C’est bien Ennahdha qui est le plus grand perdant du dernier remaniement du gouvernement, renforçant contre son gré la stature présidentielle de Youssef Chahed devenant incontournable.
Par Farhat Othman *
Que n’a-t-on dit sur le remaniement qui vient d’être validé, lundi soir, 12 novembre 2018, par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP). Que d’âneries, comme le fait que cela serait le gouvernement du parti Ennahdha. Or, justement, s’il est bien un perdant dont on ne parle pas, c’est bien ce parti et l’avenir le dira.
En effet, ni Nidaa ni les autres formations n’avaient à perdre plus que ce qu’elles n’avaient déjà; c’est bien le parti islamiste qui a été forcé de soutenir, contre ses intérêts proclamés, son allié obligé. Aussi, c’est moins le chef du gouvernement Youssef Chahed qui dépend d’Ennahdha que le contraire !
Plus que jamais Chahed est présidentiable
Rappelons-nous ce que disait et répétait à l’envi le parti de Rached Ghannouchi : que son soutien est conditionné par l’engagement du chef du gouvernement à ne pas se présenter aux prochaines élections. On en faisait même une condition sine qua non de son maintien à La Kasbah.
Or, on n’en parle plus. L’a-t-il obtenue? Que nenni ! Plus que jamais, M. Chahed renforce donc son positionnement comme devant être incontournable dans l’avenir, proche comme lointain, de la vie politique du pays. Et ce remaniement, fait de main de maître malgré les écueils multiples, démontre bien sa capacité manœuvrière, légitimant ses ambitions futures.
Déjà, nous avons osé nous demander si ce jeune ambitieux n’allait pas sur les traces d’une illustre figure de l’histoire du monde; s’il était appelé à incarner un Jules César tunisien ? Le moins que l’on puisse dire est que dans l’aréopage de cacochymes et de gamins occupant la scène politique du pays, donnant même hier au parlement l’allure d’une piste de cirque, il est en mesure d’être ce juste de voix et de voie qui manque à la Tunisie, plus que jamais.
Il lui reste juste à croire assez en sa bonne étoile, mais aussi à celle de la Tunisie et de son peuple. Surtout, à la nature libertaire de ce dernier qui fait que la Tunisie est bel et bien en mesure d’épiphaniser la parfaite exception qu’elle est en puissance, ce pays de la douceur de vivre et du respect de soi dans celui, intimement lié, de l’altérité.
Pour ce faire, il ne faut que du courage d’oser faire voler en éclats les vieux schémas de gouvernance encore en cours dans le pays Le chef du conseil l’a bien démontré avec les coups de génie de son dernier remaniement. Il lui reste tout juste d’enfoncer le clou en osant pousser plus loin la logique de rénovation politique, allant à son paroxysme humaniste.
Oser rompre avec les clichés politiciens
Nous avons déjà parlé, en notre dernier bloc-notes dominical de certains aspects de cette transfiguration politique impérative. Quitte à nous répéter un peu, ajoutons ici, pour la bonne cause, qu’il n’est nul espoir de sortir la Tunisie de son impasse actuelle si l’on ne l’articule pas à un système de droit qui marche, malgré ses imperfections, à sa frontière nord. Ce qui impose de transformer la dépendance que personne ne peut nier de la Tunisie de l’Europe, une dépendance informelle et sans droits, en une dépendance formelle mais avec des droits, et ce dans le cadre d’une adhésion à demander au plus vite.
Cette demande d’adhésion devrait s’insérer dans le cadre d’un appel à un espace de démocratie méditerranéenne qui est nécessaire pour faire évoluer la Méditerranée vers ce lac de paix toujours rêvé, mais jamais réalisé. Ce qui permettrait de rêver, mais concrètement enfin, d’une aire de civilisation entre l’Occident et l’Orient. Cela suppose que la paix soit enfin réalisée en Palestine, ce qui impose de changer la stratégie actuelle avec Israël en osant le reconnaître pour pouvoir mieux l’amener à cesser sa félonne politique actuelle de colonisation.
Bien évidemment, une telle politique des braves à l’international suppose au préalable un autre type de discours politique, au niveau interne, fait de lucidité et de vérité; et ce non seulement sur cet aspect des relations internationales, mais surtout sur le plan interne où l’on doit, sans plus tarder, engager la réforme imposée par la constitution de la législation scélérate datant de la dictature, et même de la colonisation.
En la matière, M. Chahed a plus de marge de manœuvre qu’il ne le pense, n’étant en rien lié par la lourdeur de la procédure législative. Il peut faire évoluer les mentalités, et donc forcément les textes, en se limitant à prendre des arrêtés, ou même de simples circulaires, allant dans ce bon sens qu’est celui des droits et des libertés du peuple.
C’est ainsi qu’il prendra à son propre jeu son principal soutien, le parti Ennahdha, qui a démontré hier, une fois de plus, qu’il ne fait que jouer des et avec les valeurs, simulant et dissimulant un visage d’humaniste alors qu’il refuse, dans le même temps, le moindre changement dans la législation.
Ne l’a-t-on pas déjà vu avec la nécessaire égalité successorale? Mais qu’a-t-on encore entendu hier au parlement ? Par exemple, de la bouche du député Samir Dilou (bloc Ennahdha), un ancien ministre des Droits de l’Homme, que son parti voterait volontiers pour un ministre chrétien ou noir. Disant cela tout en continuant, dans le même temps, à jouer la comédie publique du refus de normaliser les relations de la Tunisie avec Israël, il ne se distingue guère des haineux qui mélangent politique d’un régime au pouvoir et impératifs humanistes catégoriques.
Si ce sont les crimes de l’État d’Israël qui empêchent de normaliser nos relations avec lui, pourquoi alors la Tunisie ne rompt pas ses rapports avec les États-Unis, meilleur soutien d’Israël, et avec l’Arabie Saoudite qui vicie de plus belle l’islam et le dénature ?
Bien mieux, si M. Dilou souhaite la bienvenue aux noirs et chrétiens au gouvernement, acceptera-t-il qu’y entre un gay qui affiche son homosexualité, ainsi que le font pas mal de dirigeants des pays démocratiques? Assurément non, car son parti est en train, derrière le paravent des Ong d’Occident, d’agir à pérenniser l’homophobie en Tunisie en soutenant un projet de loi manichéen se limitant à l’abolition du test anal, se souciant ainsi de l’effet pour mieux maintenir la cause.
C’est avec une telle pratique politique machiavélique que se doit de rompre au plus vite M. Chahed; assurément, pour ce faire, il a des atouts maîtres en son nouveau gouvernement, dont l’ancien doyen de l’ordre des avocats et président de la Ligue des droits de l’Homme, lauréat du prix Nobel de la paix, qui plus est.
Nous enchanterez-vous, donc, et aussi le monde dans le même temps, futur César de Tunisie? Sans nul doute, cela se ferait en commençant par prendre un texte administratif interdisant le test anal en Tunisie afin de contrer les agissements homophobes aux allures faussement humaniste. Et bien évidemment, cela s’ajoutera à la mise rapide sur les rails du projet de ligne aérienne entre Djerba et Tel-Aviv. Le reste suivra comme un jeu d’enfant, assurément !
* Ancien diplomate et écrivain.
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