consolidation de la démocratie avec de nouvelles perspectives en matière de gestion de l’économie et des finances, de développement de l’entreprise, d’extension de la recherche et développement et de réponse aux menaces contre la sécurité du pays : que demande le peuple ?
Jugé après la déroute de la Troïka, l’ancienne coalition conduite par le parti Ennahdha, comme étant le mouvement le mieux placé pour être une sérieuse alternative au régime islamiste et, partant, d’élargir la base de ses sympathisants, Nidaa Tounes avait fini, en l’espace de trois ans, non seulement par trahir toutes ses convictions, par abandonner tous ses engagements, mais par imploser en mille morceaux.
Mohsen Marzouk ne sait plus où se mettre
Passons sur l’interminable et épuisant feuilleton du fils Caïd Essebsi et des guerres d’héritiers. Parlons plutôt de Mohsen Marzouk qui se prend pour un animal politique, de Ridha Belhaj et de leurs copains qui, de guerre lasse, avaient effectué de brusques échappées pour reconstituer, à leur compte cette fois, la mobilisation des masses.
Croyant représenter de nouveaux courants réformateurs, ces bruyants démissionnaires ont émigré chacun de son côté pour chercher fortune ailleurs et y faire souche. Trompés au départ par le nombre des nouveaux adhérents, ils se croyaient capables de creuser l’écart et pourquoi pas se retrouver à la tête de vrais courants populaires pour s’imposer comme une alternative républicaine. Or des deux fugitifs, l’un n’a pas arrêté de faire face à des vagues de contestations, l’autre est resté au niveau d’un affligeant groupuscule politique esseulé, sans objectif ni avenir.
Ce que ces dissidents ignoraient sans doute, c’est que faire naître un parti de rien n’est pas chose facile. Son organigramme ne se réduit pas à un chef sans envergure, le premier d’une file de transfuges.
Dans une jeune démocratie, un parti c’est d’abord un fondateur doublé d’un leader qui jouit d’un prestige personnel de par son statut social ou son passé politique qui lui confère du pouvoir et lui permet de créer une forme d’allégeance. Il a vocation à parler de tout et à parler pour les autres.
Quant aux militants, à différents échelons, ils sont surtout des individus qui sont passés par le savoir-faire associatif, sont formés au métier politique et possèdent une morale dans les relations avec les gens qui les entourent.
Mais pour avoir quelque chose qui ressemble à un parti, il faut aussi que s’installent des mécanismes de régulation avec une majorité, une minorité, une délégation de pouvoirs, un exécutif, des alliances, des tendances, des réseaux et des clans.
Le retour avilissant de Ridha Belhaj
Au moment même où certains ont déjà fait leur deuil de Nidaa Tounes, un parti tiré à hue et à dia par ses instances dirigeantes et dont l’accaparement du pouvoir et la succession sont devenus ses seuls horizons, Belhaj, pris de panique, fait un retour avilissant de pénitent, courbant honteusement la tête, plein de regrets et se rallie à la cause aux côtés de ses ennemis d’hier. Il trouve alors des allégations de faussaire à sa méprisante rupture et des excuses peu crédibles pour son revirement.
L’autre, ex-dissident, autoritaire et arrogant, qui s’est mépris sur ses capacités de rassembleur, se retrouve lâché chaque jour davantage par les députés de son parti et, de peur de souffrir une longue solitude, se met à pratiquer une politique de la main tendu tous azimuts vis-à-vis de celui ou de ceux dont il dénonçait autrefois l’inconstance perverse.
Néji Jalloul dans le sens du vent
Enfin, on ne nous pardonnera jamais d’avoir oublié le grand opportuniste en politique et son incomparable faculté d’adaptation aux modifications affectant Nidaa Tounes : Néji Jalloul. Grossier manœuvrier, sans conviction, sans idéologie de référence, sans un minimum d’exigence intellectuelle, sans état d’âme, peu scrupuleux, il n’hésite pas à revenir sur sa parole, à trahir ou se dégager de ses amis afin de conserver une position avantageuse. Il réapparaît sur la scène dès qu’il sent le vent tourner. Il se range alors, selon les circonstances, du côté des relations qui lui sont les plus profitables pourvu qu’il conserve sa fonction et les avantages afférents. Il nous rappelle ces créatures qui cherchent leur place sous la table à manger sans se laisser détourner par les coups de pied.
