Le 20 mars 2021, le président de la république Kaïs Saïed n’a pas cru devoir célébrer solennellement le 65e anniversaire de l’indépendance de la Tunisie. Pis encore, il a cherché à justifier cette injustifiable et impardonnable omission par des explications alambiquées oiseuses dont il a le secret, qui plus est en arabe littéraire, comme pour élargir le fossé le séparant désormais de son peuple. Pour les Tunisiens et les Tunisiennes, qui voient leur pays sombrer dans la crise, cette blessure mémorielle reste profonde.
Par Mohsen Redissi *
En berne Citoyens !!! La présidence de la république vient de décréter un deuil national d’un an jusqu’au printemps prochain. Les drapeaux de toute la Tunisie sont aujourd’hui hissés à mi-mât en signe de détresse. Les sanglots longs monotones des tambours de la garde nationale sonnent le glas. Le pays vient de perdre son INDEPENDANCE. Le cortège funèbre quitte la capitale, traverse aux pas saccadés les routes et passe de ville en ville. La population digne pleure en silence comme chaque fois qu’elle perd un être cher. Est-ce le caprice d’un être ou le désir d’un «chaab» (peuple) ? Jeter aux oubliettes l’acquis qui a façonné la Tunisie d’aujourd’hui, c’est s’écarter d’un chemin balisé par le sang de ceux qui ont préféré mourir par amour pour la patrie que vivre sous le joug de la colonisation. L’honneur au déshonneur.
Personne ne peut rectifier le tir
Les hommes naissent et meurent mais leurs actes survivent aux vicissitudes. Des générations célébreront toujours leurs actes de bravoure. Untel était le premier à lancer un journal en langue arabe pour contrecarrer l’avance de la langue française; untel était le premier à former un parti politique ; un tel un syndicat… Heureux ceux-là parmi les morts et parmi les vivants qui louent leur ténacité et fêtent chaque année leur passage pour l’éternité.
Le mouvement de dénigrement ne date pas d’aujourd’hui, certes il prend de l’ampleur chaque fois qu’un dinosaure passe l’arme à gauche. Personne ne peut rectifier le tir. L’année 1987 est le grand tournant. Après les premières années d’examen et d’hésitation, l’homme du changement, Zine El Abidine Ben Ali, a pris de l’assurance en lui. Une demie journée, puis une journée, puis trois jours en fin de semaine et à l’arrivée une semaine entière. Une semaine de célébration du 7-Novembre 1987 conjointement avec une semaine de vacances scolaires. La Tunisie et ses élèves grands et petits sont aux anges.
Atmosphère lugubre et oraison funèbre
L’ampleur qu’a prise le 7/11 a fait de l’ombre aux deux autres grandes dates de la Tunisie moderne : le 20-Mars, fête de l’Indépendance, et le 25-Juillet, fête de la République. D’autres fêtes nationales sont déprogrammées au détriment du vouloir d’une classe puis remplacées par d’autres de moindre importance. Un court instant un regain de fierté et d’honneur vite éteint avec la mort, en 2019, d’un des derniers compagnons de la libération, feu président Béji Caid-Essebsi.
Cette atmosphère lugubre que vit la Tunisie d’aujourd’hui traduit le malaise de la société tout entière du haut sommet de la pyramide jusqu’à la petite caillasse qui soutient l’édifice chancelant. La tâche est trop lourde à porter. Le gouffre entre promesses et actions est difficile à combler. Les politiciens sans partis-pris cherchent par tous les moyens à se dérober de leur responsabilité.
Que peuvent-ils dire sur l’Indépendance ? Que doivent-ils prétendre faire ? Ces fêtes républicaines sondent leur âme. Elles jugent leurs actions sur la balance de leurs intentions. Le chef suprême des armées tirent des flèches qui n’atteignent jamais leur cible.
Par acquit de conscience, ci-git l’Indépendance morte par oubli ?
* Fonctionnaire international à la retraite.
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