Avant d’accuser ses adversaires politiques supposés, intérieurs ou extérieurs, et avant de se poser en victime d’une attaque terroriste, après l’agression subie par son député Ahmed Mouha, à Bizerte, il serait temps que la coalition Al-Karama accepte d’assumer la responsabilité politique des conséquences autant de choix toujours aussi instinctifs que de la duplicité de sa direction et de son président, Seifeddine Makhlouf.
Par Dr Mounir Hanablia *
Il y a quand même des choses assez troublantes ayant trait à cette agression contre le député d’Al-Karama, Ahmed Mouha, par des spadassins maniant (mal) l’épée. Tout accusé demeure innocent jusqu’à preuve de sa culpabilité mais ceux dont l’arrestation a été annoncée par la police dans le cadre de l’enquête sont bien sur les photos publiées des jeunes issus de milieux modestes, probablement au chômage, ou s’adonnant à des activités occasionnelles, peut-être dans le secteur informel.
Dans le cas où ces prévenus seraient religieux, et rien ne l’indique, ils n’ont à priori pas le niveau intellectuel suffisant pour savoir que les Khawarej (ou Kharijites) avaient perpétré des attaques par l’épée à l’heure de la prière de l’aube contre tous les prétendants au califat qu’ils jugeaient illégitimes, une vingtaine d’années après l’Hégire, et dont Ali, le cousin du prophète, ne réchapperait pas. Mais ils présentent néanmoins, semble-t-il le profil requis pour des hommes de main, celui de personnes dans le besoin et, moyennant espèces sonnantes et trébuchantes, prêtes à quelques coups de mains, ou bien dont les scrupules ont été mises en veilleuse grâce à un enseignement dévoyé de la religion au point de se faire les instruments d’une vengeance politique, agissant pour leur propre compte, ou pour le compte d’autrui.
L’hypothèse d’un acte terroriste est très discutable
L’hypothèse d’un acte terroriste à laquelle s’est rangée comme d’habitude d’emblée sans aucune preuve tangible la direction de la coalition Al-Karama n’a pour le moment rien qui la justifie, pas même une agression contre un représentant du peuple. Mais il faut reconnaître que la définition du terrorisme semble dans ce parti extensible, au point d’englober autant les tortures infligées aux détenus au temps de Ben Ali, et qu’on peut effectivement qualifier de terrorisme d’Etat, que le viol d’une jeune fille, suivi ou non de meurtre.
Dans sa quête de l’exploitation politique de l’agression, Al-Karama a accusé spécifiquement le Parti destourien libre (PDL), dont la présidente, la députée Abir Moussi, a essuyé, au sein de l’auguste assemblée parlementaire, l’ire, c’est le moins que l’on puisse dire, d’un Seifeddine Makhlouf, porte-parole de cette coalition, visiblement sorti de ses gonds? et qui a couvert sa collègue sous un flot d’injures sans que quiconque n’estimât nécessaire d’intervenir. Mais Al Karama a tout autant incriminé l’UGTT, et les syndicats des forces de sécurité interne, ces derniers lui reprocheraient le projet de loi visant à obtenir leur interdiction. Quant aux milieux affairistes, ils ont également eu leur lot d’accusations, c’est par le biais des médias privés qu’ils mèneraient leur campagne de discrédit contre un parti qui se présente comme le parangon de la vertu (islamique ) dans la vie politique, le défenseur des classes sociales défavorisées, mais qui n’hésite pas à déposer un projet de loi visant la dissolution de la Haute autorité indépendante de la communication audio-visuelle (Haica), justement chargée de moraliser l’activité des médias audiovisuels; quand il ne s’allie pas avec le parti politique Qalb Tounès, dont le président, Nabil Karoui, est à la fois le président de la chaîne audiovisuelle privée Nessma, et le symbole le plus représentatif des intérêts de certains milieux d’affaires.
L’alliance pas très nette avec Nabil Karoui et Qalb Tounès
Dans un parti comme Ennahdha, où c’est le président Rached Ghannouchi qui décide ce qui est moral de ce qui ne l’est pas, où la référence à l’islam s’insère dans une stratégie purement électoraliste, une telle alliance entre dans l’ordre naturel des choses.
