Lundi 1er novembre 2021, dans le cadre de la 32e édition des Journées cinématographiques de Carthage, la séance de 15 heures au cinéma Le Palace a présenté une série de quatre excellents courts-métrages, mais celui qui est passé en premier, Nosf Film (Half a Film) de Seïf Hasnaoui, a particulièrement retenu notre attention.
Par Mohamed Sadok Lejri *
C’est un film sur la jeunesse tunisienne paumée, incarnée par deux jeunes acteurs (Salmen F’touhi et Sonda Siala), à la situation précaire, délestée de tabous et contrainte de se résigner à vivre au jour le jour sans trop se soucier des lendemains menaçants et qui leur échappent. Les perspectives étant très sombres, ces jeunes se réfugient dans l’alcool et la drogue. Nosf Film fait fi de tous les tabous et interdits sociaux qui briment nos jeunes depuis la nuit des temps, en filmant des jeunes blasés qui n’ont aucun avenir ni de place possible dans une société impitoyable, des jeunes qui se perdent dans des bacchanales et mus par des pulsions sexuelles qui prennent dans ce film le caractère de pulsions de survie.
Un couple de «débauchés amoureux»
Half a Time contient des scènes de sexe très crues, il y a même une scène de viol piquée d’Irréversible, le célèbre film de Gaspard Noé qui fit scandale à sa sortie en 2002. Les scènes érotiques du court-métrage de Seïf Hasnaoui offrent une allusion funeste qui revient sans cesse au cours du film. Les protagonistes de Nosf Film, et plus précisément les deux jeunes acteurs qui forment le couple de «débauchés amoureux», sont impressionnants par leur jeu naturel et dégagent beaucoup de charisme.
Les dialogues sont très réalistes, tous les personnages s’expriment dans un langage fleuri et font un abondant usage du lexique ordurier et du vocabulaire licencieux que les Tunisiens emploient au quotidien et affectionnent tant. Le scénario est un peu maladroit et décousu, mais le style de narration fragmenté est très intéressant. D’ailleurs, la façon d’annoncer chaque partie sur l’écran en gros caractères colorés n’est pas sans rappeler le cinéma de la Nouvelle Vague, notamment celui de Jean-Luc Godard.
Les nombreux flashbacks éclairent le présent et dévoilent de terribles vérités. Ils dévoilent progressivement les «cauchemars» vécus par les héros du film, le drame est à chaque fois revécu. Le réalisateur et la performance des acteurs font retentir les airs des cris perçants de la douleur des protagonistes principaux qui souffrent d’un profond mal-être et qui nous font partager leur anxiété. Il s’agit d’une jeunesse «dissolue» et égarée, dans les voies de l’«erreur» et du «péché» diraient d’aucuns (les culs-bénis et les coincés entre autres), mais qui est avant toutes choses plus à plaindre que coupable.
Un mal-être qui débouche sur une fin tragique
La bande originale du film est celle de Feu Follet de Louis Malle qui, soit dit en passant, est une adaptation magistrale de mon roman préférée. Cela peut, de prime abord, prêter à sourire, dans la mesure où les deux univers sont totalement différents. L’on s’aperçoit, en regardant Half a Time, que la première Gnossienne d’Erik Satie interprétée par Claude Helffer au piano a été savamment exploitée par le jeune réalisateur Seïf Hasnaoui. Les deux films, toute proportion gardée, exprime un mal-être qui débouche sur une fin tragique. La scène finale désigne cette jeunesse tunisienne sacrifiée sur l’autel de la violence sociale.
Je n’aurais jamais cru que je verrais un jour un film tunisien aussi osé et avec une liberté de ton qui tranche avec le conformisme moral ambiant et le dogmatisme islamo-puritain si prosaïque et borné de la société tunisienne. Ce film est un pied de nez à une société bigote et en perpétuelle frénésie de délires vertueux, c’est une grande bouffée d’air libérateur. Half a Time débride, il nous déharnache des carcans archaïques et des tabous ataviques qui stigmatisent l’alcool et le sexe, il transgresse le culte sacro-saint de la virginité pré-matrimoniale. Bref, il nous permet d’embrasser la vraie liberté.
Half a Film pourrait se résumer à ces deux mots : talent et courage. Bravo aux jeunes et aux moins jeunes qui ont participé à ce très beau court-métrage de 29 minutes ! Encourageons ce court-métrage porté par des jeunes libérés pour favoriser son succès dans les salles de cinéma. Non seulement il est en sélection officielle, mais en plus on ne risque pas de le voir de sitôt à la télé tunisienne, à moins d’amputer son contenu de moitié pour des raisons moralisatrices.
Voici les prochaines projections prévues du films :
Mardi 2 novembre 2021 à Ciné MadArt – Carthage à 21h30.
Mercredi 03 novembre 2021 à Ciné-Jamil – El Menzah VI à 18h.
* Universitaire.
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