Qatar 2022 : To beer or not to beer ?

Ni mollahs ni pasdarans, les nouveaux perçants se sont rendus à Doha pour dicter leurs exigences à une minuscule monarchie perdue dans le golfe Arabique. La bière doit couler à flots, sinon ce n’est plus une coupe mais un verre à ballon rempli d’eau pétillante extra halal distillée et mise en bouteilles localement.

Par Mohsen Redissi *

Pour le regard extérieur, c’est une violation de l’un des articles de l’accord de bonne entente entre la Fifa et le Qatar, pays hôte de cette Coupe du monde de football. Les autorités locales adoptent pour la période de la compétition un nouveau statut par lequel elles tolèrent la consommation de boissons alcoolisées. Les voies du seigneur sont impénétrables. Ses forces de l’ordre ferment les yeux sur les débordements des disciples de Dionysos, à quelques milliers de vignobles près de leur royaume. Les supporters peuvent comme à l’accoutumée honorer leurs champions, dans la victoire comme dans la défaite, en buvant et en dansant jusqu’à l’aube.

Honneur à Bacchus

Les événements sportifs sont généralement des spectacles sur le terrain grâce aux prouesses techniques des acteurs des jeux. Les villes où se trouvent les stades et leurs rues sont le prolongement d’une fête le temps d’une nuit que des visiteurs venus d’ailleurs voudraient gâcher par la beuverie et l‘indécence. Ils comptent pousser le bouchon un peu loin. Le Qatar, lui, veut y mettre un frein en interdisant l’alcool. Sans tourner autour du pot, il lance un appel pour l’abstinence.

L’alcool est la partie fermentée de la mésentente. Le Qatar est rattrapé par ses manquements envers une main d’œuvre abondante, bon marché qu’il a spoliée, usée dans des chantiers sous un soleil de plomb et tuée par manque de mesures de sécurité. Le pays se lave les mains et prie Dieu pour le salut de leur âme. Ces accusations sont sans fondement pour ses dirigeants. Le Qatar, par ses canaux officiels, dément les chiffres avancés. Ils n’ont aucun rapport avec la réalité.

Sodome et Gomorrhe

La Fifa est catégorique, elle le fait savoir à toutes les équipes. Elle est contre le port du brassard arc-en-ciel, signe distinctif de tolérance envers les homosexuels et transgenres. Les équipes insoumises risquent des sanctions allant jusqu’au carton jaune pour insubordination. La coupe est pleine. Les capitaines de plusieurs équipes voulaient porter ce brassard en signe de protestation du sort peu envieux des LGBT au Qatar.

Le logo OneLove pour défendre le droit des LGBT.

Fair Game, la devise de la Fifa ces dernières années pour mettre fin au racisme dans les stades et leurs alentours, est restée dans le vestiaire. Sport et politique ne font jamais bon ménage. Hugo Lloris, portier de l’équipe de France et son interlocuteur auprès de l’arbitre, a refusé dans une récente déclaration de porter le logo OneLove par respect pour le pays hôte.

Des témoignages accablants, des vies brisées et des récits déchirants d’anciens sportifs européens inondent la toile. Leurs souffrances psychiques dépassent l’entendement. Hommes et femmes, vivant dans la lumière et adulés par un large public, mènent leur sexualité et leur vie amoureuse dans l’ombre. La peur d’être découverts par leurs coéquipiers les déchire; leur performance sportive en souffre. Le plus souvent, ils finissent par craquer et avouent leur homosexualité devenant ainsi la risée de la chambrée.

Les sous-entendus et les mots blessants en référence à leur orientation sexuelle deviennent leur lot quotidien.

Selon un sondage Ipsos de 2021, 69% des Français considèrent qu’il est difficile de vivre son homosexualité dans le football. Ces mêmes sportifs, agressifs à souhait envers leurs coéquipiers, se croient investis d’une mission de pacification. Ils comptent, par leurs actions, expier leurs erreurs de jeunesse et se laver les mains des erreurs du passé. Hélas, ils sont venus au Qatar avec la ferme intention de semer la zizanie sous couvert d’une action de réconciliation entre le Qatar et ses LGBT. Ils bombent le torse. Pour les envahisseurs d’un genre nouveau, la politique du pays hôte envers certaines personnes en raison de leurs penchants sexuels et identité de genre leur semble répressive.

Ces gardiens de la morale et défenseurs acharnés des droits des LGBT ont-ils, une fois dans leur vie, participé, au vu et au su de leur entourage, aux Gay Games, créés pour lutter contre l’homophobie et les discriminations dans le sport? Est-ce que leur attachement à la défense des droits des LGBT n’est qu’un coup de tête de l’instant présent?

Lettres persanes

Le Qatar ces jours-ci essaye par tous les moyens d’arrondir les angles. Les attaques fusent de toute part. Il perd sur le terrain de foot comme il perd de son influence sur un public hostile. Les médias l’ont programmé, robotisé même. Des campagnes anti Qatar ont été lancées en amont bien avant la tenue de la phase finale de la Coupe du monde sans aucun filet de sécurité. Il y a comme un sursaut. Le Qatar, pour polir son image, lance une nouvelle initiative. La chaîne beIN Sport diffuse pendant les matches, heures de forte audience, des spots à la gloire du pays, terre d’accueil et de tolérance. C’est le moment idéal pour retoucher les esprits. La Fifa s’y met aussi; ses acteurs de vrais joueurs qui louent les mérites du football et ses effets fédérateurs.

Le monde entier n’a pas pardonné et ne pardonnera jamais à la Fifa d’avoir donné au pays du keffieh le privilège d’organiser la plus prestigieuse des coupes, celle du football, le sport qui déchaîne les passions. Son président est mis en difficulté. Les fédérations nationales contestent la justesse de son choix; il risque de ne pas être reconduit à la tête de son cartel, plus puissant que l’Organisation des nations unies. Est-ce la malédiction du Qatar cent ans plus tard ?

La Fifa ne tombera pas dans le même hors-jeu deux fois, elle a tiré un grand trait sur ce genre d’évènement dans le monde arabo-musulman. Une fois n’est pas coutume. Khalass ! Assez ! Basta !

«Comment peut-on être persan ?» c’est la question que s’est posée Montesquieu au XVIIIe siècle. Cette phrase reste d’actualité; elle seule résume le malentendu que vit le Qatar. Rica et Usbek, deux Persans en visite à Paris, se débarrassent de leurs habits traditionnels trop voyants pour se vêtir à l’Européenne. Deux raisons majeures les poussent à ressembler aux autres devenus leurs modèles : se fondre dans la foule et cesser de se faire arrêter dans la rue à cause de leur apparence. Au contraire des héros de ce philosophe éclairé, toute la cohorte étrangère en visite à Doha s’étonne devant la différence. Se débarrasser de ses préjugés est une tache assez difficile. Il leur vaut un décapsuleur.

* Haut fonctionnaire à la retraite.

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