Au lieu de chercher à être constamment dans la posture de «l’ami protecteur du petit peuple», nos responsables devraient avoir le courage d’expliquer aux citoyens que la vraie croissance économique et la prospérité durable ne sont possibles qu’en réduisant l’intervention directe de l’Etat dans l’économie, tout en créant un environnement économique qui encourage l’initiative privée et libère les énergies au lieu de continuer à confiner indéfiniment la population dans son statut d’assistée. (Ph. Noureddine Ben Ahmed).
Par Salah El-Gharbi *
Le champ politique étant cadenassé, les responsables de ‘‘Midi Show’’, l’émission-phare de Mosaïque Fm, semblent avoir opté, pour la rentrée 2023-2024, en faveur d’une nouvelle orientation éditoriale qui s’articule, désormais, autour des données économiques. Et cette nouvelle tendance se ressent à travers le choix des chroniqueurs représentatifs de deux visions antinomiques des choix de la politique économique capables de sortir le pays des difficultés dans lesquelles ce dernier s’enlise jour après jour.
Ainsi, pour nourrir le débat contradictoire, la rédaction a fait à appel à des chroniqueurs ayant deux approches diamétralement opposées de l’économie. Alors que Mohamed Salah Labidi et Faouzi Ben Abderrahman, pragmatiques, plaident en faveur de la libéralisation de l’économie, Maher Hanin, un militant «ethno-gauchiste» qui vit encore avec les subsides idéologiques des années 60, faisant avec beaucoup de candeur les louanges des mouvements latino-américains, comme si la faillite du modèle soviétique et la libéralisation de l’économie chinoise n’étaient pas suffisantes pour convertir notre «gauchisant» à l’économie de marché.
D’ailleurs, depuis 2011, cette «gauche» dogmatique et démagogique, n’a jamais cessé de faire preuve d’infantilisme politique, tout en se débattant dans ses propres contradictions. Ainsi, tout en se présentant comme le chantre de l’idéal démocratique, elle n’a jamais cessé de préconiser le renforcement du rôle de l’Etat dans l’économie, autrement dit, de maintenir le même choix économique qui a été le talon d’Achille du modèle tunisien, depuis l’Indépendance et, par conséquent, de consolider l’hégémonie du pouvoir politique aux dépends des libertés individuelles.
L’Etat nourrit l’esprit d’assistanat et tue l’esprit d’entreprise
En fait, endoctrinée par la littérature marxiste, la «gauche» a toujours eu du mal à admettre que le paternalisme étatique ne fait que freiner le développement économique, en mettant les forces productives à la merci d’une bureaucratie peu réactive et cupide, en favorisant l’esprit d’assistanat parmi la population et tuant, surtout chez les jeunes, l’esprit d’entreprendre…
Cette élite de gauche n’a jamais voulu comprendre qu’il n’y a pas de libéralisation politique sans l’émancipation de la sphère économique de la tutelle de l’Etat. Son aveuglement idéologique et ses stratégies électoralistes l’empêchent de saisir le fait que tous les régimes autoritaires ont tendance à s’arroger tous les pouvoirs, à renforcer leurs prérogatives dans tous les domaines et en particulier, le domaine économique. Ainsi, ceux qui vilipendent ce qu’ils considèrent, par démagogie, comme «libéralisme sauvage» sont, en réalité, les ennemis de la démocratie.
Ces gens oublient que c’est l’Etat-«Haj klouf» qui nous a conduits au 14/01, cet Etat hégémonique face auquel les «citoyens» ne sont, en fait, que des «sujets» à la merci de l’arbitraire d’un ordre politique cynique, cupide et arrogant. «L’économie tunisienne traverse une crise grave, écrivait déjà en 1989, Hachemi Alya, un grand professeur d’économie. Cette crise n’est pas conjoncturelle, ni récente. Elle date, en effet, du début des années 80. Elle est en fait l’aboutissement logique des limites d’un modèle de croissance, l’aboutissement logique d’une conception de la politique : celle qui a prévalu dans notre pays depuis l’indépendance»(1).
Même si, à l’époque, le pouvoir était plus moins surexcité, les préconisations de cet économiste, toutes de bon sens, étaient tombées dans l’oreille d’un sourd, par lâcheté ou par aveuglement.
Réduire l’intervention directe de l’Etat dans l’économie
Aujourd’hui, continuer à tâtonner, à improviser, à rafistoler sans une vision prospective claire et lucide risque de coûter cher pour le pays. Par conséquent, redéfinir le rôle de l’Etat n’est nullement un caprice mais une nécessité vitale. A titre d’exemple, s’entêter à maintenir sous perfusion un secteur public gangréné par le népotisme, la mauvaise gestion, la corruption…, comme à plaider pour la nationalisation de certains médias, sans de véritables garanties assurant leur indépendance, serait une aberration.
Il est temps qu’on admette que l’Etat n’a ni les moyens, ni la vocation de faire du commerce, d’être à la tête d’entreprises industrielles, surtout dans des secteurs concurrentiels.
Aujourd’hui, beaucoup de sociétés du service public, qui ont besoin d’investissements pour continuer à fonctionner normalement sont en train de péricliter et ne peuvent être soutenues par un Etat dont la trésorerie est aux abois. Les céder aux particuliers ou ouvrir leurs capitaux à la participation du secteur privé ne pourrait que leur donner un nouveau souffle et ce, dans l’intérêt général du pays.
En somme, l’échec de la transition démocratique n’est pas dû uniquement à l’immaturité, voire à l’infantilisme de l’élite politique du pays, qui a toujours fait preuve d’un manque de lucidité et de courage nécessaires pour affronter les questions économiques avec beaucoup plus de pragmatisme.
Aujourd’hui, au lieu de chercher à être constamment dans la posture de «l’ami protecteur du petit peuple», nos responsables devraient avoir le courage d’expliquer aux citoyens comment la vraie croissance économique et la prospérité durable ne sont possibles qu’en réduisant l’intervention directe de l’Etat dans l’économie, tout en créant un environnement économique qui encourage l’initiative privée, qui libère les énergies au lieu de continuer à confiner indéfiniment la population dans son statut d’assistée.
* Universitaire et écrivain.
1) «L’économie tunisienne. Réalités et voies pour l’avenir», éd. Afkar wa Ich-har, Tunis, 1989.
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