Dans l’intervalle, Nidaa Tounes continue, plus que jamais, à être secoué par de violents soubresauts en attendant de signer bientôt son acte de décès.
Le cas de Nidaa Tounes ne se réduit pas à un Chef d’Etat qui aurait à cœur de consolider en priorité la dimension familiale de sa consécration politique. Il représente des moins que rien autant que des notables sans dimension politique, au charisme incertain, qui s’étaient retrouvés propulsés à peu de frais maîtres du pays et qui ont depuis passé leur temps à reconstruire le parti alors qu’il fallait reconstruire le pays.
Nidaa Tounes est devenu en peu de temps l’incarnation d’un système de gouvernement où se mêlent : incompétence, népotisme, corruption, promesses de faveurs, obtention de bénéfices tangibles, mais aussi déceptions, rancœurs, affrontements, compromis et désertions. Bref, le rassemblement de gens qui entendaient gouverner alors qu’ils ont toujours manqué d’appréciation des réalités de leur temps.
Promesses de fraternisation des frères ennemis
Pour aller jusqu’au bout du drame présent et sombrer dans un désespoir sans nom, il suffirait de parcourir le programme de Nidaa Tounes de 2013, le passer au détecteur de mensonges pour se rendre compte que tout est passé à la trappe, ni vu ni connu. Qu’en l’occurrence on peut dire à peu près n’importe quoi, ignorer les faits, tordre le cou aux chiffres, travestir la vérité, et même mentir d’une façon éhontée sans que cela prête à conséquence. Plus c’est gros, plus ça marche.
Un tel exemple permet en fait de prendre en compte, et à leur juste mesure, les boniments de tous les partis, passés et à venir, qui ne sont qu’immense duperie, trompent sans vergogne puisque l’essentiel n’est pas de bâtir un nouveau pays mais d’accéder et tirer profit de l’exercice du pouvoir.
Nidaa Tounes a gagné en 2014 parce qu’il avait promis de battre les islamistes en les confinant, si possible, à un mouvement discrédité et minoritaire. Or par la grâce de Béji Caïd Essebsi, Ennahdha est revenue encore plus puissante et mieux organisée. Elle est plus que jamais une réalité concrète associée au pouvoir, agissant en sous-main, observant toute chose tout en étant moins visible et bien moins compromise. Bref, gagnante, jamais perdante et toujours animée par cette «réelle volonté d’établir une paix sociale durable».
En fait, qui serait aujourd’hui capable de croire après trois ans au pouvoir que Nidaa Tounes aurait le dessein de rebondir? Représente-t-il encore un vrai courant populaire? Quel mythe entend-il incarner? Est-il encore capable, après sa déroute et ses extravagances de sortir de son inertie, de servir d’expression politique aux mouvements sociaux du pays, de prendre en charge, après sa pitoyable expérience gouvernementale les problèmes encore plus épineux auxquels se trouveront confrontés dans l’avenir les différentes catégories sociales? Aurait-t-il encore le culot d’exprimer son profond attachement à l’idée de modernité après sa coalition avec les islamistes et qu’il en sera toujours l’implacable opposant?
Aujourd’hui, si l’on en juge par l’ampleur du retour précipité des dissidents, les réintégrations des séditieux, les appels au regroupement, les promesses de fraternisation au-delà des désunions, c’est que l’heure est grave, et qu’une opposition aussi morcelée n’arrivera jamais à récupérer un électorat perdu à jamais parce que trahi. Alors ils baisseront provisoirement les armes, oublieront le passé tant exécré, celui du vieux qui rêvait de voir sa progéniture lui succéder et du fils qui prend son inéluctable destin au sérieux. Car l’essentiel, n’est-il pas d’éliminer les islamistes?
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