Que dit l’économie au sujet de l’écart d’âge entre les mariés?

En cette saison estivale, les mariages sont extrêmement bruyants, dans tous les quartiers, villes et villages de la Tunisie. On voit de tous les âges dans ces couples en mariage. Il y a les précoces (très jeunes filles de 16-18 ans, après autorisation de médecins) et il y a les retardataires (40 à 60 ans, des hommes surtout). Entre les mariés, les écarts d’âge sont parfois frappants voire choquants. Une question brûlante : quel est le meilleur écart d’âge entre les mariés ? Et pour cause…

Par Moktar Lamari *

Le mariage est une institution vitale, un investissement social et un projet de vie économiquement rentable sous certaines conditions. Les économistes ont traité la question de l’écart optimal de l’âge entre les mariés, pour optimiser la viabilité du couple et pérenniser ce contrat économique, pour le meilleur et pour le pire!

Une règle ancestrale

Mais, avant d’aller plus loin, il convient de rappeler une règle ancestrale issue de la culture berbère des habitants Sedouikech (Djerba). Cette règle calcule l’écart de l’âge entre les deux concernés en se basant sur la moitié de l’âge du plus âgé plus sept ans, pour lui trouver le conjoint idéal.

C’est mathématique: Y < X/2 +7 (Y étant l’âge du plus âgé des deux, X étant celui du plus jeune). Ce n’est pas compliqué, juste un peu de calcul mental. Si Y est l’âge du plus vieux du couple à marier, le conjoint (conjointe) doit avoir un âge X qui doit être supérieur au quantum [Y/2]+7.

Exemple 1: si Y = 22 ans, X doit est supérieur à 18 ans (22/2+7). Dit simplement, si le marié a 22 ans, la mariée doit avoir au moins 18 ans. Soit 22/2=11+7=18.

Exemple 2, si Y = 85 ans, X doit avoir 50 ans (85/2= 42,5+7).

La règle a été transmise de génération en génération comme moyen de justifier ou, plus communément, pour commenter ou critiquer l’écart d’âge entre les membres d’un couple à constituer (dans les règles du mariage ou concubinage).

Une question sexuée

Telle est la théorie qui prévaut encore, et pas seulement chez les sociétés berbères.

Dans la pratique, des recherches menées par Christian Rudder, cofondateur d’OKCupid, suggèrent qu’en ce qui concerne les écarts d’âge, les hommes et les femmes ont des préférences diamétralement opposées.

Alors que les femmes recherchent des hommes à peu près du même âge qu’elles (ou peut-être un an ou deux de plus), les hommes préfèrent les femmes au début de la vingtaine, quel que soit leur propre âge. Ce sont des résultats basés sur de grands échantillons internationaux.

Alors que les femmes préfèrent minimiser l’écart d’âge entre elles et leur mari, les hommes sont tellement accros à l’idée d’une jeune partenaire nubile qu’ils préfèrent un écart d’âge plus important à mesure qu’ils vieillissent.

Les préférences individuelles constituent un élément clef dans le raisonnement rationnel chez les économistes, et cela fait partie des libertés individuelles et des systèmes de valeurs des sociétés et religions.

On a toujours présumé que le prophète Mohamed a épousé une fillette de 12-13 ans, alors qu’il avait 40 ans. Mais cela, ce n’est pas de l’économie, c’est du domaine des croyances religieuses à respecter.

Les hommes ont-ils raison?

Pas vraiment! Les hommes ont tort de chercher à épouser des plus jeunes qu’eux. Ils sont probablement plus égoïstes que les femmes dans le choix de leur autre «moitié». Ils savent que leur espérance de vie est en moyenne plus faible que celle des femmes, et beaucoup finissent leur vie professionnelle plus usés, pour des raisons diverses: pénibilité du travail, tabagisme, alimentation inadaptée, prise de risques…

Il y a de nombreuses raisons de minimiser les écarts d’âge entre les mariés.

La capacité des deux membres d’un couple à chanter une partition ou danser sur une même musique de télévision préférée de l’enfance pourrait les lier, au risque d’irriter ceux qui se trouvent à proximité, d’une autre époque.

Et partager la joie d’être à l’école ensemble, avoir un laissez-passer de bus gratuit à un moment similaire, préparer les grands moments de sa vie ensemble, ou économiser de l’argent en combinant des activités d’intérêt commun, est clairement attrayant.

Ou encore à tout partager équitablement, sans qu’aucun ne soit obligé de consentir plus d’effort et de sacrifice pour faire plaisir ou entretenir l’autre. Ou espérer prendre leur retraite en même temps, pour profiter le plus possible du bonheur et du temps dans leurs vieux jours.

Pour la minimisation des écarts

Certains économistes se sont demandé si de plus petits écarts d’âge entre les partenaires du mariage pourraient avoir des avantages sociétaux plus larges, car ils pourraient aider à réduire l’écart de rémunération entre les sexes, procurer plus d’équilibre dans l’éducation des enfants, ou encore maturé ensemble et sans qu’il y ait un donneur de leçon.