Dans la coalition de M. Makhlouf, où on allie encore la pureté du verbe révolutionnaire, et la défense des «zwawlas» (pauvres), au dépôt de projets de lois antisyndicales ou promouvant le libéralisme le plus effréné, elle semble susciter beaucoup de réticences auprès de la base et des militants.
Sur sa page fb le député Ahmed Mouha avait été interpellé pour sa défense, dans une conjoncture économique et sociale critique, d’un projet couteux du gazonnage d’un terrain de football, à Bizerte, mais cela ne l’empêchait pas d’apparaître très proche des préoccupations populaires, très engagé dans des projets d’intérêt public comme la restauration de la vieille ville de Bizerte où il réside, menacée d’effondrement, ou bien la rénovation de l’abattoir municipal de la ville. Il n’empêche, pour sauvegarder cette image, il avait dû publier des photos de son quartier d’habitation, délabré, quand d’aucuns s’étaient interrogés sur ses moyens matériels. Il voulait sans doute couper court à toute insinuation d’enrichissement rapide des députés qui s’est enracinée dans l’opinion publique avec l’émergence du parti Ennahdha. Et cela s’est passé quelques jours avant l’agression. Est-ce que M. Mouha fait partie des partisans de l’alliance avec son compatriote bizertin, Nabil Karoui, accusé par l’ancien chef du gouvernement, Elyès Fakhfakh, d’être financé par le sionisme ? En tous cas rien ne l’indique sur sa page fb et on ignore si l’ancien président de l’association Khalil Tounes en aurait gardé quelque ressentiment. Sur le sujet, le député est demeuré muet comme une tombe. Etant un opposant convaincu à des pratiques qualifiées d’anti démocratiques du président Kais Saied, il n’a néanmoins pas estimé utile, à l’instar de ses camarades de la coalition, de publier les photos du fameux dîner, qui marquait l’effondrement de la stratégie présidentielle visant le parlement, et où en compagnie de Nabil Karoui, apparaissaient le président du bloc parlementaire Al-Karama, et le président du parlement, en compagnie du chef du gouvernement.
Il y a donc bien des indices tendant à faire penser qu’à Bizerte, et juste avant l’«attentat» le visant, l’aura de M. Mouha commençait à pâlir, au moins provisoirement, et qu’une partie de l’opinion publique, peut-être des membres du courant dur de son propre parti, échaudés par l’alliance avec le parti libéral Qalb Tounès, estimaient que ses préoccupations de député ne répondaient plus assez à leurs attentes, particulièrement chez les plus démunis.
Makhlouf cherche à recoller les morceaux de sa coalition
Tout compte fait on aura compris combien l’agressivité anormale de M. Makhlouf à l’encontre de Mme Moussi, indigne d’un député de la nation, et son insistance à rechercher des coupables auxquels serait attribuée la responsabilité de l’agression de son député, pouvaient servir ses intérêts, afin de le disculper et de rétablir la cohésion mise à mal de son parti.
En réalité, c’est la politique d’alliance opportuniste d’Al Karama et son double langage qui auraient entraîné cet odieux «crime politique», si l’enquête en cours conclut au «crime politique», ce qui est loin encore d’être le cas, et si ce «crime» a eu lieu à Bizerte c’est parce que c’est justement là-bas et plus qu’ailleurs, au vu des réalités locales, où M. Karoui n’est généralement pas tenu en odeur de sainteté, qu’on a jugé cette politique inacceptable.
Avant donc d’accuser ses adversaires politiques, intérieurs, ou extérieurs supposés, à l’instar de la France ou d’Israël, et avant de se poser en victime d’une attaque terroriste, il serait temps que la coalition Al-Karama accepte d’assumer la responsabilité politique des conséquences autant de choix toujours aussi instinctifs que de la duplicité de sa direction et de son président.
* Cardiologue, Gammarth, La Marsa.
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