A quoi bon courir derrière l’inscription de nouveaux sites tunisiens sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco si on est, à ce point, incapables de préserver et de valoriser ceux déjà inscrits sur cette liste ? (Photo: Mosquée Sidi Yati à Djerba).
Par Hssan Briki
L’île de Djerba, située au sud-est de la Tunisie, n’est pas une simple destination touristique prisée. C’est une perle dans la couronne de la Tunisie, dotée d’un patrimoine naturel et culturel exceptionnel qui mérite pleinement une reconnaissance mondiale en étant inscrite sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco.
La Tunisie abrite de nombreux autres sites et monuments emblématiques qui méritent également cette reconnaissance, mais qui n’ont pas encore réussi à franchir cette étape cruciale.
Des sites historiques, des trésors architecturaux et des vestiges culturels sont présents dans tout le pays. Ces merveilles offrent un voyage à travers les civilisations berbère, phénicienne, punique, romaine, arabe et autres. La Tunisie peut se vanter d’une histoire de 3 000 ans, ce qui en fait une destination inestimable pour les amateurs d’histoire et de culture.
Les défis de la reconnaissance
Pourtant, malgré cette richesse exceptionnelle, la Tunisie n’a pas réussi à obtenir de nouvelles inscriptions au patrimoine mondial de l’Unesco depuis l’inscription du site archéologique de Dougga en 1997. Les raisons de cette stagnation sont diverses, notamment des contraintes budgétaires, un manque de personnel qualifié pour faire valoriser cette richesse, des lenteurs bureaucratiques et des besoins non-satisfaits en conservation et en restauration.
Le processus d’inscription au Patrimoine mondial de l’Unesco est complexe et exigeant, nécessitant une documentation exhaustive, des critères stricts et une évaluation minutieuse. Il est donc impératif que la Tunisie surmonte ces obstacles et fasse valoir ses atouts culturels uniques.
Parmi les sites historiques de la Tunisie, Neapolis se démarque comme un exemple fascinant de site antique laissé à l’abandon. Son toponyme grec, signifiant «ville nouvelle», suggère une présence grecque précoce avant la domination carthaginoise et romaine. Fondée par Jules César ou Octave-Auguste, cette colonie romaine a rapidement été romanisée, comme en témoignent les inscriptions et les vestiges archéologiques.
Cependant, au fil du temps, Neapolis a été abandonné, devenant un champ de ruines. Certaines parties du site ont été préservées, notamment la «Maison des Nymphes», une grande demeure richement décorée de mosaïques datant de l’époque romaine tardive. Mais une grande partie du site a été envahie par la végétation, les déchets et le manque d’entretien.
Patrimoine archéologique négligé
En parallèle, le pillage du patrimoine archéologique est un sujet préoccupant. De nombreuses pièces archéologiques ont été saisies dans les résidences des familles Ben Ali, Trabelsi et El-Matri. Parmi elles, 93 pièces uniques d’une valeur inestimable, notamment des céramiques, des bijoux, des stèles et des sculptures datant des Ve et VIe siècles avant J.-C.
Révélation troublante : près de 80 de ces pièces portaient le tampon de l’INP, suggérant une possible complicité au sein de l’instance nationale de protection du patrimoine. Ce trafic a même pris une dimension internationale, avec la découverte de pièces provenant d’autres pays, comme un masque de Gorgone d’Algérie ou un cheval en jade vert de Chine.
L’inscription au Patrimoine mondial de l’Unesco attire l’attention du monde entier sur les sites concernés, encourageant davantage de voyageurs à visiter la Tunisie et à découvrir sa richesse culturelle. Cette attention accrue peut stimuler l’industrie touristique, créant ainsi de nouvelles opportunités économiques.
De plus, l’Unesco offre un soutien financier pour la préservation et la restauration des sites classés. Cette aide est précieuse pour garantir la protection à long terme de ces trésors. Malheureusement, le manque de classements récents prive la Tunisie de ces fonds essentiels.
Les défis de la protection
Dans ce même contexte, le pillage du patrimoine archéologique en Tunisie prospère en grande partie en raison d’un manque de surveillance, d’un laxisme des autorités mais aussi d’une législation lacunaire en la matière.
Le Code du Patrimoine de 1994 est jugé permissif et ne sanctionne que les trafiquants détenant des pièces archéologiques «classées», laissant ainsi la grande majorité des pièces volées sans répression adéquate.
De plus, les structures chargées de la protection du patrimoine, telles que l’INP, sont inefficaces en raison du manque de ressources humaines et financières. Les gardiens des sites archéologiques sont en nombre insuffisant pour garantir une surveillance efficace, facilitant ainsi le pillage.
Par ailleurs, les sites ayant fait l’objet de fouilles et dont les richesses ont été découvertes et mises en valeur ne sont pas tous exploités. Mal équipés, sinon parfois abandonnés, ils sont visités par de rares professionnels et amateurs de vieilles pierres. Ce qui prive l’Etat de ressources importantes pouvant être utilisées dans l’exploration et la mise en valeur d’autres vestiges encore sous terre.
Quand on sait que les deux plus grands musées du pays, à savoir ceux du Bardo et de Carthage sont fermés aux visiteurs depuis plus de deux ans pour restauration – c’est en tout cas ce que prétend le ministère des Affaires culturelles –, on comprend pourquoi les autorités éprouvent tant de difficultés à inscrire de nouveaux sites sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco. A quoi bon en effet courir derrière ces inscriptions si on est, à ce point, incapables de préserver et de valoriser nos richesses.
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