Tunisie : à propos de la désertion de Fadhel Abdelkefi  

Quoiqu’on en dise pour la justifier, la démission de Fadhel Abdelkefi de la présidence du parti Afek Tounes ne saurait être interprétée que comme une fuite ou une désertion face à l’ampleur d »une mission devenue très risquée.

Par Imed Bahri

«Le temps passé à la tête du parti a été riche d’expériences et de défis politiques dans une période très délicate», a déclaré Abdelkefi, en annonçant, hier, jeudi 19 octobre 2023, sa démission lors du troisième congrès du parti qu’il présidait depuis novembre 2021. Si c’était vraiment le cas, pourquoi a-t-il jeté l’éponge, et de cette manière cavalière, en se dérobant à ses responsabilités et en laissant ses camarades déboussolés au milieu de la tempête?

«Cette période difficile et exceptionnelle que traverse actuellement la Tunisie, notamment sur les plans politique, économique et social et dans un contexte international très complexe, m’a amené à m’interroger sur l’efficacité du travail partisan sous sa forme traditionnelle», a expliqué l’homme d’affaires, qui prétendait pourtant avoir des solutions pour la crise économique et financière de la Tunisie et qu’il était capable de les mettre en route «bijarrati qalam» (d’un trait de crayon, sic !).

Cette promesse, il semble l’avoir rapidement oubliée, en se dérobant derrière de vagues «exigences de la période et de ses évolutions» qui «vont au-delà de l’action politique dans le cadre habituel des partis», ajoutant que toutes les parties prenantes doivent «s’unir pour sauver le pays et réaliser les aspirations de son peuple».

Un destin contrarié

Cet appel à l’union nationale résonne comme une dérobade personnelle ou, au mieux, un effet de manche destiné à leurrer l’opinion et à botter en touche.

M. Abdelkefi s’éclipse donc, ou se cache, ou retourne à son jardin secret : la finance, secteur où il a clairement plus de chance de réussir. A moins que sa démission soit, comme le pensent certains analystes, une sorte de repli tactique pour tenter de dissocier son nom d’un parti sans perspective électorale et de se positionner désormais comme une personnalité indépendante capable de rassembler les forces centristes autour d’un programme de centre-droit lors des prochaines présidentielles.

On sait aussi que certains partis et mouvements de gauche et de centre-droit sont à la recherche d’une personnalité capable de les rassembler autour d’un programme commun et de porter leurs espoirs lors des élections de 2024. Le nom de Abdelkefi est d’ailleurs souvent cité en coulisses comme un éventuel candidat de consensus face à Kaïs Saïed. Et lors de certaines réunions organisées dans le cadre de cette initiative, l’homme d’affaires a lui-même proposé sa candidature, estimant être l’oiseau rare. Ceci explique-t-il cela ? Wait and see…

A-t-il eu tort de penser à un moment de sa vie qu’il avait un destin politique à accomplir et qu’il pouvait conduire une Tunisie en crise vers des rivages plus calmes et plus sereins ?

A-t-il surestimé ses talents tribuniciens et de ses capacités de se frayer une place dans le cœur de ses concitoyens qui ont beaucoup tardé à lui donner crédit ou à lui offrir leurs suffrages ?

On peut sérieusement répondre par l’affirmative, car, malgré ses nombreux passages médiatiques, qui impressionnaient l’establishment tunisois et les milieux d’affaires en Tunisie et à l’étranger, Fadhel Abdelkefi a rarement figuré dans le top 10 des personnalités politiques les plus populaires en Tunisie et son parti, Afek Tounes, trop libéral et trop élitiste au goût de certains, ne s’est jamais vraiment imposé dans un paysage politique éclaté et complètement décrédibilisé.

Un combat devenu trop risqué

Le brave Fadhel était sincère et voulait vraiment servir son peuple et l’aider à sortir la tête de l’eau, mais il a eu beau sillonner le pays du nord au sud et d’est en ouest et d’aller au contact des petites gens, pour écouter leurs doléances et leur expliquer qu’il possède, lui, le bourgeois né avec une cuillère d’or dans la bouche, des solutions à leurs problèmes de survie. Son discours avait cependant du mal à convaincre, parce qu’il n’a jamais connu, lui le fils de riche, les privations auxquelles sont confrontés ses interlocuteurs, lesquels avaient aussi beaucoup de mal à s’identifier à lui : il ne leur ressemble pas et ne leur dit pas ce qu’ils veulent entendre.

Cet échec a sans doute pesé dans sa décision de fermer la parenthèse politique de son parcours personnel. Mais la situation générale dans le pays, où l’horizon politique est complètement bouché, a fini par le convaincre qu’il n’y a plus de place pour l’activisme politique, lequel mène désormais directement en prison.

D’ailleurs, le nombre d’hommes et de femmes politiques emprisonnés depuis février dernier, poursuivis dans de vagues affaires de complot contre la sûreté de l’Etat, est suffisamment important pour lui faire craindre d’être bientôt, à son tour, traîné devant les juges. D’autant que son nom a déjà figuré dans une liste de 25 personnalités susceptibles d’être entendues par les juges dans une affaire de… complot contre la sûreté de l’Etat. La récente incarcération de Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL), appartenant à sa même famille politique de centre-droit, ne laissait plus aucun doute chez Abdelkefi sur la volonté du régime de faire le vide autour du président de la république, Kaïs Saïed briguant visiblement une second mandat en 2024.

Autant donc s’effacer tant qu’il est encore temps, le combat étant devenu trop risqué…

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