Face à la propagation du coronavirus (Covid-19) en Tunisie, la réaction du marché boursier ne s’est pas fait attendre, le Tunindex a commencé à se replier très rapidement. C’est le signe d’une détérioration de la confiance des investisseurs tant nécessaire au financement des entreprises sur ce marché.
Par Zied Saadaoui *
Maintenant, il est indispensable de limiter la propagation de ce mouvement aux banques tunisiennes afin d’éviter un scénario où les entreprises, très dépendantes au crédit bancaire, soient en manque de financement, freinent leurs investissements (et consommation intermédiaire) ou ferment leurs portes. Chose que nous souhaiterions absolument éviter alors que l’investissement privé, déjà à plat, peine à décoller.
La menace persiste, malgré les mesures du 17 mars…
La seule tentative de calmer les esprits des investisseurs est une série de mesures monétaires et prudentielles décidées par la Banque centrale de Tunisie (BCT). Sur le plan monétaire, la réaction est assez rapide mais reste insuffisante car elle vient suite à une augmentation drastique du coût de l’argent durant deux années de suite (passant de 4,75% à 7,75%°). Une diminution de un point de pourcentage aura du mal à rétablir la confiance des investisseurs et des ménages.
Sur le plan prudentiel, d’autres décisions qui dérogent à la réglementation en vigueur ont été prises, à l’instar du report du remboursement des crédits pour les emprunteurs jugés potentiellement solvables et la possibilité d’étendre cette mesure aux emprunteurs risqués, après évaluation cas par cas. La BCT a décidé aussi d’introduire momentanément plus de souplesse au niveau de la réglementation du levier d’endettement des banques.
De telles décisions sont encourageantes à condition qu’un suivi minutieux de leur application soit mise en œuvre par la direction de la surveillance prudentielle afin d’éviter tout débordement ou risque moral de la part des banques et des emprunteurs. Mais, globalement ces mesures sont loin de produire un effet significatif, surtout que nous traversons une période de crise très particulière.
Les conséquences du Covid-19 et sa propagation rapide bloque les chaines d’approvisionnement mondiale, affecte des industries plus que d’autres et impacte aussi les habitudes de consommation des ménages. La propagation du virus pouvant à tout moment s’emballer dans notre pays, plusieurs entreprises saines peuvent en souffrir. Il faudrait imaginer un moment les difficultés que ces entreprises sont en train de subir et qui sont liées à la baisse des commandes depuis l’étranger et aux complications douanières pour celles qui importent des intrants pour pouvoir produire.
Les banques tunisiennes ne sont pas, elle non plus, à l’abri de cette crise de confiance qui percute de plein fouet les valeurs mobilières. L’indice boursier des banques a fortement flanché depuis l’annonce du premier cas de contamination en Tunisie subissant une baisse cumulée de 11,7% jusqu’au 16 mars 2020.
Il faudrait penser à préserver la stabilité du système bancaire tout en évinçant les blocages au financement des secteurs les plus touchés par la crise. Sous le poids de cette conjoncture économique difficile, le financement de l’économie peut se bloquer à tout moment qui sera caractérisée certainement par une circulation plus lente et imparfaite de l’information. Les banques seront réticentes à octroyer de nouveaux crédits et plus sensibles aux problèmes de liquidité et aux sanctions réglementaires.
Il est indispensable que la banque centrale soutienne ces décisions par un package de décisions de refinancement et des mesures d’assouplissement des règles prudentielles visant à donner une bouffée d’oxygène aux banques tout en évitant l’éventualité d’un aléa moral en surveillant de près leur comportement.
Refinancement ciblé et assouplissement des règles prudentielles
La BCT pourrait mettre en place une politique d’innovation financière en achetant des créances saines titrisées émises par les banques contre un refinancement qui soit exclusivement dédié au financement des entreprises en difficulté. Il est possible de créer aussi un schéma de facilité de prêt ciblé (Funding for Lending) comme celui mis en place récemment par la Bank of England et le Trésor britannique pour faire face à la crise sanitaire et qui vise à pousser les banques qui bénéficient des facilités de prêt à étendre les crédits aux ménages et aux PME prioritaires (une liste de ces PME peut être fixée conjointement avec l’Utica).
