Pour un boycott du référendum en Tunisie

Participer au référendum du 25 juillet 2022 sur la nouvelle constitution, qui est en cours de rédaction par un comité d’experts sous la férule du président de la république Kaïs Saïed, c’est faire acte d’allégeance («bayaa») si cher à un président féru d’histoire et de pratiques islamiques, tant il est vrai que les conclusions de la consultation sont connues d’avance et que les Tunisiens auront bien d’autres chats à fouetter que de la légitimer en y participant.

Par Faik Henablia *

Les partisans du détenteur du pouvoir à Carthage soutiennent qu’il est possible de désavouer celui-ci en votant non au référendum à venir. Certes, mais gageons tout de même que nombre de Tunisiens éviteront de tomber dans ce piège, destiné, avant tout, à donner un semblant de légitimité, au moyen d’un taux de participation respectable, à cette  entreprise.

1/ Entériner un fait accompli.

Participer à cette consultation, c’est, en effet, d’une part, entériner un fait accompli et, d’autre part, avoir foi en sa crédibilité.

Voter c’est entériner la normalisation et l’accepter. C’est s’accommoder du fait accompli. C’est reconnaître que le sort et l’avenir d’un pays se décident sous un régime d’exception abusivement et indéfiniment prolongé. C’est prendre pour argent comptant qu’un homme, certes élu, mais aux compétences bien limitées et  encadrées par la constitution, se soit affranchi de son mandat en s’ emparant de la totalité des pouvoirs et ait entrepris de démanteler, les unes après les autres, les institutions de l’Etat, soit en les supprimant, soit en en prenant le contrôle. C’est ignorer les dépassements quasi quotidiens auxquels nous assistons, les décrets non susceptibles de recours, les licenciements abusifs, le bafouage du droit à la défense. C’est lui reconnaître le droit de décider qui est digne de donner son opinion quant à l’avenir du pays et qui ne l’a pas. C’est courber l’échine devant un individu, quand bien même il s’arroge le droit de décider, seul, de l’avenir d’un pays. C’est lui confier un chèque en blanc et lui permettre de continuer ainsi a agir a sa guise, a n’en faire qu’a sa tête. 

Le coup du 25 juillet 2021 eût pu être considéré comme un moindre mal s’il avait été suivi, dans la foulée, d’élections législatives anticipées, ayant pris, au préalable, la précaution de correctement appliquer la loi, en s’assurant de la section du lien ombilical entre certaines associations caritatives, pour la plupart étrangères, d’une part et les Frères musulmans d’autre part, lien qui permettait à chaque fois, à ces derniers, d’acheter les votes nécessaires au contrôle effectif du pouvoir. 

2/ Référendum ou acte d’allégeance?

Votre c’est reconnaître que le référendum se déroulera dans des conditions normales, offrira toutes les garanties de régularité et préviendra la manipulation des résultats. C’est admettre que sa mise en œuvre sera assurée  par une autorité indépendante et incontestable, une autorité au-dessus de tout soupçon, bref tout ce que n’est pas une Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie) reprise en main par le fait du prince et dont tout porte à croire qu’elle sera une chambre d’enregistrement aux ordres. C’est connaître le texte qui sera soumis à la votation, et avoir suffisamment de temps pour le lire, l’analyser et le comprendre.  C’est connaître les règles qui présideront à cette consultation, règles de vote, de quorum, etc. C’est s’assurer que les résultats seront incontestables et susceptibles de recours, le cas échéant. C’est avoir la garantie que les conséquences seraient tirées d’un échec de la votation, contrairement au précédent de la funeste consultation électronique nationale, considérée comme un succès en dépit d’une participation fantomatique. De ce point de vue, le courroux présidentiel contre la Commission de Venise est révélateur; qui sont donc ces insolents étrangers qui prétendent entraver l’action de nos décideurs solitaires?

C’est avoir la certitude que ce référendum ne tournera pas au plébiscite, à l’acte d’allégeance («bayaa») si cher à un président féru d’histoire et de pratiques islamiques.

Poser les problèmes ci-dessus, c’est y répondre, tant il est vrai que les conclusions de la consultation sont connues d’avance et que les Tunisiens auront bien d’autres chats à fouetter que de la légitimer en y participant.

Un refus d’y prendre part serait, certes, sans conséquence sur le résultat, mais aurait le mérite de marquer le coup, pour l’histoire. 

* Docteur d’Etat en droit, ex-gérant de portefeuille associé.

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