Rapport : L’aide occidentale à la Tunisie alimente les abus contre les réfugiés

Le rapport «Abus, corruption et responsabilité : il est temps de réévaluer la coopération migratoire entre l’Union européenne et la Tunisie» de l’organisation non gouvernementale Refugees International met en lumière les violations systématiques des droits humains contre les réfugiés, les demandeurs d’asile et les migrants en Tunisie. Et il demande à l’Europe et aux États-Unis de reconsidérer leur financement, et plus généralement l’ensemble de leur approche, de la gestion des migrations en Méditerranée centrale.

Les facteurs structurels de la migration. Certains éléments de l’analyse des flux migratoires sont figés car difficiles à modifier. Tout d’abord, la proximité de la Tunisie avec l’Italie, et donc avec l’Europe, une proximité qui en fait un pays de transit plus sûr, aux yeux des migrants, que la Libye ou l’Algérie. Deuxièmement, la pauvreté et la violence qui poussent quotidiennement des milliers d’Africains subsahariens à abandonner leur pays en quête d’un avenir. Et troisièmement, l’incapacité de Tunis à tenir tête à son voisin plus puissant, l’Algérie, qui pousse des milliers de migrants vers la frontière. Mais entre-temps, le contexte tunisien a changé, car entre la crise économique due à l’augmentation de la dette, de l’inflation et du manque de vivres et la crise politique en raison de la dérive autoritaire, le niveau de sécurité mais aussi le niveau de vie dans ce petit pays d’Afrique du Nord font que la situation s’est considérablement détériorée. Pour les migrants et les réfugiés en particulier.

Collusion entre police et trafiquants. D’après les informations recueillies par les auteurs du dossier, la collusion entre agents de sécurité et trafiquants d’êtres humains, notamment dans le sud tunisien, est si profondément enracinée qu’il est presque utopique d’envisager son éradication à court terme. «Le plus grand secret public», selon la définition d’un universitaire interrogé par Refugees International. Les différentes manières dont les forces de sécurité tunisiennes exploiteraient la traite des êtres humains sont les suivantes : pots-de-vin en échange de protection; alerte sur les patrouilles et les opérations de surveillance; achat de bateaux et de moteurs à un prix avantageux auprès des membres des forces de police ou d’autres personnes qui leur sont liées; saisie d’argent liquide et d’autres biens personnels par la police dans les lieux où les migrants se rassemblent avant l’embarquement.

A la merci des trafiquants. Beaucoup de migrants interrogés par Refugees International ont souligné que, contrairement à ce que l’on pense notamment en Europe, la majorité d’entre eux parviennent à rejoindre la Tunisie sans recourir aux trafiquants. Surtout ceux qui partent d’Afrique subsaharienne peuvent organiser leur passage vers la Tunisie en utilisant les moyens de transport disponibles sur place. Plusieurs migrants de Sierra Leone, par exemple, ont déclaré avoir pris des taxis informels et marché longtemps à pied pour traverser la Guinée, le Mali et l’Algérie et qu’une fois arrivés en Tunisie, ils se sont tournés vers des trafiquants pour traverser la Méditerranée.

D’après les données rapportées dans le dossier, les personnes arrivées en Europe en 2023 proviennent principalement de : Guinée, Côte d’Ivoire, Tunisie, Egypte, Bangladesh, Burkina Faso, Pakistan, Syrie, Mali, Cameroun.

Violence contre les migrants. Après l’expulsion arbitraire et illégale de milliers d’Africains vers les zones désertiques frontalières de la Libye et de l’Algérie début juillet, le gouvernement tunisien a fait marche arrière et relocalisé des centaines de personnes dans le sud du pays. Au cours de cette période, il ressort des informations recueillies que 86% des réfugiés ont subi des violences physiques et 85% confirment que les auteurs de ces violences étaient les forces de sécurité tunisiennes.

Le rapport met en lumière les tactiques punitives constamment employées par le gouvernement à l’encontre des migrants, notamment le blocage intentionnel de l’aide d’urgence aux ONG et les transferts de personnes déplacées des centres urbains vers les zones rurales sans accès aux services.

La responsabilité de l’Occident. La collusion avec les trafiquants du sud est bien établie et il est peu probable que le gouvernement de Tunis soit en mesure de la résoudre rapidement, ce qui signifie qu’un accord avec la Tunisie pourrait avoir un impact limité sur la limitation des flux sortants.

Dans le même temps, un tel partenariat pourrait faire pression sur le gouvernement central de Tunis pour qu’il s’engage à lutter contre les départs, comme cela s’est produit en juillet. Mais ce type d’opération implique aussi des violations massives des droits de l’homme. Les facteurs structurels qui ont fait de la Tunisie la principale plaque tournante des migrations méditerranéennes – proximité géographique avec l’Europe, relative stabilité par rapport à ses voisins, facilité de transit depuis l’Afrique subsaharienne et instabilité de nombreux pays d’Afrique même – sont des éléments immuables et en fait la politique de dissuasion de l’UE n’a pas réussi à décourager la migration, tout comme les graves abus commis par les forces de sécurité tunisiennes.

Plutôt que de se concentrer sur le nombre d’immigration irrégulière et sur la manière de le réduire, l’UE – suggèrent les auteurs du rapport – devrait d’abord intensifier les voies d’entrée légales pour les migrants vulnérables, puis élargir les voies de réinstallation des réfugiés.

Traduit de l’italien.

Source : ‘‘La Repubblica’’.

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