Parce que les revenus augmentent avec l’âge et que les femmes ont tendance à se coupler avec des hommes plus âgés, les gains relatifs au moment de l’accouchement pourraient exercer une pression subtile sur les femmes pour qu’elles abandonnent le travail, prennent des congés de maternité.

Cela dit, une étude comparant les sœurs jumelles danoises a révélé que les gains des femmes qui épousaient des hommes plus âgés n’étaient pas différents, en moyenne, de ceux de celles qui épousaient des hommes plus proches en âge.

Un écart d’âge plus faible pourrait également rendre les couples plus susceptibles de rester ensemble, sans être tentés par la séparation.

En 2014, une recherche américaine a affirmé qu’«une différence d’âge supérieure à cinq ans augmente la probabilité de divorce de 18%, par rapport à un couple né la même année».

Bien que l’étude citée – qui a interrogé les couples et les ex-couples – ait montré une association entre les taux de divorce et les écarts d’âge, elle n’a pas prouvé de lien de causalité.

Une causalité difficile à prouver

Une caractéristique du type de personne qui opte pour un mariage avec un grand écart d’âge pourrait entraîner les taux de divorce plus élevés, plutôt que l’écart d’âge lui-même.

Une étude de l’Office of National Statistics de Grande-Bretagne n’a pas trouvé de lien statistiquement significatif et causal entre les écarts d’âge et les taux de divorce en Angleterre et au Pays de Galles, bien qu’il y ait eu des preuves que les femmes âgées de plus de 30 ans et qui avait plus de dix ans que leur conjoint étaient plus susceptibles de divorcer plus rapidement que les autres.

C’est le danger des mariages factices visant à régulariser la situation de nouveaux migrants ou migrantes en Europe.

Le bon sens suggère qu’un écart d’âge important aurait des implications pour la vieillesse. Avoir un conjoint plus jeune pour s’occuper de vous dans votre sénilité est sage, tout comme éviter le veuvage. Avoir un partenaire plus jeune et en meilleure santé pourrait avoir du sens, du moins du point de vue du plus âgé dans le couple.

Une autre étude de Sven Drefahl de l’Université de Stockholm s’est penchée sur les personnes âgées de plus de 50 ans au Danemark et a révélé que les hommes ayant une conjointe plus jeune survivaient plus longtemps que ceux ayant épousé une personne d’un âge similaire. Plus leur conjoint est âgé, plus leurs chances de survie sont faibles, même après avoir contrôlé des facteurs comme l’éducation et la richesse.

Encore une fois, le lien pourrait ne pas être causal : les hommes en bonne santé pourraient être particulièrement capables à la fois d’attirer des partenaires plus jeunes et de vivre jusqu’à un âge avancé.

Vieillir égaux et ensemble

Mystérieusement, ce phénomène ne semble pas s’appliquer aux femmes, chez qui plus l’écart d’âge est grand, au regard de leur époux, plus leurs chances de survie (à leur conjoint) sont faibles, qu’elles soient plus jeunes ou plus âgées.

Dans le cas des femmes ayant un mari plus jeune, Drefahl, une sociologue américaine a suggéré que la différence entre les sexes pourrait être due au fait que les femmes dépendent moins de leur partenaire pour leur soutien, et bénéficient donc moins des énergies d’un conjoint plus jeune et plus aidant quand on est d’un certain âge.

En Tunisie, plusieurs milliers d’expatriés tunisiens se remarient plusieurs fois, et n’hésitent pas à épouser des filles tunisiennes qui auraient pu être leur fille ou encore petite fille. Des enjeux d’argent et de projets de migration entrent en compte, sans nécessairement garantir le succès du mariage.

Considérant le peu de preuves disponibles, on ne peut que se fier aux données d’OKCupid : les femmes devraient choisir des hommes dont l’âge est plus près du leur tandis que les hommes devraient chercher des femmes plus jeunes qu’eux.

Personnellement, je ne suis pas d’accord avec ces conclusions, mais je respecte les préférences individuelles, socle de la micro-économie du mariage.

Personnellement, je pense qu’on doit favoriser des protocoles expérimentaux ou quasi expérimentaux utilisant les méthodes contrefactuelles pour procurer les meilleures preuves utiles à la démonstration de la causalité entre écart d’âge et ses bienfaits (santé, bien-être, bonheur, etc.).

L’appariement par le score de propension est une méthode statistique qui permet de procurer des éléments de réponse plus valides, hors de tout doute.

En attendant, les gens font leurs propres choix – et sont libres d’ignorer les us et coutumes.

Youyous pour tous les mariages, et longues vies aux mariées et mariés, avec plein de santé et de bonheur!

* Economiste universitaire.

Blog de l’auteur . Economics for Tunisian E4T.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.