Kaïs Saïed et les libertés religieuses en Tunisie

Tout en rassurant les minorités religieuses en Tunisie sur la volonté de l’Etat de protéger la liberté de croyance et de renforcer la sécurité des lieux de culte, le président Kaïs Saïed affirme que l’attaque contre la synagogue de Djerba n’a pas été perpétrée par un «loup solitaire» mais qu’elle été commanditée, planifiée et exécutée par une «partie» qui serait bientôt démasquée.    

Par Imed Bahri

La tolérance entre les religions est bien ancrée depuis des siècles en Tunisie, a affirmé, mercredi 17 mai 2023, le président Kaïs Saïed en recevant au palais de Carthage, le mufti de la république Hichem Ben Mahmoud, le grand-rabbin de Tunisie Haïm Bittan, et le grand archevêque de l’église catholique de Tunis, Ilario Antoniazzi. Vidéo.

Ce dernier, qui s’est félicité de la tenue de cette rencontre, a tenu cependant à faire remarquer, dans une déclaration aux médias, que celle-ci se tient pour la première fois, dans une sorte de reproche à peine voilé.   

Dans une vidéo postée sur la page de la présidence, le chef de l’État a d’ailleurs qualifié cette rencontre d’«historique» et de «très importante», dans la mesure où elle montre que la Tunisie est «une terre de tolérance, d’ouverture et de coexistence, depuis des siècles».

Antisémite, non, antisioniste oui !

Le président Saïed a évoqué l’attaque terroriste contre la synagogue de la Ghriba de Djerba, le 9 mai, et l’a décrite comme «un acte criminel lâche et odieux», assurant que les investigations se poursuivent pour élucider les motifs de cette agression. «L’auteur de cet acte et la partie qui l’a planifié ont été identifiés», a dit le président.

Pour lui, celui qui a planifié et exécuté ce plan, cherchait à déstabiliser le pays et à semer le chaos et la discorde. Ce qui, doit-on le faire remarquer, définit une attaque à caractère terroriste, terme que le président et, dans son sillage, les membres du gouvernement, les hauts responsables et les médias officiels évitent de prononcer.  

Le président Saïed a par ailleurs regretté de voir des parties à l’intérieur du pays et certaines capitales parler d’antisémitisme en Tunisie, appelant à une nouvelle lecture de l’histoire plutôt qu’à proférer des accusations sans fondements.

Le chef de l’Etat a discuté avec ses hôtes de la liberté de culte, de la liberté de conscience dans l’islam et en Tunisie, dans une sorte de cours magistral avec moult citations, tout en soulignant que la Constitution du 25 juillet 2022, qu’il avait lui-même fait promulguer, garantit pleinement ces droits.

Dans le même ordre d’idées, le président Saïed a affirmé au grand rabbin de Tunisie la poursuite de la sécurisation de tous les lieux de culte et la lutte contre toute forme de division, en soulignant que «le concept de normalisation (avec Israël, Ndlr) n’existe pas dans le lexique du peuple tunisien», ajoutant que les Tunisiens «font bien la distinction entre judaïsme et sionisme», reprenant ainsi l’un des thèmes de sa campagne électorale lorsqu’il avait proclamé solennellement que la normalisation avec l’Etat d’Israël est une trahison.

Armer la nation contre les dérapages

On retiendra de cette rencontre, outre la volonté du président de la république de rassurer les minorités religieuses en Tunisie sur la détermination de l’Etat à protéger la liberté de croyance et à renforcer la sécurité des lieux de culte dans le pays, l’insistance du chef de l’Etat à réfuter les accusations d’antisémitisme lancées contre les Tunisiens, suite à l’attaque de Djerba, en se fondant surtout sur les textes, sacrés ou juridiques, comme si cela suffisait pour cacher à nos yeux les comportements ségrégationnistes que nous observons au quotidien dans la société et les discours racistes haineux qui foisonnent dans les réseaux sociaux et qui sont tenus par bon nombre de Tunisiens et de Tunisiennes.

Les lois sont certes nécessaires et en Tunisie, elles sont souvent respectables et dénotent une volonté officielle de protéger la liberté de croyance et de culte et d’assurer la sécurité des minorités juive, chrétienne, athée, convertie ou autres baha’ie, mais elles ne suffisent pas à armer la nation contre les dérapages, y compris la judéophobie ou la répression dont se plaignent souvent les convertis au christianisme qui alimente les rapports internationaux sur les libertés religieuses dans notre pays.

Sur un autre plan, le président de la république a confirmé hier que l’attaque de Djerba n’a pas été commise par un «loup solitaire» – ce que tous les observateurs et les analystes semblent avoir admis – mais qu’elle a été commanditée et planifiée par une partie que les enquêtes en cours seraient sur le point de démasquer. Et là, ça change beaucoup de chose, à commencer par la qualification même de l’«incident de Djerba», expression utilisée par l’agence officielle Tunis Afrique Presse, les conséquences qu’on pourrait en tirer et la partie qui va bientôt être accusée de l’avoir commanditée, planifiée et exécutée.

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