«Anti-semitism in the New Testament» : le Christ contre les juifs ?

Lorsqu’à Jérusalem, vendredi 13 mai 2022, la police Israélienne charge la procession funéraire autour du cercueil de Sherin Abou Akleh, la journaliste chrétienne palestinienne assassinée la veille par l’armée sioniste, et lorsque les porteurs du cercueil frappé de la croix sont eux mêmes victimes d’une charge policière et de bastonnades, il est difficile de ne pas se rappeler les scènes décrites dans le Nouveau Testament, ou bien jouées dans les films hollywoodiens, et se rapportant au calvaire du Christ en butte à l’agressivité et aux quolibets de la populace juive de la cité sainte, transportant sa croix sur ses épaules, vers les lieux de son supplice.

Par Dr Mounir Hanablia *

Les Européens et les Américains, autrement dit l’Union Européenne et la Maison Blanche, se sont déclarés «consternés»; c’est le moins qu’ils auraient pu faire. Mais attention ! ce qui est en cause dans le conflit israélo palestinien n’est pas d’ordre religieux ni racial.

La politique colonialiste d’un peuple conquérant contre un autre subissant l’occupation a conduit inévitablement partout dans le monde tout au long de l’Histoire à des brutalités, des assassinats, et des massacres, et l’Etat juif n’est pas l’exception, même si l’affirmer expose désormais à l’accusation d’antisémitisme. Pourtant, celui-ci n’est que cette hostilité spécifique qui a émergé dans l’Europe des Lumières, avec l’avènement de l’Etat Nation, lorsque les juifs, généralement au XIXe siècle, ont été assimilés en tant que citoyens égaux en droits et en devoirs dans les communautés nationales.

Les relations cordiales entre les communautés juive et chrétienne

Depuis lors, et hormis le paroxysme de la Shoah, ou bien quelques actes marginaux et rares essentiellement contre des symboles religieux, les relations entre communautés juive et chrétienne en Europe Occidentale et en Amérique sont en général cordiales, et le fond culturel commun qualifié improprement de judéo-chrétien est souvent mis en exergue en tant qu’origine de la civilisation occidentale moderne.

Depuis la création de l’Etat d’Israël, une hostilité plus ou moins affichée unit les deux communautés contre l’islam et les musulmans. Cependant, l’auteur de ce livre, un rabbin américain, tient à démontrer que le Nouveau Testament, l’écrit sacré des chrétiens, à travers en particulier les Évangiles de Matthieu, Marc, Luc et surtout Jean, affiche un anti-judaïsme ouvert très éloigné de la religion de l’amour dont se targuent les chrétiens, qui peut expliquer les péripéties de l’histoire des communautés juives dans l’Europe Chrétienne, à travers les âges.

L’Evangile de Jean dépeint en particulier «les juifs» comme étant irréductiblement opposés au Christ (Messie en hébreu, qui signifie Oint) l’accusant d’être un Samaritain (membre d’une secte rivale du judaïsme) ou d’être habité par un démon, complotant et cherchant par tous les moyens à le perdre. Et à l’inverse, le Christ leur dénie la descendance d’Abraham et les accuse plutôt en cherchant à attenter à sa vie, d’être les enfants du Diable.

Tout cela finit évidemment tragiquement avec le jugement par le Gouverneur Romain Ponce Pilate qui ne trouve rien à lui reprocher mais qui, sur l’insistance de la foule menée par les prêtres juifs, gracie un criminel notoire, à moins qu’il ne fut un révolutionnaire, Barabbas, et condamne le Christ au supplice de la Croix.

Le récit exonère ainsi les Romains de toute responsabilité dans la mort du Christ et la rejette entièrement sur les juifs, ad aeternam, sur plusieurs générations, les enfants assumant les péchés de leurs pères.

C’est cette accusation de déicides que traîneront toutes les communautés juives dans l’Europe Chrétienne jusqu’à l’avènement des Lumières.

Evidemment -l’auteur récuse le bienfondé de ces accusations en donnant l’exemple aux Etats Unis de l’assassinat de trois présidents, Lincoln, McKinley, et Kennedy, qui ne font pas pour autant des Américains des régicides ad aeternam. Et il met autant en exergue le caractère imprécis du récit qui tantôt fait la différence entre les différentes composantes de la population juive, sadducéens, pharisiens, sanhédrin, tantôt la considère d’une manière globale sans faire de distinction.

Et bien qu’il reconnaisse que les chrétiens d’aujourd’hui, du moins ceux de la communauté universitaire, scientifique, et scolastique, récusent les accusations des Évangiles en les considérant comme circonstancielles, et enseignent que le respect des juifs est inhérent à l’esprit chrétien véritable, son inquiétude est manifeste vis à vis de l’avenir. Sans le dire explicitement, il considère que les Évangiles sont potentiellement porteurs de nouvelles résurgences de l’hostilité des chrétiens envers les juifs.

L’Histoire et les nécessités du moment

Pourtant ce qui risque d’attiser l’antisémitisme, c’est plus que tout la politique coloniale de l’Etat d’Israël dans les territoires occupés et à Jérusalem, dont l’usage de la brutalité de la police israélienne contre une procession funéraire nationaliste chrétienne n’a donné qu’un faible aperçu.

Il n’est pas ici opportun de rappeler toute l’hostilité véhiculée par la littérature rabbinique contre les «Goyim»; il n’y a rien d’étonnant que les communautés persécutées se soient faites dans leurs écrits l’écho des traumatismes subis durant la dispersion, et ce serait pur antisémitisme de prétendre que la répression israélienne contre les Palestiniens en soit la conséquence.

Ceci nous emmène évidemment au Coran, au sein duquel le conflit politique, idélogique, et militaire, entre le prophète Mohamed et les juifs de Médine ou de Khaibar, a laissé des traces indélébiles. Il est intéressant de noter dans le Coran les mêmes arguments que ceux issus des Evangiles et rapportés au Christ contre les enfants d’Israël.

Néanmoins, en terre d’Islam les relations entre juifs et musulmans ont sauf exceptions été pacifiques, et on aurait même pu dire cordiales. les juifs chassés d’Espagne, du Portugal, et d’Angleterre, trouvant refuge en terre d’islam, au sein de l’empire ottoman. Mais le révisionnisme historique imposé en Occident par les nécessités de la propagande contre le terrorisme, après le 11-Septembre, et la mobilisation contre l’immigration, ont occulté ces réalités.

Un exemple de plus qui démontre que la rédaction de l’Histoire est beaucoup plus tributaire des nécessités du moment entourant sa rédaction, que du souci de rapporter la véracité des faits. Et durant la seconde guerre mondiale les communautés juives maghrébines, même sous l’autorité de Vichy, ou l’occupation germano italienne, n’ont jamais connu le sort tragique de leurs consoeurs européennes, et comme au Maroc, ont bénéficié de la protection des plus hauts dignitaires arabo musulmans. Et plusieurs millions de soldats musulmans issus des colonies ont combattu dans les rangs des armées britannique, française, et même soviétique, et ont payé le tribut du sang contre les Nazis et les Japonais pour la libération de l’Europe et de l’Asie.

La Shoah demeure une tragédie dont seuls les Européens, et en particulier l’Allemagne, assument la responsabilité. Pourquoi faudrait il que le peuple Palestinien continue à en payer le prix fort?

* Médecin de libre pratique.

«Antisemitism in the New Testament», de Lillian Freudmann, éd. University Press of America, 358 pages, décembre 1993.

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