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La Tunisie est-elle en situation de faillite ?

Dans les situations économiques et financières extrêmement complexes et critiques (le cas de la Tunisie actuellement), les experts, face au dilemme de la dénomination, trouvent souvent refuge dans l’emploi abusif du terme faillite !

Par : Mahjoub Lotfi Belhedi *

En pleine crise grecque, vénézuélienne et même libanaise, le vocable magique «faillite» a fortement teinté la plupart des débats télévisés, ce même réflexe sémantique ne cesse de prendre de l’ampleur chez nous, que ce soit par l’homme de la rue ou par les professionnels des médias…

Peut-on, pertinemment, parler de faillite d’un État ?

De prime á bord, le terme est issu d’une boîte á outils marchande médiéval, emprunté à l’italien «fallito», désignant «une procédure légale (judiciaire) impliquant une personne ou une entreprise dans l’incapacité de rembourser ses dettes en cours. Elle entraîne la mise en œuvre d’une démarche qui consiste à inventorier et évaluer tous les actifs du débiteur qui seront ensuite utilisé pour rembourser les dettes»

L’état de faillite implique forcément la réunion des éléments suivants : d’une part, la présence d’une autorité supérieure (un juge) qui contraint à faire quelque chose et la vente d’un patrimoine pour payer les créanciers, d’autre part.

D’après cette acception universellement admise, les éléments intrinsèques de la notion de faillite, á savoir, la notion d’autorité supérieure (le juge), la cession d’actifs (machine, locaux…) pour payer les créanciers, font défaut lorsqu’il s’agit d’un pays et ce en vertu du principe de souveraineté des Etats où aucune autorité supérieure ne peut contraindre un pays de faire quelque chose (même au sein de l’Union Européenne, les États restent souverains), mais aussi en vertu du caractère complexe de l’actif des États qui peut comprendre, entre autres, des actifs inaliénables (le cas des infrastructures critiques), ou enfin, du caractère pérenne des Etats comparativement aux autres entités telles que les entreprises qui disparaissent après liquidation de leur patrimoine.

Donc, en l’absence d’éléments constitutifs de la faillite, ce terme s’avère totalement inapproprié pour les Etats, réduit en une simple forme d’abus de langage largement relayée par les médias !

Alors, comment qualifier la situation d’un Etat qui ne peut plus acquitter ses dettes, sachant que la Tunisie n’est pas dans cette situation, même si elle s’en approche dramatiquement?

Dans ce cas de figure, l’expression la plus adéquate sur le plan juridique est le défaut ou cessation de paiement et non pas la faillite.

L’état de cessation de paiement peut être prononcé par l’État défaillant lui-même en annonçant qu’il ne peut plus honorer ses échéances de dette (c’est ce qu’a fait le Liban, le 9 mars 2020 , l’Argentine en 2001…) , ou via une agence de notation dont la mission principale consiste à l’évaluation de la solvabilité de chaque pays (En 2017, SP Global Ratings a ainsi classé le Venezuela en «défaut partiel» sur sa dette après avoir constaté son incapacité à rembourser les 200 millions de dollars de coupons d’obligations).

Où en sommes-nous exactement en Tunisie ?

Au vu d’un taux d’endettement avoisinant 100 % du PIB en 2021 (dont presque les trois quarts proviennent de l’extérieur et la moitié d’institutions financières internationales), du recours excessif de l’Etat á «la planche BTC» – souscription de bons de trésor á court terme – dont l’impact dévastateur sur le financement des PME n’est plus à démontrer, d’une dégradation de la note souveraine par «Omek Sanafa», comme le président Kaïs Saïed appelle les agences de notations, de B3 à Caaa avec perspective négative (risque élévé), d’une loi de finances 2022 aux «lentilles hyper-daltoniennes» et de la récente visite-avertissement du président du Club de Paris á Tunis, les chances de salut du pays sont désormais trop minces.

Alors, sommes-nous en situation de défaut de paiement ? La réponse ne peut être que binaire.

En cochant la case «Non» puisque le pays a pu régler son échéancier de dette au titre de l’année 2021 (particulièrement au cours des mois de juillet/août 2021), et ses réserves en devises ne sont pas (encore) épuisée.

En cochant la case «Oui ou presque», car nous sommes seulement à deux «pouces» de la situation de cessation de paiement et à quelques «yards» du démembrement des structures de l’Etat, si les pouvoirs publics échouent à renflouer, à temps, les caisses quasi-vides de l’Etat, et si les forces vitales du pays n’arrivent pas à mettre un terme aux actions délibérées de démantèlement de l’Etat au su et au vu de tout le monde.

A cet égard, l’agence Moody’s a prévenu depuis octobre dernier : «Si un financement important n’est pas assuré, la Tunisie risque un défaut de paiement de sa dette»

A bon entendeur !

* Spécialiste en réflexion stratégique.

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