Aux Etats-Unis, la liberté d’expression malmenée par le lobby sioniste

Désormais toute critique d’Israël risque d’être interdite dans l’enceinte de l’Université en Amérique, tout comme elle l’est dans la vie politique, professionnelle, ou sociale. Au pays du «premier amendement»**, la liberté d’expression est à son plus bas niveau historique… (Illustration : la Grande Inquisitrice Elise Stefanik).

Par Dr Mounir Hanablia *

Mesdames Claudine Gay, Sally Kornblutt, Liz Magill, présidentes des universités Harvard, Massachusset Institute of Technology, et Pennsylvanie, quelques unes des plus prestigieuses des Etats-Unis, accusées d’antisémitisme, ont été appelées à démissionner après leur audition par une commission parlementaire du Congrès présidée par la représentante Elise Stefanik dans le rôle de grande inquisitrice, réunie à la demande d’étudiants juifs se disant inquiets de la multiplication d’actes et d’expressions antisémites à l’université.

Les présidentes avaient été entendues sur la sécurité des étudiants juifs et israéliens dans leurs institutions. A la question pas du tout anodine de savoir si celles-ci condamnaient l’appel à l’Intifada, comme équivalent à un appel au génocide et au harcèlement des étudiants juifs, la réponse des présidentes a été juridique; l’une a estimé que cela dépendait du contexte, l’autre a subordonné cela à un passage à l’acte, la dernière a argué de la liberté d’expression.

La présidente Magill vient de démissionner, et il est à prévoir que ses deux autres collègues fassent de même prochainement. Peut-on pour autant les critiquer d’avoir répondu ainsi?

L’université américaine n’est plus un espace de liberté

Le premier amendement de la Constitution américaine garantit la liberté d’expression. Et l’université constitue naturellement un espace de liberté où les étudiants sont appelés à s’exprimer afin d’apprendre à argumenter et à accepter la différence d’opinion.

Par ailleurs, pour en revenir au contexte, il s’agit bien évidemment de la guerre d’extermination que l’armée israélienne mène depuis plus de deux mois contre les civils palestiniens, avec le soutien politique, financier et militaire de l’administration américaine.

La question posée était donc éminemment politique, posée par une politicienne retorse et cynique qui savait parfaitement qu’une réponse positive équivalait à hypothéquer la liberté d’expression et donc l’indépendance de l’université, alors que, négative, elle exposait à l’accusation d’antisémitisme.

Les présidentes des universités concernées ont évidemment fait le choix pour elles indiscutable de préserver leurs institutions, quoiqu’il leur en coûtât personnellement, et c’est d’autant plus remarquable que l’une parmi elles soit de confession juive.

Il reste à savoir pourquoi l’appel à l’Intifada lancé par les étudiants pro-palestiniens ait été assimilé à l’antisémitisme, alors qu’étymologiquement, elle signifie soulèvement en langue arabe, et que historiquement, elle corresponde aux deux révoltes menées par les Palestiniens des territoires occupés contre l’occupation coloniale israélienne. 

De gauche à droite : Claudine Gay, présidente de l’Université de Harvard, Liz Magill, présidente de l’Université de Pennsylvanie, Pamela Nadell, professeur d’histoire et d’études juives à l’Université américaine, et Sally Kornbluth, présidente du Massachusetts Institute of Technology, témoignent devant la Chambre mardi dernier. Getty Images).

Ceci renvoie évidemment à la prééminence de la narration sioniste aux Etats-Unis et à la confusion savamment entretenue entre l’antisionisme qui est l’opposition au colonialisme israélien, et l’antisémitisme, la discrimination contre les juifs en Occident à l’ère moderne.

C’est d’ailleurs sur cela que la représentante Stefanik a joué, en omettant de mentionner toutes les minorités fréquentant l’université, et en orientant sa question spécifiquement vers les étudiants juifs, et par la mention de l’Intifada, vers la guerre de Gaza. Et ce n’était pas aux Présidentes de prendre position sur un tel conflit, et d’y engager leurs institutions.

Evidemment le lobby sioniste est arrivé à ses fins; en les mettant sur la sellette et en obtenant la démission de l’une d’entre elles, au moins pour le moment, il a démontré sa toute puissance. Désormais toute critique d’Israël risque d’être interdite dans l’enceinte de l’Université en Amérique, tout comme elle l’est dans la vie politique, professionnelle, ou sociale. Tout étudiant contrevenant risquera désormais le renvoi.

Sale temps pour les étudiants arabes et musulmans

Plus que cela, les étudiants arabes et musulmans risquent d’être interdits d’études, ou de n’être désormais acceptés que sur des critères discriminatoires. C’est d’autant plus paradoxal que l’opinion publique mondiale, du fait des massacres commis par l’armée israélienne, devient beaucoup plus critique et hostile vis-à -vis des thèses sionistes.

En tous cas, la mise sous le boisseau de l’esprit critique dans ses universités et la subordination de ses intérêts fondamentaux à un lobby au service d’un pays étranger ne favorisera certainement pas les Américains dans leur course à la domination mondiale.

Au lieu de pousser à la démission les meilleures de ses universitaires, ce sont les membres du Congrès au service de lobbies étrangers qui devraient aller vers la sortie. C’est Elise Stefanik, la représentante par qui le scandale est arrivé, qui est responsable de cette situation et qui en assume les conséquences.

Les relations entre la politique et le monde académique ont néanmoins été toujours complexes. Dans le cas précité c’est pour la liberté d’expression des étudiants que tout cela s’est passé et que des gens ont sacrifié leurs carrières.

Malheureusement, il arrive que l’aveuglement du décanat fasse des victimes. Il y a quelques années un doyen avait comparu en justice parce qu’il avait refusé de se conformer à un jugement administratif. Ses collègues pour marquer leur solidarité avaient refusé les inscriptions en provenance des facultés étrangères. Ce sont donc les étudiants qui avaient fait les frais de la solidarité des doyens; une manière curieuse de marquer sa solidarité, même quant on se pose en gardien du temple. 

* Médecin de libre pratique.

** Le premier amendement de la Constitution des États-Unis d’Amérique de 1791 protège la liberté de religion et d’expression, la liberté de la presse ou le droit à «s’assembler pacifiquement», principes qui sont aujourd’hui malmenés par l’administration prosioniste actuelle.  

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