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Covid-19 : voir Monastir et mourir… Dieu reconnaîtra les siens

Des Monastiriens manifestent pour exiger plus de moyens de lutte contre la pandémie.

La Tunisie avait géré la première phase de la pandémie de la Covid-19 d’une manière remarquable et sur le plan sanitaire les résultats avaient été au rendez vous, malgré la modicité des moyens disponibles. Mais le gouvernement, toujours faible et en mal de majorité parlementaire, a ouvert les frontières afin de sauver la saison touristique, et le virus est revenu, cette fois massivement, sans les touristes. La suite était prévisible…

Par Dr Mounir Hanablia

Vivre à Monastir au temps de la pandémie de la Covid-19, cela peut arriver, en particulier pour aider au déménagement de sa propre fille, interne en médecine, dans un centre hospitalier de la ville.

Le temps y est exceptionnellement clément pour la saison, mais après les dernières pluies une nuée de moustiques à la piqûre fortement irritative s’est abattue sur la ville, et à partir du coucher de soleil, le mieux est de se calfeutrer chez soi pour échapper à leur voracité.

Les promeneurs du soir téméraires ont vite fait de s’apercevoir que le grattage pouvait se muer en une activité collective éclipsant toute autre préoccupation.

Un calme précaire, qui annonce la tempête

Pendant la journée, la mer est belle, les baigneurs n’ont pas déserté complètement les plages, mais il ne s’agit que du charme ensorceleur qui fait illusion. Mis à part quelques masques souvent arborés sous le menton, ou quelques administrations publiques où la bavette est de rigueur, rien dans l’activité des citoyens qui vaquent à leurs affaires quotidiennes ne laisse présager l’ampleur du drame silencieux qui s’y déroule. Les cafés et les restaurants sont accessibles sans aucune contrainte particulière. Pour le quidam de passage, tout est calme, mais en réalité, il ne s’agit que de celui annonçant la tempête.

C’est au contact des Monastiriens, ou bien à l’écoute de la radio locale, que l’on découvre que la pandémie constitue bien actuellement la principale préoccupation de la population. Près d’une centaine de nouveaux cas en une journée, deux morts, la maladie est en train de grossir comme la vague annonçant le tsunami.

Mardi dernier, 22 septembre 2020, des citoyens, principalement du parti de Abir Moussi, qui semble bien implanté dans la ville, sont allés manifester devant l’hôpital dont les capacités d’accueil ont atteint leurs limites et qui est désormais obligé de refouler les cas graves. Le personnel hospitalier est en train de payer un lourd tribut à la maladie. Le chef du service, celui où ma fille doit justement effectuer son stage, a été contaminé et la surveillante est dans un état grave, mais les autorités administratives n’envisagent apparemment pas l’arrêt de l’activité des services les plus touchés, au moins le temps de la nécessaire décontamination des locaux.

Les médecins, manquant de moyens, se sentent abandonnés

Les médecins des urgences envisagent donc de ne plus accueillir les malades, dans un premier temps pendant trois jours, parce qu’ils estiment ne plus pouvoir assurer leurs activités dans les conditions optimales. Le gouverneur s’est exprimé à la radio mais il a appelé essentiellement à durcir les normes de la distanciation physique et la législation contre ceux qui ne les respecteraient pas.

Or l’évolution de la pandémie fait que la question la plus urgente soit bien celle du devenir des patients graves qui ne trouvent pas de place dans les services de réanimation et dans des locaux par ailleurs infectés et contribuant à la propagation du virus, mais monsieur le gouverneur n’a pas jugé utile de l’aborder.

Ceci va bien dans le sens des déclarations du chef du gouvernement Hichem Mechichi pour qui il n’est pas question de retourner au confinement. Mais quel confinement? Toute la question est là.

La Tunisie avait géré la première phase de la pandémie d’une manière remarquable et sur le plan sanitaire les résultats avaient été au rendez vous, malgré la modicité des moyens disponibles. Les foyers d’infection avaient été isolés, et neutralisés, la propagation du virus avait été réduite, et ce, en dépit d’une collaboration quasi absente de la population.

Va-t-on sauver l’économie en sacrifiant des vies humaines ?

Evidemment, comme partout, des voix, toujours les mêmes, s’étaient élevées pour dire que le coût économique avait été bien supérieur aux bénéfices, et que le pays était au bord de l’effondrement. On a simplement omis de dire que la crise était mondiale, que depuis dix ans le tourisme n’avait jamais retrouvé ses lustres d’antan, la production de phosphates était interrompue, et que depuis quelques mois celles du gaz et du pétrole étaient menacées.

Mais le gouvernement, toujours faible et en mal de majorité parlementaire, cédant à la rhétorique d’un populisme simplificateur, a ouvert les frontières afin de sauver la saison touristique, et le virus est revenu, cette fois massivement, sans les touristes.

Si donc aujourd’hui la pandémie prend les proportions inquiétantes c’est bien à un choix politique qu’on le doit, celui du laisser-aller pur et simple. Il faut bien le dire, on a pensé quelque part qu’en sacrifiant des vies humaines on allait sauver l’économie. Or c’est bien l’un et l’autre que le pays est en train de perdre.

Quant au plus haut sommet de l’Etat, c’est toujours à Game of Throne qu’on semble jouer. Les gouvernements se succèdent et comme d’habitude ne font rien. Et les partis politiques ricanent.

* Cardiologue, Gammarth, Carthage.

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