Les fausses «performances» du tourisme tunisien

Tout compte fait, non seulement les chiffres du tourisme en Tunisie n’ont pas encore retrouvé leur niveau de 2019, année ayant précédé la pandémie de Covid, mais ils sont encore loin derrière ceux de 2010, la véritable année de référence. Et loin derrière ceux de l’Egypte et du Maroc, ses deux concurrents au sud de la Méditerranée.   

Par Imed Bahri

Le nombre des entrées touristiques sur le territoire tunisien a atteint 6,2 millions de visiteurs, durant les 8 premiers mois de l’année 2023, marquant un bond de 62,4%, par rapport à la même période de 2022, d’après des données publiées par le ministère du Tourisme et de l’Artisanat. 

Cette «amélioration», nous dit-on, a été favorisée par l’accroissement du nombre de Français (en hausse de 23% en comparaison avec la même période de 2022), Allemands (+66,3%), Italiens (+25,9%), Suisses (+36,1%), Espagnols (+76,1%), Américains (+37,1%) et Canadiens (+23,7%).

Des performances douteuses  

De même, le nombre de Libyens et Algériens qui ont visité la Tunisie, au cours de cette période, a enregistré une hausse respective de 26,5% et 410,2% par rapport à 2022.

Le département du Tourisme a aussi rappelé que les recettes touristiques se sont élevées à 5165,5 millions de dinars (MDT), à fin août 2023, ce qui représente une hausse de 47,2%.

En devises, ces recettes ont évolué à 1 541 millions d’euro (+42,7%) et 1 672 millions de dollars (+44,8%).

Il convient cependant de préciser que le nombre des entrées touristiques comptabilise les Tunisiens et les binationaux résidents à l’étranger, et que la valeur des recettes touristiques ne tient pas compte de la baisse constante de la valeur du dinar, le monnaie nationale, face aux devises étrangères, ce qui minimise d’autant ce que les autorités cherchent à présenter comme des «performances».

Tout compte fait, non seulement les chiffres du tourisme n’ont pas encore retrouvé leur niveau de 2019, année ayant précédé la pandémie de Covid, mais ils sont encore loin derrière ceux de 2010, la véritable année de référence.

Rappelons à ce propos les déclarations du ministre du Tourisme lors de sa visite à Monastir, le 5 août dernier, selon lesquelles la Tunisie a enregistré durant les 7 premiers mois de l’actuelle saison touristique, plus de 5 millions de touristes non-résidents et 3 300 millions de dinars de recettes. Emporté par un élan d’autocongratulation, il a aussi précisé, un peu rapidement, que ces résultats sont meilleurs que ceux de la saison touristique 2019, considérée comme année de référence.

Il semblerait que notre ministre n’a pas lu l’analyse sur «Le tourisme en Tunisie (1962-2022)» présentée le 5 mars 2023 par le Forum Ibn Khaldoun pour le développement sur son site web.

Le taux de change en question

Cette analyse rétrospective est réalisée sur la base des données officielles fournies par l’Office national du tourisme tunisien (ONTT) et la Banque centrale de Tunisie (BCT).Elle brosse un tableau des indicateurs du tourisme tunisien de 1962 à 2019 qui fait ressortir que les recettes en devises de l’année 2010 étaient de l’ordre de 2 458,8 millions de dollars tandis que celles de 2019 s’élevaient à 1.928 millions de dollars. 

Donc, il n’y a vraiment pas de quoi pavoiser. Nous sommes encore loin, très loin du compte, ne fut-ce qu’en nous comparant à nous-mêmes et pas à nos concurrents directs au sud de la Méditerranée qui nous ont dépassés depuis longtemps : l’Egypte et le Maroc.

Pour transformer un échec en succès, le tour de passe-passe du ministre du Tourisme consiste à annoncer des recettes en dinars, alors que celles-ci sont perçues en devises, sans prendre en considération le taux de change du dollar, qui est passé de 0,5 DT en 1962 à 3,3 DT en 2023?

En effet, si on divise les 3 300 millions de dinars de recettes touristiques encaissées durant les 7 premiers mois de 2023 par l’actuel taux de change du dollar, celles-ci représenteraient, environ 1 000 millions de dollars.

Supposons que les recettes augmenteront de 50% d’ici la fin de l’actuelle saison (ce qui est peu probable), la Tunisie aura encaissé 1 500 millions de dollars (soit environ 5 millions de dinars). Par conséquent, les recettes de cette année seront inférieures à celles de 2019 et plus encore à celles de 2010 citées ci-haut. 

Il reste une question : que gagnent nos responsables à diffuser des informations erronées sur de bien improbables performances? Qui cherchent-ils à tromper? Ne se bernent-ils pas eux-mêmes en croyant berner l’opinion ?

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