Les lauréats du Prix Comar du roman tunisien 2022

Les prix Comar du roman tunisien ont été décernés lors d’une soirée littéraire et musicale, organisée samedi 21 mai 2022, au théâtre municipal de Tunis, en présence d’écrivains, d’éditeurs et de critiques littéraires, en plus bien entendu des dirigeants des Assurances Comar, et à leur tête Hakim Ben Yedder, qui ont lancé ce prix il y a 26 ans.

Par Imed Bahri

La soirée était animée par notre confrère Mourad Zeghidi et le programme littéraire, qui reste le plat de résistance de l’événement, a été agrémenté par un concert de l’Orchestre symphonique de Carthage dirigé par le maestro Hafedh Makni.

La tâche des membres des deux jurys n’a certes pas été facile pour départager les romans concourant pour les six prix mis en jeu, trois pour la langue arabe et trois pour la langue française, et pour cause, comme dira l’un d’eux, «au-delà du nombre, 48 romans en arabe et 17 en français, il y avait de la qualité, et il a fallu trancher».

La tentation autobiographique

Notre confrère Ridha Kéfi, qui préside le jury du roman en français (alors que l’universitaire Mohamed El-Kadhi préside le jury du roman en arabe), a souligné dans l’éditorial du bulletin publié à cette occasion ce qu’il a appelé l’émergence dans le roman tunisien contemporain d’une «tentation autobiographique». Selon lui, cette tendance qui se renforce d’année en année «s’observe, surtout, chez les auteurs qui viennent assez tard à l’écriture romanesque et qui, à travers la fiction qu’il racontent, cherchent à témoigner du vécu de leur génération dans une société tunisienne en pleine mutation, et ce en puisant abondamment dans leur vécu personnel».

Les trois romans en français primés lors de cette édition s’inscrivent d’ailleurs, à divers degrés, dans cette tendance, comme le démontre les attendus de la décision du jury que nous reproduisons ci-dessous, et qui, outre Ridha Kefi, se compose de Sonia Zlitni, Monia Kallel, Mokhtar Louzir et Raouf Seddik.

Lamine Kallel reçoit son prix des mains de Lotfi Haj Kacem.

Prix Découverte : «La Battante», de Lamine Kallel

Ce roman, porté par le souffle d’une narration sans fioriture, raconte la lutte acharnée d’une paysanne analphabète qui se trouve mêlée, à son insu, aux soubresauts de la lutte nationale et de la libération algérienne, mais qui parvient, par sa détermination et sa volonté d’apprendre, à triompher de l’adversité et de la barbarie qui régnaient sur les deux rives de la Méditerranée.

L’auteur réussit à mener son récit sans succomber aux sirènes du manichéisme qui caractérise les romans du genre. Il ne juge pas ; il décrit des hommes et des femmes, tels qu’ils sont, soulignant leur grandeur et leur bassesse, sans artifices et sans moralisme déplacé.

Melika Golcem Redjeb reçoit son prix des mains de Slaheddine Ladjimi.

Prix spécial du jury : «Nasrimé», de Melika Golcem Redjeb

Ce roman de cinq cent vingt-quatre pages reconstitue un pan de l’Histoire de la Tunisie. Il couvre les deux premières décennies du XXe siècle, à travers les déboires vécus par le personnage principal, une adolescente turque prise dans l’inextricable jeu du pouvoir. Au terme d’un voyage rocambolesque, elle se trouve mêlée aux intrigues du palais du Bey de Tunis dont elle devient peu à peu l’un des piliers, aimée et détestée à la fois, subissant les haines qu’elle alimente à son insu et se laissant entraîner dans des amours impossibles.

Par le biais d’une écriture poétique, l’auteure nous promène à travers les palais d’Istanbul et de Tunis, nous fait découvrir des personnages attachants de vérité et reconstitue, ce faisant, le portrait d’une nation, la Tunisie, qui se construit dans le bruit et à la fureur de l’Histoire.

Emna Belhaj Yahia recevant son prix des mains de Hakim Ben Yedder.

Comar d’Or : «En pays assoiffé», de Emna Belhaj Yahia

À travers un récit bien structuré et une écriture lumineuse, l’auteure revient sur les grands événements ayant marqué l’Histoire d’un pays qui n’est pas nommé mais qui ressemble beaucoup à la Tunisie à la seconde moitié du XXe et au début du XXIe siècle. À travers son regard de femme qui a vécu les drames et les désillusions de son peuple, elle cherche à comprendre, sans complaisance et sans autoflagellation non plus, les causes des échecs successifs.

La narration est fluide et le regard posé sur les êtres, les choses et les phénomènes est tour à tour amical, douloureux, déchanté mais jamais désespéré. La progression de la narration nous fait découvrir des personnages qui nous ressemblent et dont l’épaisseur psychologique nous incite à la réflexion et au questionnement sur soi et sur son époque.

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