Le dur métier de ministre en Tunisie

Au sein de l’exécutif tunisien actuel, Samir Saïed vit dans une planète à part. On sait qu’il n’est pas d’accord avec certains autres membres du gouvernement sur plusieurs sujets et qu’il ne se gêne pas de le dire haut et fort, au risque de faire grincer quelques dents. Mais chez lui, les risques sont toujours calculés, le but étant de préparer une sortie qui soit, en même temps, un nouveau départ… pour lui. Quant à la Tunisie, «liha rabbi» (Dieu s’en chargera), comme disent tous les «ex» qui se la coulent douce dans quelques capitales du monde !

Par Imed Bahri  

Le ministre de l’Economie et du Plan sait ce qu’il faut faire pour redresser une économie à bout de souffle et dresse pour cela des plans ambitieux… mais qui restent dans les tiroirs. Résultat : entre ses paroles de messie et la réalité quotidienne de ses compatriotes, il y a un écart galactique.

C’est ainsi que dans une déclaration à l’agence Tap, vendredi 25 août 2023, lors de la réunion régionale sur la promotion des investissements dans les gouvernorats du nord-est de la Tunisie, tenue à Hammamet, Samir Saïed a souligné la nécessité d’accélérer la mise en œuvre des réformes, notamment dans les domaines de l’investissement et des affaires, d’autant plus que la Tunisie doit rattraper le retard pris en termes de croissance économique qui s’est établie à 0,6% au deuxième trimestre 2023.

Des résistances farouches

Non seulement il est déjà trop tard pour rattraper quoi que ce soit pour l’exercice en cours qui tire à sa fin, mais en ce qui concerne les réformes dont il parle, non seulement celles qui ont été mises en route n’avancent pas vraiment, mais les plus importantes (assainissement des entreprises d’Etat, maîtrise des dépenses publiques, etc.) n’ont même pas démarré, car elles font face, au plus haut de l’Etat, à de farouches résistances.

Alors le ministre peut continuer à parler et à pointer du doigt ce qui ne marche pas, en expliquant que l’investissement et l’entrepreneuriat dans le pays sont confrontés à plusieurs difficultés, notamment en ce qui concerne la législation, les démarches administratives complexes et la faiblesse des infrastructures et de la logistique dans certaines régions, tant qu’il ne mettra pas lui-même les doigts dans le cambouis pour essayer de dépanner le moteur, on ne pourra rien attendre de ses vagues déclarations de principe. Car, à quoi bon savoir, quand c’est de pouvoir qu’on a le plus besoin pour transformer les réalités ?

A propos de paroles, le ministre a souligné, une nouvelle fois, la nécessité d’intensifier les efforts afin de garantir que l’investissement privé soit un catalyseur du développement économique et social et de la création d’emplois, mettant l’accent sur la nécessité de coopérer avec les acteurs concernés et les parlementaires afin de formuler des propositions opérationnelles pour rompre avec la bureaucratie, libérer l’administration et fournir des services rapides et de qualité. Certes, mais qui va rendre tout cela possible, si le ministre croit que son rôle se résume à blablater sur les tribunes et à faire le beau devant les caméras ?

Un bateau dans la tempête

Saïed a aussi rappelé que le gouvernement a travaillé, au cours de la dernière période, à fixer les conditions de réussite, en vue de mettre en œuvre le plan de développement 2023-2025, d’introduire des réformes et des mesures visant à promouvoir l’activité économique ainsi que de rétablir les équilibres financiers de l’Etat. «L’action sera axée sur la stimulation des investissements privés en réduisant les autorisations pour les activités économiques, en simplifiant les procédures et en les numérisant, ainsi qu’en fournissant des incitations aux startups et aux entreprises», a insisté le ministre, ajoutant que la stratégie nationale destinée à améliorer le climat des affaires vise à développer, rénover et promouvoir l’économie de la connaissance. Pour cela, son ministère travaille actuellement avec les différentes structures publiques impliquées dans la mise en place d’un cadre juridique régissant l’économie de la connaissance et de l’innovation.

Voilà pour la feuille de route, mais il reste l’essentiel, à savoir la mise en route des actions concrètes censées traduire ces vœux pieux en actions sur le terrain, en performances économiques et en bonnes pratiques à dupliquer. Pour cela, on attendra encore un peu. «Yabta chouia», dira mon petit-fils ! Ces chers ministres sont là pour faire des bulles et des ronds dans l’eau, en gardant chaude leur place pour leurs successeurs, en espérant faire partie de la prochaine fournée des limogeages… Le plus tôt serait le mieux, se disent certains d’entre eux, en voyant le bateau tanguer dangereusement au cœur de la tempête !

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