En Tunisie, beaucoup plus qu’ailleurs, ce n’est jamais constitution, une loi ou un décret qui, à eux seuls, peuvent changer la société. Il faut aussi un peu de cœur, de morale, de désintéressement, d’esprit de groupe, d’autocritique, d’amour du travail, de respect du prochain et tant d’autres qualités qui ne sont malheureusement pas encore les mieux partagées par les Tunisiens. C’est donc d’une révolution culturelle que nous avons aujourd’hui le plus besoin.
Par Rafik Mzali *
Régime présidentiel, parlementaire, sans partis, dictatorial, militaire, policier, religieux, libéral, socialiste… Quel est donc le régime politique qui convient aux Tunisiens ?
Paresseux, fatalistes, «Ibîoû el-qird ou yadhakou âla charih» (ils vendent le singe et se rient de celui qui l’achète), comme dit l’adage bien tunisien, adeptes du système D, adorateurs des passe-droit et des privilèges, amoureux du farniente, paparazzi dans l’âme, fou du football et du «tmaqîr» (moquerie), misogynes, fous de Dieu ou fous de l’instant, quelle constitution conviendrait donc à ce type de mentalité, à ce mélange hétéroclite où peu de place est laissé au sérieux, à l’objectivité, au rationnel, à l’innovation, au travail en groupe, au sens de la responsabilité, à la discipline, au partage d’un même idéal ?
Aucun puisqu’à supposer qu’on ait trouvé le système cru convenable, il manquera toujours celui et ceux, en nombre suffisant, pour l’appliquer car les lois ne bougent pas toutes seules. Aucun car celui supposé devoir l’appliquer est un Tunisien… c’est-à-dire avec la grosse possibilité qu’il ait une bonne partie des «qualités» sus décrites. Mais alors cela veut-il dire qu’il n’y ait pas de solution ?
La peur de la sanction
Malheureusement, l’expérience a montré qu’un des plus puissants moteurs qui ont fait bouger le Tunisien c’est souvent la peur, la crainte de la sanction. C’est malheureux de le dire mais c’est comme ça. On continuera donc à avoir besoin d’une main de fer à la tête de l’Etat et de ses principales institutions jusqu’à ce que, par une prise de conscience générale, le nombre de Tunisiens qui ont le désir d’être meilleurs, de créer, d’innover, de vivre ensemble, dépasse celui ayant des qualités négatives, jusqu’à ce que ceux ayant une attitude positive deviennent le moteur de la société.
Postez-vous devant un croisement, regardez les voitures. Comptez celles qui brûlent le feu rouge et celles qui le respectent et vous saurez la proportion des citoyens qui peuvent mener la Tunisie vers des jours meilleurs.
Postez-vous devant un croisement, regardez les agents et comptez ceux qui travaillent correctement et ceux qui fument leur cigarette, boivent leur café, se concentrent sur les conductrices maquillées et vous saurez où en est la crédibilité de l’État censée appliquer la loi.
Sans cette prise de conscience massive, la majorité continuerait à ne donner un rendement conséquent que par la peur de la sanction et de la perte d’avantages.
Une nouvelle constitution pour quoi faire ?
Bien sûr, l’appât du gain est important pour booster les efforts mais la Tunisie est pauvre et puis il faut toujours un minimum d’intégrité morale pour que le résultat soit bénéfique. C’est un peu de cœur, de morale, de désintéressement, d’esprit de groupe, d’autocritique, d’amour du prochain et tant d’autres qualités qui pourront nous sauver. Ce n’est jamais une loi, un décret, à eux seuls qui peuvent changer une société. Il fallait bien que quelqu’un aide à relativiser l’apport d’une nouvelle constitution, à abréger les attentes inutiles et les illusions.
* Chef de service de chirurgie générale du CHU Habib Bourguiba de Sfax.
Articles du même auteur dans Kapitalis :
Tunisie : Qui veut tuer Kais Saied ?
Peut-on voir à travers le brouillard de Kais Saied ?
Pour n’avoir pas célébré la fête de l’indépendance, Kaïs Saïed inquiète
Donnez votre avis