La gestion des ressources en eau doit être réalisée à l’échelle régionale en utilisant une approche participative et collaborative, ont déclaré les participants au 5e Forum méditerranéen de l’eau tenu les 6 et 7 février 2024 à Tunis.
Par Imed Bahri
A l’ouverture du forum, le 6 février, «l’unanimité s’est dégagée sur la nécessité pour les deux rives de la Méditerranée de coopérer face aux défis croissants de l’eau», a déclaré Nasreddine Elabid, directeur général du Centre arabe d’études sur les zones et terres arides (Acsad), précisant que le monde arabe figure parmi les régions les plus touchées par la pénurie d’eau. Les ressources disponibles dans la région s’élèvent à 260 milliards de mètres cubes, bien en-deçà des besoins.
Monde arabe : déficit de 127 milliards de m3 d’eau
D’ici 2030, les pays arabes dont les besoins en eau continuent d’augmenter seront confrontés à un déficit de 127 milliards de m3, a-t-il ajouté. La disponibilité moyenne en eau par habitant dans la région arabe est d’environ 550 m3, elle atteint à peine 400 m3 en Tunisie alors qu’elle ne dépasse pas 200 m3 dans huit pays arabes et 100 m3 dans six autres pays.
Cette pénurie d’eau, exacerbée par l’impact du conflit dans la région et par le changement climatique, est devenue une véritable menace pour la sécurité de la région, a déclaré Elabid. Certaines populations se voient totalement refuser le droit à l’eau, alors même que l’eau potable et l’assainissement sont au cœur des objectifs de développement durable. C’est le cas de la population de Gaza, où la situation «n’est pas critique, elle est catastrophique, inhumaine et remet en cause nos valeurs», a déclaré Almotaz Abadi, secrétaire général adjoint de l’Union pour la Méditerranée (UpM).
Abadi a déclaré qu’il était nécessaire d’assurer une mobilisation régionale pour défendre le droit à l’accès à l’eau pour tous.
Méditerranée : l’écart se réduit entre le Nord et le Sud
Le président de l’Institut méditerranéen de l’eau (IME), Alain Meyssonnier, a souligné qu’il est essentiel que les deux rives de la Méditerranée travaillent ensemble pour relever les défis de l’eau. «En quelques années seulement, nous sommes passés de l’abondance à la rareté. L’écart entre le nord et le sud de la Méditerranée en matière de ressources en eau se réduit, d’où la nécessité de travailler ensemble pour remédier à cet état de fait », a-t-il ajouté.
Malgré la situation alarmante en Méditerranée, Meyssonnier a souligné trois constats principaux, à savoir l’existence de solutions nécessitant une action commune, une sensibilisation accrue des citoyens et des entreprises dans plusieurs pays et l’implication des jeunes.
Le président du Conseil mondial de l’eau, Loïc Fauchon, a déclaré que «la ressource en eau est actuellement attaquée, c’est la planète entière qui en souffre». «Aujourd’hui, nous avons trois priorités : trouver de l’eau pour la nature, de l’eau pour la santé et de l’eau pour l’alimentation», a-t-il ajouté. Pour cela, il est essentiel d’augmenter l’approvisionnement en eau à travers différentes techniques, principalement le dessalement, le recyclage des eaux usées et une meilleure gestion de la demande (numérisation des formes de gouvernance et changement de comportement), estime Fauchon, qui a mis l’accent sur l’innovation technologique, le financement et l’entretien des infrastructures pour garantir une gestion horizontale de l’eau.
La disponibilité des ressources en eau est un défi récurrent en Méditerranée alors que près de 180 millions de personnes souffrent de pénurie d’eau et vivent dans des conditions de stress hydrique.
Tunisie : des ressources en diminution continue
La Tunisie est l’un des pays les plus touchés, avec une disponibilité par habitant estimée à 385 m3/an/ha contre une moyenne mondiale de 1 000 m3. Les ressources en eaux souterraines en Tunisie devraient diminuer de 50% d’ici 2050, avec le risque de perdre 800 000 hectares de forêts non irriguées d’ici 2030, notamment dans les régions du centre et du sud, a déclaré la ministre de l’Environnement, Leila Chikhaoui. La Tunisie sera également confrontée à une diminution de 30% des superficies cultivées en blé d’ici 2030 et à un risque de salinisation des eaux souterraines de 30% d’ici 2050, ainsi qu’à un déclin de la biodiversité terrestre et marine, a-t-elle ajouté.
Chikhaoui a déclaré que la gestion intelligente de l’eau fait partie de la solution d’adaptation au réchauffement climatique et pourrait contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre, accroître la résilience des populations, protéger la biodiversité et assurer la sécurité alimentaire et énergétique. «Dans sa quête d’un développement durable inclusif et intégré, la Tunisie doit relever plusieurs défis, notamment la gestion de l’eau dans le cadre de la Stratégie nationale de transition écologique», a poursuivi le ministre. «Les mesures soutenues par cette stratégie comprennent la mise en œuvre de politiques efficaces de gestion de l’eau, notamment la mobilisation et la protection des ressources en eau, le dessalement de l’eau de mer et le recyclage des eaux usées, en parfaite synergie avec la Stratégie nationale de l’eau 2050», a-t-elle conclu.
