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En chargeant Hichem Mechichi de former le gouvernement, Kaïs Saïed met les partis dos au mur

Jamais, de mémoire de journaliste, l’annonce de la désignation d’un chef de gouvernement n’a suscité une telle satisfaction voire une telle joie parmi les Tunisiens et les Tunisiennes, toutes catégories sociales confondues, que celle faite, hier soir, samedi 25 juillet 2020, de Hichem Mechichi.

Par Ridha Kéfi

Le président de la république Kaïs Saïed, qui a finalement tranché au profit du ministre de l’Intérieur en poste, jouait gros et était attendu au tournant, d’abord par les partis qui, dans une sorte d’accord tacite, ont tenté de limiter son choix à deux représentants de la nomenclature politico-affairiste, en la personne de Fadhel Abdelkefi et Khayam Turki, au prétexte que le pays a besoin d’un chef de gouvernement ayant un profil d’économiste et de financier, comme si la crise où se morfond le pays depuis 2011 n’est pas l’«œuvre» de chefs de gouvernement ayant, pour la plupart, ce profil là.

M. Saïed était aussi attendu au tournant par une majorité de Tunisiens et de Tunisiennes, y compris ses propres électeurs, notamment les jeunes diplômés des régions intérieures au chômage, marginalisés par un système de prébendes dominé depuis des lustres par des rentiers à vie, croyant le pays éternellement offert à leur soif de privilèges et de pouvoirs.

Les rentiers de la république doivent apprendre à partager

Ces rentiers qui se sont mis au service d’une partitocratie arrogante, la finançant en sous-main et en attendant les servitudes habituelles : lois taillées sur mesure, nominations des copains et des coquins à la tête des institutions publiques, largesses fiscales, etc., ont mis la pression sur le chef de l’Etat, par partis et médias interposés, pour l’obliger à placer, comme d’habitude, l’un de leurs hommes à la tête du gouvernement, chasse-gardée d’une sorte de nomenclature qui ne dit pas son nom et qui croit pouvoir continuer à gérer le pays comme une ferme familiale, feignant d’oublier que ce pays a profondément changé depuis 2011 et refusant de tirer la leçon de l’élection de Kaïs Saïed, électron libre sans attaches partisanes ou régionales, qui plus est par un score de près de 73%, plus élevé que le total de ceux des plus importants partis aux législatives.

Le président de la république, homme de droit, intègre et de grande rectitude morale, savait sa marge de manœuvre étroite, mais il a agi en homme libre, insensible aux privilèges, résistant aux pressions et imperméable aux marchandages habituels. Aussi a-t-il préféré ne céder à aucune sirène et n’écouter que la voix de son cœur et de sa raison. Il faut dire que les partis politiques lui ont facilité la tâche, car ils ont perdu toute crédibilité aux yeux de leurs propres électeurs, offrant quotidiennement le spectacle écœurant de leurs querelles mesquines, de leurs guéguerres de leadership et de leurs alignements sur les intérêts des groupes d’influence, à l’intérieur et à l’extérieur.

Solitaire mais pas esseulé, cultivant l’indépendance comme un sacerdoce, n’acceptant pour seule contrainte que la loi, même s’il lui arrive souvent de regretter les incohérences et les limites de celle-ci, Kaïs Saïed est, sept mois après son investiture, en tête des sondages d’opinion, coureur de fond à la foulée franche et déterminée, très loin devant la meute des poursuivants. Cela a du sans doute peser beaucoup dans sa décision de snober les partis et leurs candidats. La suite on la connaît…

Un chef du gouvernement originaire de l’une des régions pauvres du pays

Pour la première fois depuis l’indépendance de la Tunisie, le chef du gouvernement désigné n’est pas originaire des régions du Sahel et de Tunis, mais des montagnes du nord-ouest, l’une des régions les plus pauvres du pays : Bousalem, gouvernorat de Jendouba.

Issu d’une famille de la classe moyenne sinon modeste, ayant fait ses études dans les écoles de la république, diplômé de l’Ecole nationale d’administration, Hichem Mechichi a fait toute sa carrière dans l’administration publique, loin des lobbys, loin des partis, loin des coteries habituelles. Cela nous change un peu du profil auquel on s’est habitués depuis quelque temps, celui de l’ingénieur franco-tunisien, ayant fait ses études dans les grandes écoles de l’Hexagone, habitant Carthage ou La Marsa, et qui a longtemps travaillé pour des groupes privés.

Ne devant rien à personne, et tout à son abnégation dans l’effort, à sa droiture et à son humilité, il y a peu de risque de voir Hichem Mechichi impliqué dans une affaire de conflit d’intérêts comme celle ayant coûté la démission de celui à qui il devra succéder, Elyes Fakhfakh. Et cela a sans doute aussi pesé dans le choix de Kaïs Saïed, qui, on l’imagine, s’en veut d’avoir écouté certains partis en désignant, la fois précédente, pour le Palais de la Kasbah, cet ingénieur… franco-tunisien ayant fait tout son parcours dans le privé.

Les partis sont aujourd’hui dos au mur

Un autre élément a aussi beaucoup compté dans le choix de Kaïs Saïed : la pression de l’opinion publique pèse désormais sur les partis politiques, à commencer par le premier d’entre eux, Ennahdha. Les partis, et Ennahdha en tête, sont les principaux responsables de la crise sévissant dans le pays depuis 2011. C’est eux qui, jusque-là, ont gouverné avec les résultats catastrophiques que l’on sait. Ayant perdu toute crédibilité aux yeux des citoyens électeurs et craignant la dissolution de l’Assemblée, que le chef de l’Etat n’hésitera pas à décider, ils sont aujourd’hui dos au mur : où ils voteront la confiance au gouvernement que formera Hichem Mechichi ou ils repasseront devant les urnes, et là, ce sera un tsunami pour la plupart d’entre eux.

Le président Saïed le sait. Hier, en recevant M. Mechiri pour le charger officiellement de former le gouvernement, il lui a lancé, en s’adressant, à travers lui, aux partis : «On a perdu beaucoup de temps depuis les dernières élections. Il est temps de se remettre au travail. Le peuple n’en peut plus d’attendre». Une phrase qui sonne comme un avertissement de la part de l’homme qui se positionne désormais au cœur du jeu politique, dont il est, par la grâce de la constitution, le métronome. Et sans doute pour longtemps.

Qui a dit que la constitution de 2014 limite énormément les prérogatives du président et en fait une sorte de factotum suprême ?

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