Il faut rappeler aussi que les BCT depuis l’année 2012 a resserré sa réglementation prudentielle d’une manière inédite depuis des décennies en révisant trois réglementations essentielles qui créent des restrictions directes sur la capacité des banques à financer l’économie : de nouvelles exigences de provisionnement des créances classées, un ratio minimal de fonds propres réglementaire plus élevé, une réglementation de la liquidité (à court terme et à long terme) plus restrictives.
Ces mesures étaient plus ou moins compréhensibles au temps où la BCT, après 2011 (et en partie sous la pression du FMI), voulait assainir les actifs bancaires et responsabiliser les banques en matière de gestion de la liquidité. Mais, durant cette crise liée au Covid-19, je pense que ces restrictions n’ont pas lieu d’être et doivent être relâchées momentanément. La BCT peut nous faire éviter partiellement une intervention budgétaire de l’État qui ne fera qu’aggraver le risque souverain, qui comme nous le savons s’est déjà transmis aux banques qui ont accéléré le rythme d’acquisition nette de BTA ces dernières années.
En parallèle du report des créances décidées par la BCT le 17 mars, les banques pourraient provisoirement ne plus être obligées de provisionner les créances des entreprises indirectement impactées par la crise du Covid-19. L’allègement des exigences de provisionnement permettra aux banques, qui demeurent toujours très profitables malgré tout et qui continuent de distribuer des dividendes à tout va, d’exploiter leurs revenus afin de générer plus de liquidité. Ceci à condition que la BCT exige des banques, en retour d’un assouplissement de la réglementation, de limiter ou carrément stopper la distribution des dividendes momentanément.
Les exigences en fonds propres peuvent être aussi revues à la baisse durant cette période de choc purement exogène. Actuellement, les fonds propres réglementaires (ce que les banques sont obligées de constituer pour couvrir le risque de crédit, le risque de marché et le risque opérationnel) doivent couvrir au minimum 10% des risques. Il faut savoir que sous ces conditions, 10 dinars de fonds propres économisés (c’est-à-dire une réduction des fonds propres constitués de 10 d) permettraient aux banques tunisiennes de libérer 100 dinars de liquidité pour octroyer de nouveaux crédits. Par approximation aux règles de Bâle III, ces 10% de fonds propres incluent les 8% classiques du ratio Cooke auxquels les banques tunisiennes ont été soumises depuis 1999 en plus de 2% équivalents au fonds propres dites de «conservation» (même si sous l’accord de Bâle III ce volant de conservation est de 2,5%).
En réaction à la crise Covid-19, la Banque centrale européenne n’a pas hésité à permettre aux banques de réduire le ratio de capitalisation réglementaire et de consommer une partie des fonds propres de conservation. La Banque of England a fait de même pour le volant contra-cyclique des fonds propres, représentant aussi une exigence supplémentaire de fonds propres réglementaires de 2,5% qui évolue avec le cycle économique.
Ces autorités bancaires européennes ont bien sûr exigé des banques, qu’en contrepartie de cet assouplissement des exigences réglementaires, de soutenir l’économie et ne pas en profiter directement pour accroître les résultats nets et la distribution de dividendes (sources : Financial Times et ECB banking supervision).
Enfin, et d’une manière momentanée, les banques tunisiennes peuvent être autorisées à opérer en-deçà du ratio minimal de liquidité à court terme afin de leur donner plus de marge de manœuvre dans la gestion des besoins de trésorerie et trouver des solutions de liquidité aux entreprises qui en ont besoin.
* Maître de conférences en sciences économiques, Univ. Manouba, ESCT.
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