Proche-Orient : Que cache la détente entre le Hezbollah et les Émirats?

C’est un précédent. Un membre important de la direction du Hezbollah libanais en la personne de Wafiq Safa, chef de l’unité de liaison et de coordination au sein du parti chiite libanais, s’est rendu aux Émirats arabes unis dans le cadre de ce qui constitue la première visite d’un haut représentant du parti à Abou Dhabi. Comment et pourquoi? Éléments de réponse. (Illustration : Wafiq Chafiq joue les missi dominici entre le Hezbollah et Abou Dhabi).

Par Latif Belhedi

Wafic Safa s’est rendu la semaine dernière aux Émirats à bord d’un jet privé émirati et y resté trois jours sachant que le Hezbollah est considéré comme une organisation terroriste par Abou Dhabi.

En effet, le 2 mars 2016, le Hezbollah est placé sur la liste des organisations terroristes du Conseil de coopération du Golfe, organisme composé de six monarchies du Golfe dont les Émirats arabes unis. Le Hezbollah est vu comme un bras armé de l’Iran et l’instrument du projet d’expansionnisme régional de Téhéran dans le monde arabe. Également, les médias des Émirats sont très acerbes quand ils abordent le parti chiite libanais. Tous ces éléments font que la visite de Wafic Safa à Abou Dhabi a surpris les observateurs et soulevé autant de questions sur ses motifs. 

Médiation syrienne

Dans son article publié par le journal russe Nezavisimaya, Igor Subbotin affirme que le but officiel de la visite de M. Safa est de discuter de la libération des citoyens libanais emprisonnés aux Émirats mais les experts soulignent que les négociations pourraient également porter sur la fin des affrontements entre le Hezbollah et Israël avec lequel les Émirats arabes unis ont établi des relations officielles.

L’auteur cite Reuters relayant que la visite de Safa a eu lieu à l’invitation des Émirats ce qui pourrait indiquer une tendance à la détente. Les médias libanais ont indiqué également que M. Safa a quitté Beyrouth et l’a regagné après trois jours dans un jet privé émirati. L’une des sources de l’agence a décrit la visite annoncée comme un nouveau chapitre dans les relations entre les pays arabes et le mouvement libanais même si les négociations elles-mêmes -selon ces données- se sont officiellement concentrées sur l’accord de libération des Libanais détenus dans les prisons émiraties où certains d’entre eux sont accusés de blanchir de l’argent au profit du Hezbollah et de l’Iran et d’autres sont accusés d’avoir établi des relations avec le mouvement chiite libanais.

De son côté, la chaîne d’opposition Syrie a rapporté que les négociations ont débuté avec la médiation de Damas qui entretient des relations étroites avec le Hezbollah et qui a rétabli ses relations diplomatiques avec les Émirats il y a plus de cinq ans. Bachar Al-Assad s’est d’ailleurs rendu en mars 2022 à Abou Dhabi, premier pays arabe qu’il a visité depuis 2011, année des printemps arabes qui eu pour conséquence une longue rupture entre Damas et les pays arabes surtout avec les monarchies du Golfe. Les Émirats ont été aussi les premiers à rouvrir leur ambassade à Damas et Emirates a été l’une des premières compagnies à desservir de nouveau la capitale syrienne. 

Stabiliser le Liban

Selon les données, le régime syrien voulait gagner la confiance de la région en se présentant comme un médiateur efficace et en obtenant des avantages en retour. L’intérêt des Émirats réside peut-être avant tout dans la stabilisation de la situation au Liban où la crise politique et les désaccords entre les différentes factions politiques ont empêché l’élection d’un président et où la situation ne cesse de se détériorer sur tous les plans.

Toujours selon la chaîne syrienne, le médiateur dans les négociations entre les Émirats et le Hezbollah était le chef des renseignements généraux syriens, le général de division Houssam Louka.

Quant à Wafiq Safa surnommé par la classe politique libanaise «El Hajj Wafiq», il est connu comme l’intermédiaire entre le Hezbollah et la communauté internationale, d’une part, et les autres factions politiques libanaises, d’autre part, ainsi qu’avec les services de sécurité libanais. En 2019, il a été inscrit sur la liste des sanctions du département du Trésor américain et certains éléments indiquent qu’il pourrait avoir été impliqué dans l’attentat de Beyrouth en 1983 qui a tué des centaines de militaires américains et français.

L’auteur de l’article paru dans le journal russe a cité Haneen Ghaddar, chercheuse principale au Washington Institute for Near East Studies, qui considère que l’agenda de la visite de Safa aux Émirats va au-delà de la question des prisonniers, elle déclare: «Les Émirats pourraient jouer un rôle de médiation pour mettre fin à l’escalade au Liban et négocier un accord avec le Hezbollah qui doit encore fournir certaines garanties pour un cessez-le-feu et cela pourrait également faire partie des négociations entre les Émirats arabes unis et l’Iran auxquelles participe le Liban.»

Les ambitions régionales d’Abu Dhabi

En conclusion, Ghaddar a indiqué: qu’«en échange de la libération des prisonniers libanais, le Hezbollah pourrait offrir quelque chose que ce soit en terme de concessions à Israël ou de la contrebande du Captagon, l’anesthésique synthétique que le parti participe à transmettre à la Jordanie voisine (le Hezbollah est accusé par les pays du Golfe de jouer un rôle dans le trafic du Captagon qui est fabriqué en Syrie puis qui transite par la Jordanie pour enfin parvenir aux pays du Golfe, Ndlr)».

Ce qui est par contre certain, c’est que les Émirats ont toujours été timides et se sont toujours rangés derrière l’Arabie saoudite concernant le dossier libanais qui a longtemps été la chasse gardée de Riyad depuis la fin des années 1980 et l’élaboration des Accords de Taëf jusqu’à il y a quelques années quand les Saoudiens se sont désengagés du Liban estimant que leur allié sunnite Saad Hariri n’a pas réussi à contenir le Hezbollah qui est devenu très puissant et qui faisait la pluie et le beau temps au Liban et considérait par ricochet que le pays du Cèdre était devenu sous domination iranienne. Ceci est intervenu d’abord en 2017 via la démission forcée de Saad Hariri depuis Riyad pour protester contre la domination iranienne puis quand ce dernier s’est désengagé de la vie politique libanaise durant l’été 2022 et dès lors l’Arabie saoudite ne cherche plus à y jouer un rôle via le leadership sunnite libanais qu’elle parraina jusqu’à lors. Un vide s’était donc créé et l’influence iranienne via le Hezbollah y est allée crescendo donc les Émirats semblent aujourd’hui vouloir combler ce vide.

Cet activisme émirati pourrait gêner le grand frère saoudien qui ne verra pas d’un bon œil le rôle de puissance régionale ravie par les Émirats qui semblent plus que jamais gourmands en matière géopolitique. Ils sont déjà très actifs dans le sud du Yémen, au Soudan, dans la Corne de l’Afrique, en Libye et aujourd’hui au Liban avec cette détente avec le Hezbollah, une détente indispensable car celui qui veut jouer un rôle au Liban et peser ne peut pas ignorer le puissant parti chiite avec lequel il faut composer. Affaire à suivre…

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