Les États-Unis inquiets pour Israël en cas de guerre contre le Hezbollah

Des évaluations du renseignement militaire américain révélées par le Washington Post dimanche affirment qu’en cas de déclenchement de guerre contre le Hezbollah, Israël ne pourra pas la remporter. Une inquiétude partagée par une analyse d’un général israélien. Cependant, Benjamin Netanyahu semble plus que jamais déterminé à jouer le pyromane sur le front nord avec le Liban. (Illustration : soldats israéliens à la frontière avec le Liban).

Par Imed Bahri

«Les responsables américains craignent que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu considère l’élargissement des combats au Liban comme la clé de sa survie politique dans un contexte de critiques nationales concernant l’incapacité de son gouvernement à empêcher l’attaque du Hamas du 7 octobre. Lors de conversations privées, l’administration a mis en garde Israël contre une escalade significative au Liban. Si tel était le cas, une nouvelle évaluation secrète de la Defense Intelligence Agency (DIA) a révélé qu’il serait difficile pour l’armée israélienne de réussir car leurs moyens et ressources militaires seraient trop dispersés compte tenu du conflit à Gaza», écrit le Washington Post.  

Le journal poursuit: «Plusieurs personnalités parmi les responsables de l’administration ainsi que des diplomates se sont entretenus avec le Washington Post (pour certains sous couvert d’anonymat) concernant ce rapport pour discuter de la situation militaire sensible entre Israël et le Liban. Le risque qu’Israël lance une attaque d’envergure contre le Hezbollah n’a jamais disparu ont déclaré des responsables de la Maison Blanche et du Département d’État mais une inquiétude plus large a été suscitée par une escalade ces dernières semaines en particulier depuis qu’Israël a annoncé le retrait temporaire de plusieurs milliers de soldats de Gaza le 1er janvier, une décision qui pourrait libérer des ressources pour une opération militaire dans le nord. Un autre responsable américain a déclaré que les forces israéliennes retirées de Gaza pourraient être déployées vers le nord après suffisamment de temps pour se reposer et se préparer à une nouvelle vague de combats.»

Le spectre d’une déroute israélienne

Le Washington Post indique que ce même responsable a abordé avec inquiétude la situation de l’armée de l’air qui n’est pas prête pour une guerre d’une ampleur importante: «Mais l’armée de l’air israélienne est également surmenée, ayant mené des frappes constantes depuis le début de la guerre en octobre, a déclaré le responsable, expliquant l’évaluation de la Defense Intelligence Agency selon laquelle une escalade au Liban affaiblirait les forces israéliennes. Les pilotes sont fatigués et les avions doivent être entretenus et réaménagés, a déclaré le responsable. Ils seraient confrontés à des missions plus dangereuses au Liban qu’à Gaza où le Hamas dispose de peu de défenses antiaériennes pour abattre les avions de chasse.»

Ce qui préoccupe Washington bien plus que l’embrasement de la région dont la conséquence serait un lourd bilan humain au Liban et au-delà, c’est surtout une débâcle israélienne face au Hezbollah car ce sera par ricochet une débâcle occidentale face à l’axe pro-iranien ce qui entraînerait un équilibre régional en faveur de Téhéran.

Ce spectre d’une déroute israélienne inquiète d’autant plus que d’autres facteurs non abordés par l’évaluation des renseignements militaires américains jouent en défaveur de l’armée israélienne.

D’abord le facteur psychologique. Nous sommes revenus précédemment dans l’article «Un militaire israélien: Chaque nuit j’urine sur moi-même» sur le malaise psychologique au sein de Tsahal. Comment une armée en détresse psychologique peut-elle faire la guerre sur deux fronts sachant que le Hezbollah est dix fois plus puissant que les Brigades Ezzeddine Al-Qassam selon les analystes?

Ensuite, la question de l’armement se pose. Les énormes quantités d’armes envoyés par les États-Unis à Israël depuis le 7 octobre (plus de 230 avions et 20 navires) au détriment de l’Ukraine n’ont pas permis à Tsahal d’atteindre aucun de ses objectifs à Gaza alors que dire si une guerre encore plus intense éclate face au Hezbollah? Washington sera tout simplement dans l’obligation de sacrifier l’Ukraine face à la Russie pour pouvoir répondre aux besoins israéliens. Un scénario cauchemardesque pour les Américains qui ne veulent surtout pas que la Russie de Poutine remporte la guerre d’Ukraine. C’est pour cela que l’administration Biden essaye autant que possible de dissuader les Israéliens de déclarer la guerre au Hezbollah. Il est important de rappeler aussi que beaucoup des chars et d’équipements militaires employés dans l’offensive terrestre à Gaza sont partiellement ou totalement endommagés ce qui affectera davantage les capacités opérationnelles israéliennes en cas de guerre contre le Hezbollah. 

Les officiers et soldats de réserve ne sont pas prêts

L’inquiétude américaine trouve son écho en Israël même et parmi des personnalités très bien informées. Sous le titre «Le scénario de l’horreur», le général de réserve Yitzhak Brick confirme dans une tribune publiée le lundi 8 janvier 2024 dans Maariv que l’armée israélienne n’est toujours pas prête pour combattre dans une guerre à grande échelle dans le nord et affirme que ses bases militaires qui font face au Liban s’effondreront.

