Coopération : La Tunisie doit faire de nouveaux pas vers l’Asie

En devenant officiellement le 90e membre de la Banque asiatique pour l’investissement dans les infrastructures (BAII), la Tunisie fait un pas en direction de l’Asie qui, de l’avis de tous les économistes et stratèges militaires, est en train de devenir le centre de gravité du monde.

Par Elyes Kasri *

Ayant été ambassadeur de la Tunisie dans trois pays asiatiques (République de Corée, Inde et Japon) et à deux reprises directeur général pour l’Amérique et l’Asie et une fois directeur général pour l’Afrique (au sein du ministère des Affaires étrangères, Ndlr), je peux attester que, si la Tunisie doit maintenir ses relations et sa coopération avec ses partenaires classiques en Europe, dans le continent américain et le monde arabe, elle devrait saisir plus vigoureusement les opportunités qui s’offrent sur le continent africain avec une stratégie de présence pluri-institutionnelle, diplomatique, publique et privée.

Des modèles de réussite à suivre

Toutefois, s’il y a un continent qui présente des opportunités pour aider la Tunisie à sortir de sa crise actuelle et concevoir un modele de développement durable basé sur le développement des compétences et l’innovation, c’est incontestablement l’Asie qui mérite de notre part une nouvelle stratégie de partenariat et de coopération pour nous inspirer des politiques qui ont fait accéder des pays qui étaient moins développés que la Tunisie dans les années 60 du siècle dernier au rang de puissances économiques et technologiques.

Si quelques efforts, même si modestes, ont été faits sous le règne de feu Ben Ali pour développer les relations avec des pays comme le Japon avec une périodicité des visites de haut niveau, notamment par l’ancien Premier ministre Mohamed Ghannouchi qui vient de se voir décerner, à juste titre, une haute distinction japonaise, la période post-révolution s’est illustrée par une perte d’intérêt pour l’Asie sauf pour les importations et des projets supposés d’infrastructure clé en main qui nécessitent en fait une mûre réflexion sur leur rentabilité économique.

Revoir un système à bout de souffle

La participation de la Tunisie à la BAII, dont le siège est à Pékin, est un bon début, encore faudra-t-il concevoir un modèle de développement susceptible de drainer les capitaux et de rentabiliser les nombreux atouts de la Tunisie et sa position stratégique entre les continents européen et africain et les pays arabes. Il faut se rendre à l’évidence que la Tunisie a actuellement plus besoin d’un nouveau modèle de développement que de capitaux pour financer un système à bout de souffle et à maints égards périmé.

La densification de la présence diplomatique et institutionnelle de la Tunisie en Asie notamment en ouvrant de nouvelles ambassades, même avec une structure plus légère et plus intelligente grâce aux nouvelles technologies de communication, dans des pays comme la Malaisie, le Vietnam, Singapour et la Thaïlande, nous permettra de mieux nous familiariser avec l’expérience de développement de ces pays et d’établir des partenariats fructueux dans les différents domaines de développement.

L’expérience de Singapour, un des pays les plus riches, en dépit de l’absence de ressources naturelles, pourrait nous être utile dans la mesure où ce pays procède à la désignation d’ambassadeurs accrédités auprès de pays étrangers mais avec résidence à Singapour. Cette formule intermédiaire de représentation diplomatique a le mérite de réduire considérablement les coûts de représentation tout en créant un point focal pour les relations bilatérales et conférant le statut et l’accès requis lors des visites périodiques de l’ambassadeur dans son pays d’accréditation.

Prendre pour modèle la République de Corée

Si de nombreux pays asiatiques ont beaucoup à offrir à la Tunisie dans les domaines du développement socio-économique et technologique grâce à l’intensification des visites et des mécanismes bilatéraux diplomatiques, politiques, économiques, technologiques et commerciaux, le candidat qui me semble le plus approprié pour un rapprochement stratégique et une coopération fructueuse pour la Tunisie dans la phase critique qu’elle traverse serait la république de Corée qui a su réaliser un bond extraordinaire de développement democratique, social, économique et technologique en misant sur ses ressources humaines et le patriotisme de ses citoyens et de ses entreprises.

Outre le renforcement de notre ambassade à Séoul en moyens humains et matériels, je me permettrais de recommander la programmation d’une visite d’Etat du président Kais Saied à Séoul qui serait l’occasion d’établir une relation personnelle avec le nouvellement élu président Yoon Seok-youl et convenir avec lui un programme de dynamisation des mécanismes bilatéraux notamment en hissant le niveau de la commission mixte à celui des chefs de gouvernement et en donnant un contenu plus concret et ambitieux à la commission mixte scientifique et technologique.

La décision de mise en œuvre immédiate du projet de technopole coréenne à Gafsa, associant la recherche scientifique et technologique et les activités de production de technologies avancées et propres, en instance depuis de nombreuses années, pourrait donner un contenu immédiat et concret à ce nouveau partenariat stratégique entre la Tunisie et la République de Corée.

Dixième puissance économique mondiale, selon le calcul du produit intérieur brut en parité de pouvoir d’achat, et grande puissance industrielle et technologique, émettrice d’investissements à l’étranger, la République de Corée est un partenaire idéal pour la Tunisie en raison des nombreuses similarités entre les deux pays et l’absence de velléités hégémoniques passées ou actuelles.

Outre la transparence de sa gestion administrative, la République de Corée dispose d’un système d’éducation, de formation professionnelle et de valorisation de la recherche scientifique et technologique qui pourrait aider la Tunisie à réussir sa transition économique vers un modele de développement plus intégré et durable, fondé sur les compétences qui, malheureusement, dans notre système actuel, sont condamnées à un emploi sous-payé et dévalorisant si ce n’est le chômage ou l’exil.

La Tunisie peut devenir le Singapour et la Corée du sud de la Méditerranée grâce à une vision d’avenir et des partenariats avec les pays qui ont réussi leur développement économique, technologique, social et humain.

A maints égards, la République de Corée me semble le candidat le plus approprié pour servir de partenaire et de modèle dans l’édification d’une nouvelle Tunisie prospère, créatrice et centre régional de compétences et d’innovation.

Ce choix est à notre portée et devient, jour après jour, une nécessité vitale.

* Ancien ambassadeur au Japon et en Allemagne.

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