Souveraineté, souveraineté… Les dirigeants tunisiens n’ont que ce mot à opposer aux responsables étrangers qui émettent un avis sur la situation des droits de l’homme et des libertés dans leur pays. Le problème c’est qu’en même temps, ces mêmes dirigeants tolèrent que leurs homologues algériens s’immiscent dans leur politique étrangère. Pis encore : ils se sentent redevables d’explications dès que ces derniers les interpellent sur un quelconque sujet.
Par Imed Bahri
Il y a là comme un manque terrible de cohérence et une politique de deux poids deux mesures qui poussent certains à critiquer ce qu’ils appellent la «vassalisation» de la Tunisie par sa «Grande sœur» algérienne. Laquelle ne rate aucune occasion pour nous le rappeler, au point de nous demander des comptes sur nos grands choix politiques et diplomatiques.
A plusieurs reprises, le président Abdelmadjid Tebboune, son ministre des Affaires étrangères Ahmed Attaf et même des députés algériens ont émis des opinions sur la situation intérieure en Tunisie et ses choix de politique étrangère, sans que nos responsables s’en offusquent outre mesure.
Insupportable complaisance
Le 29 août, Attaf, qui s’exprimait lors d’une conférence de presse et répondait à une question portant sur un éventuel échec des accords de normalisation entre Israël et certains pays du Maghreb, a répondu que la Tunisie s’oppose formellement à tout projet de normalisation, ajoutant que l’envoyé spécial du président Kaïs Saïed a exposé cette position lors d’une récente visite en Algérie. Il faisait bien sûr allusion au ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, qui avait été chargé par le président Saïed de transmettre ces assurances à Tebboune, et ce suite aux déclarations d’un député algérien sur les pressions exercées sur la Tunisie pour l’amener à normaliser ses relations avec Israël, par allusion aux Etats-Unis et aux Emirats arabes unis.
«On m’a dit également qu’il y aurait une loi pour criminaliser la normalisation ou l’ériger au rang de trahison», a même affirmé Attaf, par allusion à une fameuse déclaration du président Saïed à ce sujet lors de sa campagne électorale en 2019.
De qui le chef de la diplomatie algérienne tient-il cette information ? De son homologue tunisien qu’il a rencontré récemment ou fait-il seulement référence au projet de loi relative à la criminalisation de la normalisation avec l’entité sioniste, dont on a récemment parlé au sein de la commission parlementaire des droits et libertés relevant de l’Assemblée des représentants du peuple ?
Quoi qu’il en soit, on est en droit, nous autres Tunisiens, de nous insurger contre cette manière si peu «fraternelle» qu’ont les Algériens, pourtant très chatouilleux dès qu’un étranger parle des leurs affaires intérieures, à s’immiscer dans celles de leur «petite voisine» et à vouloir orienter sa politique étrangère dans le sens qui leur convient.
On est en droit aussi de déplorer l’insupportable complaisance que montrent les dirigeants tunisiens à l’égard de leurs homologues algériens, ne se formalisant pas trop lorsque ces derniers se permettent d’émettre des avis sur la situation intérieure ou la politique étrangère de la Tunisie.
A qui appartient la décision ?
Aux uns et aux autres, nous aimerions dire ceci : la question de la normalisation des relations de la Tunisie avec Israël ne concerne que les Tunisiens, et c’est à deux seuls que revient la décision finale qui doit être fondée sur un large consensus national et non sur le choix d’un individu, aussi élevée soit sa position dans la hiérarchie de l’Etat.
Cette question ne concerne, en tout cas, ni les Américains, ni les Emiratis, ni a fortiori les Algériens qui doivent régler leurs problèmes de voisinage, notamment avec le Maroc, sans chercher à y impliquer notre pays.
Commentant cette affaire, le diplomate Elyes Kasri a publié ce post Facebook, mercredi 30 août, que nous reproduisons ici intégralement :
«Il devient de moins en moins supportable de voir des responsables politiques étrangers parler au nom de la Tunisie et s’immiscer dans ses affaires intérieures quel qu’en soit le motif.
«La dernière sortie du ministre algérien des Affaires étrangères au sujet des assurances qui lui auraient été données par son homologue tunisien lors de sa récente visite à Alger au sujet d’une hypothétique normalisation avec Israël et la prétendue prochaine adoption en Tunisie d’une loi interdisant cette normalisation accentue le malaise au sujet des discours chatouilleux sur la souveraineté nationale mais qui donnent lieu à des manifestations et impressions divergentes.
«Comme la Tunisie s’interdit de prendre position sur les choix intérieurs et diplomatiques des pays tiers, la défense de la dignité et de la souveraineté nationales nécessitent d’exiger la réciprocité de la part de ces pays frères ou amis, toutes catégories confondues, car il faut garder à l’esprit que les relations internationales sont fondées sur le respect mutuel, la non ingérence et la réciprocité.»
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