Le chef du gouvernement désigné Habib Jemli doit certainement savoir ce qui l’attend. Tous les Tunisiens savent aussi ce qui les attend. Le diagnostic est établi: le pays et son économie sont gravement malades. Les remèdes ont été identifiés depuis si longtemps –reste, donc, une volonté forte et convaincue de les appliquer. Qu’importent les sacrifices que ce ressaisissement coûtera… La Tunisie a besoin «de labeur … et de la sueur» de tous les Tunisiens…
Par Marwan Chahla
Dans une vidéo postée hier, 3 décembre 2019, sur sa page Facebook (voir Kapitalis), le chef du gouvernement désigné Habib Jemli s’est engagé, dans le cadre de la formation de l’équipe qu’il dirigera, à éviter les erreurs du passé et à ne «s’intéresser qu’au plus important, à savoir le programme afin de trouver des solutions aux problèmes et répondre aux attentes des Tunisiens.»
«L’honnêteté, l’intégrité et la compétence» de Jemli suffiront-elles ?
En somme, rien de bien précis, pour l’instant, qui pourrait indiquer que le probable successeur de Youssef Chahed serait réellement animé de la volonté forte nécessaire pour donner un coup de pied dans la fourmilière des magouilles, de la corruption, de la fraude et autres pratiques et pressions malsaines.
Rien, non plus, n’assurerait cet homme, dans une Assemblée des représentants du peuple (ARP) aussi balkanisée, de pouvoir bénéficier de l’appui parlementaire nécessaire qui permettrait à ses projets législatifs de devenir des lois.
Après deux semaines de concertations, de tractations et autres consultations diverses et variées, Habib Jemli présentera son gouvernement à l’ARP et soumettra ce dernier au vote de confiance des nouveaux élus de la nation.
Nul doute que cet homme «honnête, intègre et compétent », selon le descriptif qui a accompagné l’annonce de son choix par Ennahdha, obtiendra le feu vert du législatif. La question est de savoir si la somme totale des qualités de M. Jemli et de celles des personnes qu’il aura sélectionnées pour faire partie de son équipe suffiront pour accomplir les tâches herculéennes qui les attendent, dans un pays où, depuis la révolution de 2011, la plupart des indicateurs économiques ont faibli, où l’Etat a sombré encore plus profondément dans l’endettement et où la situation laisse à penser que les perspectives ne sont pas tout à fait favorables.
Les experts s’accordent pour dire que la Tunisie a besoin d’un gouvernement fort possédant une vision claire d’un plan d’action capable de stabiliser les finances publiques et d’apaiser, dans le même temps, les craintes et les frustrations qui menacent de ruiner la confiance que les Tunisiens ont placée dans la transition démocratique.
Aura-t-il le courage et le soutien pour faire ce qu’il doit faire ?
La démocratie est certes un bien acquis et la liberté d’expression et d’autres droits individuels sont garantis par la Constitution de 2014, mais l’économie tunisienne est actuellement dans un très mauvais état: pendant toute une décennie jusqu’en 2010, la croissance s’était maintenue à un niveau annuel de 4,7%, pour se contenter, depuis la révolution, d’un faible taux de 1,8%, selon des données de la Banque mondiale.
L’industrie du tourisme a subi durement les coups portés contre son activité par la révolution et les attentats terroristes. La révolution a également soumis la jeune démocratie tunisienne à de très fortes pressions, en «obligeant» les différents gouvernements qui se sont succédé, depuis 2011, de recruter à tour de bras dans la fonction publique et les entreprises nationales, d’augmenter les salaires à tout-va et d’élever sans compter le niveau des compensations d’un certain nombre de produits. Au bout du parcours post-révolutionnaire, le gouffre de la dette publique est devenu abyssal.
En 2010, le solde primaire de la Tunisie affichait un excédent, avec un déficit net de seulement 1%. En 2016, ce taux est monté à 7,4%, puis à 6% en 2017, avant de retomber à 4,5% l’an dernier. Et le gouvernement s’attend à ce que, cette année, le déficit se situerait à 3,9% du PIB. On peut s’en féliciter, certes, mais malgré cette amélioration, les indicateurs négatifs sont toujours là. Ainsi, la dette publique est passée de 41%, en 2010, du PIB à plus de 70% actuellement. Les comptes courants et les avoirs en devises étrangères du pays ont chuté, le dinar tunisien s’est déprécié par rapport à l’euro et au dollar américain et l’inflation a grimpé à plus de 7%, en 2017, et s’est trouvée à 6,5%, en septembre dernier.
Donc, c’est à tous ces sérieux reculs de l’économie tunisienne que Habib Jemli est confronté et sur lesquels sa compétence devra s’essayer –tout en sachant (?) qu’il n’a pas le moindre droit à l’erreur, ni à l’hésitation, car les créanciers étrangers s’impatientent, la success story tunisienne «ne prenant plus» et l’enthousiasme et l’euphorie qui l’ont accompagnée et soutenue à bout de bras sont actuellement de moins en moins de mise…
Habib Jemli sera-t-il capable de tenir les engagements que la Tunisie a pris avec ses partenaires internationaux ? Pourra-t-il convaincre l’UGTT à effacer ses «lignes rouges» que tous les gouvernements n’ont jamais osé franchir ? Aura-t-il le courage –et le soutien– de défier et de combattre le monstre de la corruption ? Et, certainement par-dessus tout, parviendra-t-il à remettre les Tunisiens au travail? Si le doute est permis, et pour cause, l’homme n’affichant aucune action d’envergure dans son maigre parcours professionnel, on ose à peine espérer un coup de pouce de la providence…
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