Le général Brick, 75 ans, est surnommé le Prophète de la colère en Israël car il a prédit qu’une attaque d’ampleur lancée par des milliers de militants palestiniens contre les colonies entourant la bande de Gaza allait avoir lieu et il prédit également une attaque palestinienne massive dans un avenir proche contre les colons en Cisjordanie.

Dans son article, Brick explique que si les porte-parole de l’armée israélienne affirment matin et soir que l’armée est plus préparée que jamais à affronter le Hezbollah dans le nord, la vérité peut être identifiée par l’intermédiaire d’officiers et de soldats de réserve sur le terrain. Notant qu’il y a cinq ans, dans le cadre de sa mission de délégué des plaintes des soldats, il a visité les casernes et les bases de l’armée israélienne dans le nord pendant deux semaines en restant quatre heures dans chaque base et il a constaté une carence au niveau de la condition physique militaire et que militairement ils n’étaient pas prêts. Il a ajouté : «À cette époque, l’ancien ministre de la Défense Avigdor Lieberman, le commandant de l’armée Gadi Eisenkot et le commandant de la Brigade du Nord Yoel Strick m’ont convoqué et je leur ai présenté mes conclusions. Sans parler du contenu de la réunion mais c’était déroutant d’entendre les réponses balbutiantes du commandant de l’armée et du commandant de la Brigade du Nord à l’intérieur de la salle après avoir évoqué les échecs que j’avais constatés sur le front le plus important.»

Brick souligne le danger de ne pas tirer les leçons en déclarant dans son article «qu’il voit un grand nombre d’analystes militaires et de généraux de réserve sur les plateaux de télévision israéliens bavarder chaque jour tout en vénérant la force de notre armée. C’est ainsi qu’ils ont dit aux Israéliens avant l’attaque du Hamas que nous avions l’armée la plus puissante du Moyen-Orient. Ce sont ces mêmes personnes qui lancent de la poudre dans les yeux du public même après le déluge d’Al-Aqsa.»

Yitzhak Brick poursuit ses avertissements en disant : «Imaginez ce qui se serait passé si les forces du Hezbollah à travers des milliers de soldats des Forces Radwan avaient attaqué nos bases et nos villes dans la bande frontalière concomitamment à l’opération Déluge d’Al-Aqsa le 7 octobre 2023. Si le Hezbollah nous avait attaqué, il n’y aurait pas eu dans nos bases des forces capables de lui tenir tête et il aurait envahi la Galilée et pénétré librement dans les casernes accompagné de milliers de roquettes, d’obus et de drones sur le front intérieur israélien ce qui aurait causé des destructions et d’énormes pertes en vies humaines puis nous nous serions réveillés le lendemain de ce jour noir au cours duquel il aurait été impossible de faire appel aux réservistes et nous aurions attendu un miracle pour nous sauver.»

La fuite en avant de Netanyahu

En dépit de ces inquiétudes aussi bien américaines qu’israéliennes, Benjamin Netanyahu fait la sourde oreille en continuant sa fuite en avant en jouant au pyromane. Il s’est déplacé ce lundi à Kiryat Shmona aux frontières avec le Liban et a déclaré que tous les efforts doivent être fournis pour le retour des colons du nord d’Israël dans leurs colonies sachant que beaucoup parmi ces derniers appellent à une solution militaire pour pouvoir revenir ce qui veut dire une guerre contre le Hezbollah croyant que la solution militaire est la solution appropriée pour leur retour.

En même temps, un drone israélien a tué dans sa voiture Wissam Hassan Tawil et une personne qui l’accompagnait dans le village de Khirbet Selm à une dizaine de kilomètres de la frontière avec Israël. Tawil était membre des forces Radwan, forces spéciales du Hezbollah sachant qu’il n’est pas le premier membre de ces forces assassiné. Le 22 novembre dernier, six membres des forces Radwan ont été tués suite à des frappes israéliennes parmi eux figurait Abbas Raad, le fils du chef du bloc du Hezbollah dans le Parlement libanais Mohamad Raad.

L’assassinat des membres de cette force s’ajoute à une longue liste de provocations israéliennes sur lesquelles nous sommes revenus dans l’article «Le Hezbollah entre la réplique à Israël et la préservation du Liban». Il semble en effet que Benjamin Netanyahu, qui, outre sa responsabilité concernant les failles ayant conduit à l’opération Déluge d’Al-Aqsa, est poursuivi ainsi que son épouse dans quatre affaires de corruption, craint de quitter le pouvoir et de rendre des comptes et préfère brûler tout le Moyen-Orient pour rester au pouvoir et échapper ainsi à la case prison. Pour le moment, le Hezbollah fait preuve de pondération, de rationalité et de retenue et n’offre pas au pyromane Netanyahu la grande guerre qu’il souhaite pour se maintenir au pouvoir. Cependant, jusqu’à quand les nerfs du Hezbollah vont-ils tenir alors que chaque jour apporte son lot supplémentaire de provocations? L’avenir le dira mais ce qui est certain aujourd’hui avec les inquiétudes des renseignements militaires américains et les avertissements d’Israéliens bien informés c’est qu’une guerre frontale contre le Hezbollah ne sera pas à l’avantage d’Israël.

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