Des contraintes à saisir comme des opportunités
Face à des problèmes liés à l’eau quasiment similaires dans tous les pays méditerranéens et aux contraintes du changement climatique qui pèsent sur tous les pays de la région, les participants ont souligné la nécessité de saisir ces contraintes comme des opportunités pour développer des projets de territoire et «les transformer en quelque chose de positif».
Ils ont en outre appelé à une action proactive plutôt que préactive face aux catastrophes naturelles telles que la sécheresse et les inondations. Certains ont appelé à repenser l’urbanisme face aux inondations.
Les intervenants au nom de la région arabe ont mis en garde contre les pertes d’eau dans les systèmes d’irrigation, estimées à 100 milliards de m3 par an. Ils ont appelé à mobiliser davantage de fonds pour rendre les systèmes d’irrigation plus efficaces avant de se lancer dans des solutions très coûteuses.
Pour les peuples de la Méditerranée, que ce soit sur la rive sud ou sur la rive nord, le secteur de l’eau doit être prioritaire dans toutes les stratégies, car la sécurité alimentaire est tributaire de la sécurité de l’eau, sur les plans national et international.
Parmi les pistes à explorer pour résoudre les problèmes spécifiques de l’eau, certains intervenants ont appelé au développement de deux axes majeurs : la petite distribution d’eau en milieu urbain et rural et la valorisation de chaque m3 d’eau de pluie.
Il est également nécessaire de développer des systèmes d’alerte précoce et de mettre en place des projets pilotes dans chaque pays, ainsi que des plans d’action pour la gestion des crises, en adoptant des approches préventives dans un contexte de partage et de concertation au niveau régional.
L’apport de la coopération italienne
Dans le cadre du 5e Forum méditerranéen de l’eau à Tunis, l’Agence italienne de coopération au développement (AICS) a contribué de manière significative au dialogue international sur la gestion de l’eau, en organisant un événement collatéral axé sur les défis et les innovations de ce secteur.
Le bureau de l’AICS à Tunis a précisé dans une note que «le Forum Méditerranéen de l’Eau est un moment clé pour renforcer la coopération régionale sur les questions de l’eau et intervient à un moment crucial, avant le Forum Mondial de l’Eau prévu à Bali, en Indonésie, en mai 2024», soulignant l’importance croissante de la gestion de l’eau à l’échelle mondiale.
«L’Italie, en tant que protagoniste et soutenue par la présence du sous-secrétaire d’État aux politiques agricoles, alimentaires et forestières, Patrizio La Pietra, a non seulement affirmé son engagement en faveur de la gestion de l’eau, mais a également confirmé sa candidature à l’organisation du prochain Forum mondial de l’eau en 2027», ajoute la note.
L’AICS a joué un rôle important dans cet événement grâce à la participation d’Emilio Ciarlo, chef du Bureau des Relations institutionnelles et de la Communication de l’AICS Rome, à la session sur la numérisation et les nouvelles solutions dédiées à l’utilisation rationnelle des ressources, mais aussi avec l’organisation, à travers le bureau de Tunis, d’un événement parallèle intitulé ‘‘Nouvelles technologies, recherche et innovation durable dans le secteur de l’eau en Tunisie et en Italie’’.
Cet événement a mis en lumière des innovations significatives en matière d’irrigation efficace, de traitement et de réutilisation des eaux usées, essentielles pour les régions arides. Des experts italiens et tunisiens ont partagé leurs connaissances, soulignant l’importance cruciale de l’innovation technologique et de la collaboration en matière de recherche pour relever les défis actuels et futurs de l’eau.
Cette session a porté en particulier sur la contribution de ces technologies à une gestion durable et efficace de l’eau, un enjeu prioritaire pour la Tunisie et la région méditerranéenne. «La gestion de l’eau est un défi important qui nécessite des solutions innovantes et une coopération sans précédent. L’événement d’aujourd’hui souligne notre engagement continu et notre volonté de travailler ensemble pour un avenir durable», a souligné Andrea Senatori, directrice de l’AICS Tunis.
Dans le cadre de son travail en Tunisie et dans les autres pays couverts par son bureau régional de Tunis (Maroc, Algérie et Libye), l’AICS a démontré un engagement fort dans la promotion de solutions durables et efficaces en matière de gestion de l’eau.
Ce travail s’inscrit dans une perspective plus large de coopération internationale pour répondre aux défis posés par la détérioration de la quantité et de la qualité de l’eau, liée au changement climatique.
L’Agence a mené d’importants projets dans la région, en mettant l’accent sur le renforcement des capacités locales, le soutien de solutions innovantes et durables et la mise en œuvre de pratiques efficaces de gestion de l’eau.
Avec agences.
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