Tunisie : le féminicide, une menace souvent minimisée 

Plus de 50% des femmes en Tunisie ont subi dans leur vie une forme de violence (physique, verbale, financière) de la part d’un membre de leur entourage. Plusieurs d’entre elles ont déposé plainte auprès de la justice pour obtenir réparation, qui leur a été parfois refusée. Cette violence, souvent banalisée par la société, qui a tendance à en minimiser la gravité, peut aller, dans des cas extrêmes, jusqu’au meurtre, un phénomène qui s’aggrave et dont on ne s’alarme pas assez.    

Par Hssan Briki    

La Tunisie aime se présenter comme une nation arabo-musulmane, où les droits des femmes ont connu des avancées notables depuis son indépendance en 1956. Cependant, derrière cette façade de progrès, un sombre secret reste tapi : la recrudescence des violences envers les femmes qui dégénèrent parfois en féminicides.

Dans un effort sans relâche pour mettre en lumière les enjeux cruciaux touchant les femmes tunisiennes, l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) a célébré son 34e anniversaire en organisant, lundi 7 juillet 2023, une table-ronde au titre coup de poing : «La vie des femmes en danger… Le féminicide, un crime d’État», qui a réuni des défenseurs des droits des femmes, des experts en sécurité et des membres de la société civile (voir photo). 

21 féminicides en 8 mois 

Les chiffres dévoilés par la présidente de l’association, Neïla Zoghlami, lors de son intervention médiatique dans la matinale de Radio IFM, mettent en évidence une tendance à la hausse des actes de violence envers les femmes. Depuis le début de l’année, pas moins de 610 nouvelles victimes ont été enregistrées, soit plus de deux nouvelles victimes chaque jour. Comparativement aux 1000 cas enregistrés au cours de la décennie précédente, ces chiffres révèlent une augmentation effrayante, qui suggère une aggravation de ce fléau social. 

Au cours des huit premiers mois de cette année, 21 femmes ont été tuées, soulignant la nécessité urgente d’une intervention coordonnée et ciblée pour endiguer cette vague de violence meurtrière qui a parfois des causes socioéconomiques.. Ce qui met en évidence des facteurs structurels profondément enracinés qui contribuent à la vulnérabilité des femmes dans la société tunisienne.  

Face à cette situation alarmante, l’ATFD souligne le rôle incontournable de l’État dans la lutte contre la violence envers les femmes. Elle insiste sur la nécessité d’une stratégie claire et d’outils efficaces pour sa mise en œuvre, tout en déplorant l’exclusion de la société civile de cette démarche.

Victimes de… la société et de l’Etat

Les critiques de Neïla Zoghlami portent sur la lenteur de la réaction officielle face aux appels des femmes victimes, empêchant ainsi une réponse adéquate.

L’ATFD appelle également à la mise en place d’une politique préventive, soulignant l’importance de l’éducation et de la sensibilisation pour éviter les tragédies.

Enfin, elle appelle à réformer les lois pour qu’elle soit en adéquation avec la réalité actuelle, mettant en évidence l’impératif d’une réponse globale de l’Etat pour protéger la sécurité et la dignité des Tunisiennes, et qui soit coordonnée avec les acteurs de la société civile qui sont engagés depuis longtemps dans ce combat et ont acquis une certaine expérience de terrain et une connaissance intime du vécu social des femmes : leurs souffrances, leurs silences et les pressions auxquelles elles font face, et pas seulement de la part de leurs conjoints ou partenaires, mais aussi de la part des membres de leurs familles, et même des agents de l’Etat : assistants sociaux, policiers et juges. 

Trop peu, et souvent trop tard  

Comme pour plusieurs autres enjeux sociaux, la Tunisie met en place des cadres réglementaires, mais ne se dote pas des moyens humains et matériels requis pour les faire appliquer.

On citera, à cet égard, la loi organique «relative à l’élimination de la violence contre les femmes», adoptée en juillet 2017 et entrée en vigueur en février 2018.

Ce texte, qui élargit la définition des violences faites aux femmes aux violences morales, sexuelles, économiques et politiques tant dans la sphère publique que familiale, a beau exister, on ne peut pas dire qu’il a aidé à réduire les violences faites aux femmes, qui ont carrément explosé au cours des dernières années.

Quant aux centres d’écoute et d’accueil des femmes victimes de violence, créées et gérées par les autorités ou la société civile, ils restent insuffisants et dénués des moyens nécessaires pour assurer le gîte, la sécurité, le soutien psychologique et l’appui juridique dont une femme violentée a généralement besoin.

Des efforts sont certes faits en ce sens, mais beaucoup reste à faire, et d’abord par l’éducation et la sensibilisation, car les victimes ignorent souvent leurs droits et, dans l’enfer quotidien qu’elles vivent, elles ne savent pas à quelle porte frapper.

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