Kaïs Saïed est revenu à la charge en dénonçant le système de la sous-traitance, sur lequel a été fondé le développement industriel de la Tunisie depuis les années 1970, et en appelant à y mettre fin. Mais le pays, qui traverse une grave crise financière, a-t-il vraiment les moyens pour engager une telle révolution? Car c’en est une, qui ne manquera pas de bouleverser les équilibres économiques et financiers du pays.
Par Imed Bahri
En recevant jeudi 22 février 2024, au palais de Carthage, Malek Ezzahi, ministre des Affaires sociales, et Lotfi Dhiab, ministre de l’Emploi et de la Formation professionnelle, le président de la république a affirmé que la sous-traitance est «une forme de trafic d’êtres humains et d’exploitation de la misère des pauvres et de leur sueur», selon un communiqué publié hier soir par la présidence de la république.
Saïed s’est demandé : «Pourquoi le travailleur ne perçoit-il pas un salaire intégral et équitable, alors que son employeur gagne plusieurs fois plus?», soulignant que le travail est un droit pour chaque citoyen, homme et femme, et que l’État doit prendre les mesures nécessaires pour le garantir sur la base de la compétence et de l’équité.
Mettre fin aux contrats à durée limitée
Chaque citoyen a le droit de travailler dans des conditions décentes et avec un salaire équitable, comme le stipule le texte de la Constitution [de 2022], a déclaré Saïed, estimant que la sous-traitance «n’est ni constitutionnelle ni acceptable sous aucun rapport», appelant à mettre fin aux contrats à durée limitée, car le travailleur a droit à la sécurité, à la stabilité et à un salaire équitable, à l’instar de son employeur, a insisté le chef de l’Etat.
Il convient de noter que le président de la république avait souligné, lors de sa rencontre, deux jours auparavant, avec le Premier ministre Ahmed Hachani, la nécessité d’accélérer l’élaboration d’une nouvelle loi qui mettrait fin aux contrats de sous-traitance, qui, selon lui, sont «une sorte d’esclavage» et aux dits «mécanismes» [d’emploi temporaire] qui «ne laissent aucun espoir aux employés de construire un avenir décent».
Le président a raison de défendre les intérêts des travailleurs précaires, qui ont droit à une protection de l’Etat, mais a-t-il vraiment conscience du bouleversement qu’une loi interdisant la sous-traitance et les emplois temporaires pourrait induire dans le tissu industriel tunisien, dont des pans entiers sont basés sur cette pratique permettant aux entrepreneurs de réduire leurs coûts et d’être compétitifs, notamment à l’exportation.
Une véritable révolution en perspective
Dans ce contexte, l’absence de débat sur cette question et le silence gêné des organisations patronales, notamment l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat (Utica), dont beaucoup de membres risquent d’être fortement impactés négativement par une pareille loi, laissent perplexe.
La Tunisie est-elle vraiment prête pour une telle révolution? Et l’Etat lui-même, qui recourt massivement à l’emploi précaire pour faire fonctionner les services publics, a-t-il les moyens financiers pour faire face aux dépenses qu’induirait le recrutement de tous les travailleurs employés temporaires ?
Kaïs Saïed, qui a déjà lancé sa «campagne explicative» pour les présidentielles de l’automne prochain, peut lancer des promesses généreuses, comme celle d’intégrer tous les travailleurs précaires et de leur offrir un emploi stable, y compris dans l’administration publique, mais une question se pose : le gouvernement en a-t-il vraiment les moyens, notamment financiers?
On aimerait bien entendre ces chers ministres nous expliquer comment vont-ils procéder pour mettre en œuvre les recommandations du chef de l’Etat, au lieu de se contenter d’opiner de la tête, tout en mesurant, dans leur for intérieur, l’ampleur des bouleversements que ces recommandations vont provoquer dans les équilibres économiques et budgétaires du pays.
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