Affaire de Zarzis : saurait-on un jour «toute la vérité», comme le souhaite Saïed ?

Les habitants de Zarzis, et avec eux douze millions de Tunisiens, vont peut-être s’interroger longtemps sur les circonstances douteuses du naufrage de la barque de migrants clandestins dont les autorités locales se sont empressées d’enterrer les corps dans le cimetière des anonymes.

Par Imed Bahri

Après avoir montré, pendant deux mois, une totale indifférence à l’égard du drame de la migration à Zarzis, le président de la république Kaïs Saïed multiplie ces dernières semaines les sorties médiatiques à ce sujet, sans que l’enquête n’avance d’un iota ou que l’opinion publique n’en sache davantage sur les circonstances de ce drame qui n’a pas fini d’endeuiller les habitants de Zarzis.    

Hier soir, mercredi 7 décembre 2022, le président Saïed s’est rendu à la caserne de la garde nationale d’El-Aouina, non loin du palais de Carthage, où il s’est réuni avec des responsables sécuritaires afin d’«accélérer l’enquête en cours sur l’affaire du naufrage au large de Zarzis (gouvernorat de Médenine) survenu fin septembre dernier».

Irrégularités, manquements et circonstances inhabituelles

Lors de cette réunion, le chef de l’Etat a souligné que «des témoignages concordants» font ressortir «nombre d’irrégularités et de manquements», ainsi que des «circonstances inhabituelles» ayant entouré ce douloureux incident dans les opérations migratoires par voie maritime, lit-on dans un communiqué de Carthage.

Le président de la république a réaffirmé à ce titre l’impératif de «faire éclater la vérité, toute la vérité et de tenir pour responsables les personnes impliquées dans ce drame», ajoute le même communiqué, ajoutant que les enquêtes liées à ce drame ont fait l’objet de nombreuses rencontres entre le chef de l’État, le chef du gouvernement, le ministre de la Justice, le ministre de l’Intérieur et le directeur général de la Sûreté nationale. Lors de ces réunions, le chef de l’Etat n’a eu de cesse de souligner la nécessité de faire éclater toute la vérité sur cette affaire et de «respecter la loi et le droit de réserve des personnes en charge de son application».

Rappelons que le 18 septembre dernier, les habitants de Zarzis se sont réveillés sur une tragédie lorsque 18 personnes ont péri suite au naufrage d’une embarcation de migration irrégulière au large des côtes de Zarzis, drame qui a provoqué un large mouvement de contestation sociale dans la région, en raison du laxisme et du laisser-aller des autorités locales, à tous les niveaux, notamment par le peu d’intérêt accordé à la recherche des corps et à leur identification avant leur enterrement de façon anonymes.

Le problème avec ce genre de sorties médiatiques, c’est qu’elles laissent tout le monde sur sa faim, car elles en disent finalement moins qu’elles ne sont censées en dire pour une opinion qui attend davantage de la parole officielle. Ces sorties permettent juste au chef de l’Etat d’avoir bonne conscience à bon compte sans trop s’engager personnellement et sans que rien ne soit encore fait pour la révélation de la vérité sur cette affaire. Car, si le président se montre moins loquace sur cette affaire, on ne peut pas dire autant des autres autorités de l’Etat, qui continuent de faire peser une chape de plomb sur l’enquête, si enquête il y a vraiment. Ce qui est d’autant plus insupportable que les familles des victimes soupçonnent les autorités régionales et nationales de vouloir cacher la vérité de ce que le président qualifie d’«irrégularités», de «manquements» et de «circonstances inhabituelles», doux euphémismes s’il en est pour qualifier ce que d’autres n’hésitent pas à appeler «crime d’Etat».

Saurait-on jamais un jour la vérité ?

Pour revenir au communiqué de la présidence de la république, on constatera sans peine que le chef de l’Etat y appelle à «faire éclater la vérité, toute la vérité et de tenir pour responsables les personnes impliquées dans ce drame», tout en soulignant, en même temps, la nécessité de respecter «le droit de réserve des personnes en charge de l’application de la loi».

Autant dire que l’omerta officielle sur cette affaire, comme sur toutes les autres ayant également fait l’objet de vagues enquêtes dont les conclusions n’ont jamais été révélées, va se poursuivre de plus belle et que les habitants de Zarzis, et avec eux douze millions de Tunisiens, vont s’interroger longtemps sur les circonstances douteuses du naufrage de la barque de migrants clandestins dont les autorités locales se sont empressées d’enterrer les corps dans le cimetière des anonymes.

Quand on sait que les parents des victimes accusent les gardes maritimes d’avoir délibérément ou accidentellement provoqué le naufrage de la barque de migrants clandestins, on peut avoir de sérieuses craintes que la vérité ne sera jamais révélée, en tout cas pas dans sa totalité, et que l’impunité, dont bénéficient souvent les agents de l’Etat, a encore de beaux jours devant elle.

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