La Russie accuse Washington et Kiev de gérer des laboratoires destinés à produire des armes biologiques en Ukraine. Les Occidentaux dénoncent une désinformation qui pourrait cacher la volonté de Moscou d’avoir recours à ces mêmes armes. Une polémique inquiétante et pas seulement pour les peuples de la région. Car cette banalisation du débat sur les armes chimiques pourrait être lourde de menaces dans un monde aux prises avec des soubresauts géostratégiques et militaires.
Par Habib Glenza *
La guerre de l’information continue de sévir dans le conflit russo-ukrainien. Depuis plusieurs jours, la Russie accuse l’Ukraine et les Etats-Unis de préparer en laboratoire des armes biologiques. Une communication qui fait craindre aux Occidentaux une future utilisation de ces armes par les forces russes. En attendant, la Russie a saisi le Conseil de sécurité de l’Onu de cette question.
Les allégations de la Russie ?
L’accusation a été formulée à plusieurs reprises. Le porte-parole du ministère de la Défense russe, Igor Konachenkov, a notamment affirmé que les Etats-Unis avaient financé un programme d’armes biologiques en Ukraine. «Des documents montrent que des expériences ont été menées avec des échantillons de coronavirus de chauve-souris», assure-t-il. «L’objectif de cette recherche biologique en Ukraine, ainsi que d’autres financées par le Pentagone, était de créer un mécanisme de diffusion clandestine d’agents pathogènes mortels», ajoute-t-il
Depuis, les médias russes sous influence du Kremlin reprennent ces accusations. «A Kharkiv, 20 soldats sont morts après avoir été exposés à une sorte d’arme virale», assure ainsi le tabloïd Komsomolskaïa Pravda (en russe). Ce journal évoque une quinzaine de laboratoires à travers l’Ukraine qui prépareraient des armes «pour des attaques contre la Russie».
Toutes ces accusations ont été rejetées par les Etats-Unis et l’Ukraine. «Le Kremlin répand intentionnellement des mensonges purs et simples», a réagi le porte-parole de la diplomatie américaine Ned Price dans un communiqué. «Je suis le président d’un pays décent, d’un peuple décent. Personne ne développe une quelconque arme chimique ou de destruction massive sur mon territoire», a déclaré le président ukrainien Volodymyr Zelensky.
Ce n’est pas la première fois que Moscou formule ce type d’accusations. En 2018, la Russie avait déjà mis en cause les Etats-Unis, en les soupçonnant de mener secrètement des expérimentations biologiques dans un laboratoire de Géorgie. Cette autre ancienne république soviétique, comme l’Ukraine, ambitionne de rejoindre l’Otan et l’Union européenne.
Les craintes légitimes des Occidentaux
Pour les Occidentaux, la communication de la Russie au sujet d’armes chimiques cache quelque chose. «Ce n’est pas la première fois que la Russie invente de telles fausses accusations», a affirmé le porte-parole de la diplomatie américaine Ned Price. «Maintenant que la Russie a émis ses fausses accusations et que la Chine semble faire sienne cette propagande, nous devons surveiller tout possible recours par la Russie à des armes chimiques ou biologiques en Ukraine», a prévenu Jen Psaki, la porte-parole de la Maison Blanche, sur Twitter.
Lors d’une audition parlementaire, Victoria Nuland, la numéro trois de la diplomatie américaine, a estimé que «c’est une technique russe classique que d’accuser les autres de ce qu’ils envisagent de faire eux-mêmes.»
Boris Johnson a également exprimé jeudi son inquiétude quant à un recours à des armes chimiques en Ukraine. «Les choses que vous entendez au sujet des armes chimiques sortent tout droit de leur stratégie», a déclaré le Premier ministre britannique sur Sky News. «Ils commencent par dire qu’il y a des armes chimiques qui ont été stockées par leurs opposants ou par les Américains. Et donc quand eux-mêmes déploient des armes chimiques, comme je crains qu’ils le fassent, ils ont une sorte de maskirovka [un terme russe qui désigne l’art de tromper l’ennemi], une fausse histoire toute prête.»
L’Ukraine détient-elle des armes chimiques ?
Il existe des laboratoires chimique en Ukraine, mais qui n’ont pas de vocation militaire, disent les Occidentaux. «L’Ukraine dispose d’installation de recherche biologique, et nous sommes de fait à présent assez inquiets par la possibilité que les forces russes tentent d’en prendre le contrôle», a déclaré la diplomate américaine Victoria Nuland, lors de son audition. «Donc nous travaillons avec les Ukrainiens sur les manières d’éviter que ces matériaux liés à la recherche puissent tomber aux mains des forces russes si elles devaient s’en approcher.»
Ces laboratoires, soutenus par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), étudient les moyens d’atténuer les menaces de maladies dangereuses affectant à la fois les animaux et les humains, mais n’ont pas vocation à créer des armes. Dans un courrier consulté par l’agence Reuters, l’OMS conseille quand même à l’Ukraine de détruire ses agents pathogènes à haut risque hébergés dans ses laboratoires. Il s’agit d’éviter «tout déversement potentiel» qui propagerait des maladies au sein de la population en cas de bombardement.
Il y a deux jours, les Etats-Unis ont reconnu, l’existance de plusieurs laboratoires en Ukraine, mais ils ont nie catégoriquement que ces laboratoires produisent des armes chimiques et biologiques et que ces laboratoires sont sous la tutelle du Pentagone.
Quoi qu’il en soit et dans tous les cas de figure, cette polémique est inquiétante au plus haut point, car elle fait craindre des dérapages qui pourraient provoquer des actes inconsidérés de part et d’autre. Ce qui fait peser de lourdes menaces, et pas seulement sur l’Ukraine ou l’Europe de l’Est dont les peuples suivent l’évolution de la situation militaire sur le front militaire en retenant leur souffle.
* Conseiller à l’exportation agréé par le ministère tunisien du Commerce.
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