Tunisie : l’autocrate et son dangereux projet de constitution

Le projet de nouvelle constitution publié au Journal officiel le 30 juin dernier et que Kaïs Saïed propose pour le référendum du 25 juillet courant, révèle au grand jour la véritable nature de son promoteur, le président de la république Kaïs Saïed, à savoir un authentique autocrate islamiste. 

Par Faik Henablia *

Ceux qui s’étaient cru débarrassés un fois pour toute, un certain 25 juillet 2021, de la pieuvre moyenâgeuse qui a fait tant de mal au pays, ont bien dû déchanter à la lecture du projet, tant sa nature ôte tout doute possible. 

Une remarque au passage concernant la réputation d’intégrité et d’honnêteté de M. Saïed pour dire que les professeurs Sadok  Belaid et Amin Mahfoudh, qui avaient été appelés à la rescousse par le détenteur du pouvoir à Carthage pour écrire ledit projet de constitution, ont été proprement roulés dans la farine. En découvrant le texte final publié sur le Jort, et qui n’a qu’une vague ressemblance avec celui qu’ils lui avaient remis, ils ont dû rire… jaune.

Graves menaces sur les libertés

Sans revenir sur la forme, et en particulier sur ce morceau d’anthologie qu’est un préambule dont on se demande pourquoi il n’est pas rédigé à la plume et en style calligraphique, ce qui ressemble plus à un torchon qu’à quoi que ce soit, constitue en effet un danger mortel à double titre.

Outre les menaces incontestables que le projet laisse planer sur les libertés et sur lesquelles il est inutile de s’appesantir tant le pays a déjà donné, il consacre, surtout, le retour de la charia car c’est, en effet, la première fois que ce pays, habitué aux autocrates, fait face à un autocrate islamiste, alors qu’il avait eu, jusque6là, la chance d’avoir affaire à des despotes éclairés.

Le danger est principalement illustré par l’article 5 du texte.

En 2013, le projet de constitution présenté par les Frères musulmans d’Ennahdha avait suscité une forte opposition de la société civile, et avait été finalement retoqué pour islamisme flagrant.

Ce que la société civile avait réussi à éliminer en 2013, revient, cependant, aujourd’hui par la grande porte. 

Certes l’article 1 du projet ne fait plus référence à la religion d’Etat.

Cette disparition est, cependant, d’abord tempérée, par la disparition suspecte du caractère civil de l’Etat, prévu par la constitution de 2014, ensuite carrément vidée de son sens  par un article 5 disposant que l’Etat œuvre à l’application des «maqaced al-islam» (finalités de l’islam), finalités dont on a pris le soin de remplacer celle de la préservation de l’esprit par celle de la préservation de la liberté. Comme chacun le sait, la charia est un havre de liberté, surtout pour les femmes. 

L’avènement d’un islamisme d’Etat  

La dangerosité de cet article est davantage mise en évidence lorsqu’il est comparé au projet d’article 5 proposé par le professeur Belaïd, et manifestement rejeté par le président ou ses référents idéologiques, parmi lesquels figure, sans doute, «Monsieur» pour reprendre un titre jadis donné aux frères de certains rois de France (allusion à Naoufel Saïed, le frère cadet du président, connu pour sa proximité avec les islamistes, Ndlr).     

Il s’agissait, paraît-il, de barrer la route aux partis religieux, qui n’auraient pas manqué de s’emparer de ce thème afin de l’imposer une fois au pouvoir. 

Le nouveau texte leur évite cet écueil, puisque c’est désormais l’Etat lui-même qui aura obligation d’imposer la religion musulmane dans la vie et la pratique de tous les jours! 

Guerre d’islamisme en somme entre Etat et partis religieux. 

Que l’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit ni plus ni moins que de préparer le terrain à un retour de la charia et de son corollaire, la police des mœurs, chargée de veiller à l’application de ses «finalités» ou du moins celles qu’elle jugera comme telles. 

Mais pas du tout, nous rétorque-t-on, il s’agit cette fois d’appliquer les principes du vrai islam, pas celui des charlatans; ben voyons! Le problème est que les Youssef Qaradâwî et les Wajdi Ghonim de ce monde s’estiment aussi détenteurs de la parole absolue islamique. 

Etre arabo-musulman est-il un obstacle à la jouissance libertés?

Dans le cas où il y aurait encore un doute quant aux intentions des auteurs, celui-ci est levé par un article 44 qui dispose que l’Etat veille à ancrer la jeune génération dans son identité arabo-musulmane… à l’ouverture sur les droits de l’homme, etc.; pourquoi pas les droits de l’homme tout court? Pourquoi cette manie de tempérer tout ce qui vient d’Occident par notre condition d’Arabo- musulmans? Etre arabo-musulman est-il, en soi, un obstacle à la jouissance de certains droits et libertés? Les écoles du style de celle de Regueb vont-elles, par conséquent, essaimer sur tout le territoire?

La conclusion de tout ceci, en dépit des dénégations indignées des défenseurs du texte, est que rien ne s’oppose plus a priori à une remise en cause de pratiques et droits, jusque-là considérés comme acquis.

Le code du statut personnel va-t-il dans le sens des principes de l’islam? Peut-être pour le détenteur actuel du pouvoir à Carthage, quoi que, mais demain, en sera-t-il nécessairement de même pour un autre?

Qui empêchera un gouverneur ou un inspecteur de police zélé d’interdire les boissons alcoolisées ou d’imposer le jeûne du Ramadan? 

Le plus surprenant est que certains chroniqueurs et surtout chroniqueuses considérés comme plutôt modernistes n’y trouvent rien à redire.

Il va sans dire que le torchon sera approuvé au moyen d’une consultation manipulée, sous le contrôle d’une Instance supérieure indépendantes des élections (Isie) aux ordres du pouvoir et que la victoire du «oui» sera confortable, même si, par souci de vraisemblance, l’on fera en sorte qu’elle n’atteigne pas des taux que même Ben Ali avait eu la pudeur de ne plus afficher.

Seule une abstention massive peut en ternir la légitimité. Mais, hélas, la grande leçon à en tirer est que le premier venu pourra, dans le futur, jeter une constitution à la corbeille et en faire approuver une autre, avec moins d’un million de votants sur neuf. 

* Docteur d’Etat en droit, ex-gérant de portefeuille associé.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.