La récente faillite du voyagiste britannique Thomas Cook, qui aura des répercussions désastreuses sur les professionnels du tourisme en Tunisie, gagnerait à faire l’objet d’une réflexion profonde, pour examiner les moyens et mécanismes à mettre en place pour éviter que tels «accidents» se reproduisent.
Par Khémaies Krimi
Selon la Fédération tunisienne de l’hôtellerie (FTH), la liquidation, lundi dernier, 23 septembre 2019, du voyagiste Thomas Cook impactera négativement une quarantaine d’hôteliers tunisiens et leur fera subir des pertes estimées à 70 millions d’euros (220 millions de dinars tunisiens, MDT).
«Ces pertes représentent entre 65 et 70% du chiffre d’affaires annuel des hôtels sinistrés, étant donné qu’il s’agit des factures non payées de la haute saison 2019 (mois de juillet, août et septembre)», a déclaré Mouna Ben Halima, responsable de la communication à la FTH.
«La plupart des professionnels tunisiens touchés par cette crise sont implantés dans les deux stations de Hammamet et de Djerba, dont une dizaine coopère exclusivement avec Thomas Cook», ajouté la même source.
Du côté des agences des voyages, c’est Tunisian Travel Service (TTS) du groupe Aziz Miled, qui coopère en exclusivité avec Thomas Cook, qui sera la plus affectée, et ce, d’après Hédi Hamdi, responsable communication à la Fédération tunisienne des agences de voyage (FTAV).
Par-delà ces éclairages, la question est de savoir si les autorités touristiques du pays avaient tout fait pour éviter à nos hôteliers ces grosses pertes, et si ces derniers avaient pris des précautions pour les anticiper et/ou les éviter, car on ne peut tout mettre à la charge de l’Etat, les professionnels sont les premiers responsables des conséquences de leurs décisions managériales.
Les pertes auraient pu être évitées si…
À priori, les responsables du ministère du Tourisme, particulièrement, le représentant à Londres de l’Office national du tourisme tunisien (ONTT), ne se sont pas trop démenés pour alerter les professionnels concernés. Car la presse spécialisée européenne a longuement parlé, depuis plus d’une année, des difficultés financières rencontrées par le voyagiste britannique en raison du Brexit et de son surendettement.
Autre indice auquel le représentant du tourisme tunisien à Londres aurait pu attirer l’attention des hôteliers concernés, c’est la chute libre de la valeur des actions de Thomas Cook en bourse. Au mois de mai dernier, déjà, ces actions avaient baissé au fort taux de 51%.
C’était de toute évidence un marqueur important annonçant la fin irréversible du voyagiste. Et pourtant, aucune partie n’a pu voir venir le danger ou n’a pris des mesures pour y faire face.
Pour se disculper et surtout pour se déresponsabiliser, les professionnels du tourisme, administration, FTH et FTAV, ont trouvé rapidement la parade. Ils ont imputé les dégâts occasionnés aux 40 hôteliers au retard qu’accuse l’entrée en vigueur de la convention sur l’Open Sky, entre la Tunisie et l’Union européenne, paraphée, le 11 décembre 2017, à Tunis.
En vertu de cette convention, la Tunisie s’engage à ouvrir son ciel, dans le cadre de la déréglementation aérienne internationale, aux compagnies aériennes étrangères et diversifier, ainsi, ses partenaires touristiques (transporteurs et voyagistes). La convention n’a pas pu voir le jour à cause du retard qu’accuse le retrait de la Grande Bretagne de l’Union européenne (Brexit), dit-on à Tunis. Mais pas seulement…
Quelques enseignements à tirer ?
Quant aux enseignements à tirer de ce désastre qui tombe mal, surtout, à un moment où le secteur du tourisme commence à reprendre des couleurs avec la projection d’atteindre, cette année, le chiffre record de 9 millions de touristes, ils sont au nombre de trois.
Le premier serait de professionnaliser davantage les représentants du ministère du Tourisme dans les pays émetteurs. Ces représentants, qui perçoivent, jusqu’ici, leur mandat comme une opportunité pour rentrer au bercail, à la fin de leu mission, avec des voitures FCR, sont appelés à s’initier à l’intelligence économique et à détecter de manière précoce les risques et les menaces qui pourraient mettre en danger les intérêts du tourisme du pays.
Le deuxième enseignement consisterait pour le département du tourisme à mettre en place, en toute urgence et avec les moyens humains et matériels dont il dispose, un Observatoire national du tourisme tunisien. Cette structure aurait pour objectif d’améliorer la visibilité de l’évolution des activités des acteurs du secteur dans les pays émetteurs et de prévoir leur impact sur la destination Tunisie.
Concrètement, cet observatoire pourrait centraliser l’ensemble des informations fournies ou demandées aux représentants du ministère à l’étranger et à nos ambassades pour mettre au point des stratégies ciblées à même de préserver le secteur des mauvaises surprises telles que la faillite du voyagiste Thomas Cook.
Le troisième est d’inviter les professionnels (hôteliers et voyagistes) à diversifier dorénavant leurs partenariats et de se doter de communicateurs professionnels capables de suivre de près tout ce qui se dit et s’écrit sur les tours opérateurs partenaires.
Le principe étant qu’on est plus apte à faire face à une situation potentiellement déroutante ou dangereuse lorsqu’on en a été prévenu. Un homme averti en vaut deux, comme on dit.
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