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Pour le gouvernement Mechichi, la tempête est encore à venir

Un gouvernement transparent otage d’un parlement dévoyé.

En prenant des décisions populistes, sous la pression des revendications corporatistes ou par calcul politique, le chef du gouvernement Hichem Mechichi s’est compliqué lui-même la tâche et doit faire face aujourd’hui à une situation ingérable, qui met les décisions de son gouvernement en nette opposition avec ses engagements vis-à-vis des bailleurs de fonds d’un côté et des acteurs économiques et sociaux en Tunisie, de l’autre. Explications…

Par Ridha Kéfi

Abandonné, dès le début de son mandat, par le président de la république Kaïs Saïed, celui-là même qui l’avait sorti de l’ombre et l’a adoubé pour être ministre de l’Intérieur puis chef de gouvernement, et cela en à peine six mois – l’une des promotions les plus rapides pour un sombre commis de l’Etat en Tunisie depuis un certain… Zine El Abidine Ben Ali, en 1987 –, Hichem Mechichi s’est jeté aussitôt dans les bras du parti islamiste Ennahdha, et de ses principaux alliés au sein de ce que lui-même appelle son «coussin» politique, à savoir Qalb Tounes et Al-Karama. Ces derniers, en guerre ouverte contre le chef de l’Etat, n’ont pas manqué de l’instrumentaliser dans cette guerre, et pas seulement : ils l’ont aussi utilisé pour placer leurs pions, ici et là, dans les rouages de l’Etat, à travers une série de nominations partisanes où ce sont les intérêts supérieurs du pays qui ont été sacrifiés.

Un gouvernement dont la transparence n’a d’égal que l’incompétence

Baladé par son «coussin» politique et craignant d’être déposé, le locataire de la Kasbah a dû multiplier les coups de griffe contre son «bienfaiteur» devenu son ennemi juré, ce qui, soit dit en passant, n’a pas amélioré son image, et l’a affaibli davantage vis-à-vis de ses «protecteurs» islamistes, dont il est devenu pour ainsi dire la marionnette. Cela l’a affaibli aussi vis-à-vis de l’opinion publique, et a affaibli son gouvernement, dont la transparence (quelqu’un peut-il citer de mémoire les noms de deux ou trois de ses membres ?) n’a d’égal que l’incompétence, notamment dans la gestion de la pandémie de la Covid-19 et des mouvements sociaux, qui se multiplient dans tout le pays.

Dans sa fuite en avant et en panne d’idées et, surtout, de moyens, les finances publiques étant dans un piteux état, Hichem Mechichi s’est mis à vouloir plaire à tout le monde et à répondre positivement à toutes les revendications qui s’expriment, et elles ont toutes un coût insupportable par des caisses d’Etat quasi-vides, du fait d’une mauvaise gouvernance qui dure depuis… la fumeuse «révolution» de 2011.

Des décisions populistes pour acheter la paix sociale

Ainsi, et tout en sachant que l’Etat tunisien s’est engagé auprès de ses principaux bailleurs de fonds, notamment le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale (BM) et l’Union européenne (UE), à prendre des mesures fermes pour maîtriser sinon réduire la masse salariale dans la fonction publique, un mammouth inefficace et budgétivore qu’il aurait fallu dégraisser, Hichem Mechichi, emboîtant en cela le pas à tous les chefs de gouvernement qui l’ont précédé, a pris des décisions populistes visant à calmer les grognes et à soudoyer telle ou telle catégorie sociale ou corporation professionnelle.

C’est ainsi que, sur la pression des partis Ennahdha, Qalb Tounes et Al-Karama, soucieux de soudoyer le corps de la magistrature, M. Méchichi a consenti, il y a quelques mois, en dépit de tout bon sens et contrairement aux règles de la bonne gouvernance, à accorder une augmentation salariale assez consistante aux juges. Si elle a calmé, momentanément, les hommes en robes noires, cette décision n’a pas manqué de provoquer la révolte de ceux en bouses blanches.

Les médecins et pharmaciens, qui font face courageusement à la pandémie de la Covid-19 et qui, en raison des moyens humains et matériels insuffisants dans les hôpitaux publics, payent un prix fort à cette guerre, n’ont pas apprécié le fait que leurs revendications salariales soient ignorées par les pouvoirs publics. Le mouvement de grèves et de sit-in qu’ils ont lancé cette semaine, en pleine recrudescence de la pandémie de la Covid-19, exprime un fort sentiment de colère et une volonté d’en découdre avec un pouvoir exécutif dévoyé car dévoué au service des seuls politiques. Et c’est, dirions-nous, de bonne guerre, même si le mouvement des professionnels de la santé, déclenché dans un très mauvais timing, a provoqué un mécontentement parmi les citoyens attendant d’être vaccinés contre le coronavirus.

Une autre corporation a aussi manifesté sa mauvaise humeur et est montée également au créneau à travers une série de mouvements de protestation à travers toute la république : les ingénieurs et les architectes de la fonction publique, qui estiment être tout aussi méritants (sinon plus) que les magistrats et ne supportent plus, eux qui font fonctionner les plus importantes infrastructures du pays, malgré leur vétusté, le manque d’entretien et la faiblesse des équipements mis à disposition – ce qui, soit dit en passant, accroît leurs responsabilités –, d’être payés des «salaires de misère» comme ils disent. Et c’est aussi de bonne guerre, sommes-nous tentés de dire.

Un accord salutaire avec le FMI, mais à quel prix ?

Le problème, et problème il y a, c’est que les gouvernements qui se sont succédé depuis 2016 se sont engagés auprès des bailleurs de fonds à mettre fin aux augmentations salariales et même à réduire la masse salariale dans la fonction publique qui ne cesse de croître et approche dangereusement les 20% du PIB. Pis encore, le gouvernement Mechichi, qui frappe de nouveau aux portes du FMI sollicitant un nouveau prêt de 4 milliards de dollars (environ 11 millions de dinars tunisiens) pour boucler son budget pour l’exercice en cours, s’est engagé, dans ses échanges avec les experts de l’institution financière internationale, à baisser ce taux à 14 ou 13% dans un perspective de deux ou trois ans, ce qui exigera non seulement l’arrêt des recrutements dans la fonction publique et le dégraissage forcé de celle-ci, mais aussi le gel des salaires voire même leur réduction de 20 ou 25%, comme cela s’est passé dans les pays qui s’étaient déjà trouvés, comme la Tunisie aujourd’hui, dans une situation de quasi-cessation de paiement. Il ne faut pas croire au Père Noël : l’argent devient rare et son coût est de plus en plus élevé…

M. Mechichi et ses collaborateurs, qui cherchent par tous les moyens à obtenir un accord avec le FMI, quitte à prendre les engagements les plus insensés – et pour cause, ils sont bien placés pour savoir que leur «durée de vie» est largement tributaire de cet accord –, évitent de parler de ces sujets qui fâchent, alors que le pouvoir d’achat des citoyens s’amenuise et que le recours à la planche à billets risque de relancer l’inflation et de dévaluer davantage la monnaie nationale. Mais ils savent qu’ils y seront confrontés, tôt ou tard, et ils ne pourront pas se faire prévaloir du passage en force ou du fait accompli, car ils n’ont ni la légitimité ni la crédibilité pour demander de si importants sacrifices aux Tunisiens et, encore moins, de les obtenir. Autant dire que la tempête est devant eux, or, le jour J, les Rached Ghannouchi, Nabil Karoui et Seifeddine Makhlouf ne pourront rien pour eux et les laisseront tomber sans aucun état d’âme. Et ce sera amplement mérité…

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