L’affaire Amira Bouraoui ou la fébrilité de la diplomatie tunisienne

Le déficit de communication des hauts responsables Tunisiens ajoute aux malentendus et aux incompréhensions que suscitent certaines de leurs décisions sur les plans aussi bien intérieur qu’extérieur.  

Par Imed Bahri  

Avec l’affaire de l’activiste algéro-française Amira Bouraoui qu’elle a gérée au plus près des pressions contraires subies de la part d’Alger et de Paris, la Tunisie a montré une fébrilité diplomatique qui n’aidera pas à la préservation de sa souveraineté, à laquelle s’attache si tapageusement le président Kaïs Saïed. D’autant qu’à cette affaire s’ajoute celle, survenue quelques jours auparavant, de l’annulation de la visite à Tunis du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, prévue à l‘origine le 5 février et qui a été reportée sine die à la demande de Tunis pour de bien vagues «raisons de sécurité».

Selon Africa Intelligence qui l’a annoncé, ce report a été signifié à l’ambassadeur de Russie en Tunisie Alexandre Zolotov, le 2 février, par l’ex-ministre des Affaires étrangères Othman Jerandi, qui sera limogé quelques jours plus tard, et remplacé par Nabil Ammar.

Fébrilité diplomatique

Pour Serguei Lavrov, qui devait rencontre le président de la république Kaïs Saïed, la cheffe de gouvernement Najla Bouden et son homologue tunisien, c‘est le second report de sa visite à Tunis, à laquelle il avait dû renoncer une première fois en mai dernier pour des raisons de calendrier.

On comprend que la Tunisie, qui sollicite un prêt de 1,9 milliard de dollars du FMI, ait besoin pour cela de l’appui des Etats-Unis et de la France, et que le président Saïed soit soucieux de ménager les deux principaux partenaires de son pays, mais les flottements de la diplomatie tunisienne n’envoient pas des signes positifs à l’étranger. La vulnérabilité intérieure et extérieure du pays accentue sa dépendance et aggrave la fébrilité de sa diplomatie.

Commentant la première affaire dans un post Facebook, l’ancien ambassadeur Elyes Kasri a écrit qu’«en l’absence d’une communication officielle tunisienne au sujet des péripéties de l’exfiltration rocambolesque vers la France à partir du territoire tunisien de l’activiste algéro-française Amira Bouraoui, apparemment entrée clandestinement en Tunisie, la crise diplomatique algéro-française semble accompagnée, sans confirmation officielle tunisienne, par le limogeage et le remplacement le jour même du ministre tunisien des affaires étrangères», thèse du reste développée par les partisans du président Saïed pour faire porter à Othman Jerandi la responsabilité des récents ratés de la diplomatie tunisienne, qui incombe d’abord au chef de l’Etat, lequel détient la réalité de la décision diplomatique. Ce qui fait ajouter à Elyes Kasri : «Si ce limogeage semble répondre à une longue liste de griefs qui sont opposés à ce ministre depuis un certain temps par de nombreux diplomates et observateurs tunisiens et étrangers y compris ceux considérés proches du président Kaïs Saïed, la responsabilité du ministère des Affaires étrangères dans le cas d’espèce gagnerait à être mieux étayée.» Surtout que, selon les médias français, l’affaire de l’activiste algérienne a été gérée directement avec le locataire du palais de Carthage, qui a pris la décision de son exfiltration vers la France.

Entre un frère et un tuteur

En insistant dans l’entretien téléphonique qu’il a eu à ce sujet avec son homologue tunisien sur la nécessité de la concertation entre les deux pays frères, le chef de la diplomatie algérienne Ramtane Lamamra fait plus qu’un simple reproche amical aux Tunisiens.

Conclusion de M. Kasri : «Cette affaire exacerbe le malaise suscité par le déficit de communication officielle et le sentiment que la souveraineté tunisienne nous glisse entre les doigts en voyant un Etat étranger (l’Algérie, Ndlr) s’offusquer d’une prétendue violation du territoire national tunisien dans un mutisme tunisien assourdissant, surtout que le président de ce pays frère et voisin se permet d’évoquer avec ses interlocuteurs étrangers la situation en Tunisie et même selon la présidente du conseil italien ‘‘les scénarios en Tunisie’’. Entre un frère et un tuteur, surtout en relations internationales, il y a une différence à clarifier et préserver.»

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